Rencontre avec l'acteur de La Prochaine fois je viserai le coeur, ce soir sur France 3.
Guillaume Canet sera en concurrence avec lui-même, ce soir à la télévision, puisque W9 rediffusera Les Petits mouchoirs, sa réalisation à succès de 2010, pendant que France 3 misera sur La prochaine fois je viserai le coeur, où il est terrifiant en "tueur de l'Oise". Nous l'avions rencontré à la sortie du film de Cédric Kahn, en 2014.
La prochaine fois je viserai le coeur semble être un marqueur assez important de ta carrière ? Est-ce qu’on se trompe quand on a l’impression que tu y exprimes une rage en toi que tu avais peut-être contre le cinéma français et la critique ? Le ras-le-bol vient plutôt des rôles qu’on me proposait, j’ai vraiment eu envie de me confronter à des personnages moins lisses, plus torturés… J’ai eu la chance de bosser ces dernières années avec des auteurs, Jacques Maillot, Cedric Kahn, Zulawsky… Ce film, un de ceux dont je suis le plus fier, s’inscrit dans cette continuité. Mais c’est vrai que l’état dans lequel j’étais m’a servi pour ce personnage. Je n’ai jamais eu de haine contre les critiques ou le système. Après un tournage cauchemardesque, l’échec de Blood Ties, que j’aime beaucoup, a été très dur. Il a suscité très peu d’intérêt - pas seulement de la critique, mais du public qui n’est pas venu – et je ne peux m’en prendre qu’à moi. Ce n’est pas un hasard si dans le film, je suis pétri de frustrations : parce que je suis une personne publique, je devrais courber l’échine, tout accepter, les comportements, les paroles haineuses envers moi et envers ceux qui réussissent… Tout cela s’est cristallisé dans le rôle. J’ai pris beaucoup de plaisir sur ce film, je me suis laissé aller dans le personnage comme rarement, car j’avais une grande confiance en Cédric.
La Prochaine fois je viserai le cœur est à la fois déstabilisant et captivant (critique)
Alain (Attal, le producteur) t’a trouvé touché par une certaine grâce, qu’il attribue à cet état dans lequel tu étais ? Sûrement. Je suis par ailleurs plus torturé et fissuré que certaines personnes ne peuvent le penser et ce genre de personnage le fait ressortir. Ca m’a libéré de pouvoir exprimer tout ça : c’est aussi pour ça qu’il y a tellement de cas sociaux chez les acteurs !
Tu avais un peu désinvesti le terrain de l’acting ? Oui et non : Techiné, Kahn, Jappeloup… Le plaisir de tourner ne m’a jamais quitté. J’ai la chance d’avoir le choix, et la mise en scène prend du temps.
Tu ne crois pas que ça puisse faire peur l’image de l’acteur-réalisateur à succès ? Peut-être, mais je n’ai jamais eu ce comportement-là sur un plateau. Quand je fais l’acteur, je me laisse emmener par le metteur en scène, j’adore être complètement dirigé, une fois que je suis en confiance.
Faire Alain Lamarre qui bute tout le monde ? La coïncidence est troublante de te voir incarner deux tueurs (avec le film de Téchiné) pile à ce moment ? Pure coïncidence…
Je trouve étonnant que ce film ait eu du mal à se monter, alors que c’est un film populaire, avec Guillaume Canet ? Qu’est-ce que ça dit des circuits de financement ? Je ne sais pas. C’est un des plus beaux scenarii que l’on m’ait donné à lire. Les financiers sont toujours frileux quand il s’agit uniquement de qualitatif. Ils cherchent une efficacité dans la distraction. Beaucoup de films (comme Hippocrate récemment) deviennent pourtant populaires, suscitent un engouement, mais c’est un peu le coup de poker. Le film d’Anger, je suis allé à la télé et chez les distributeurs pour le défendre. J’ai perçu leur angoisse de traiter ce type de sujet, qui ne correspondait pas forcément à la ligne qu’ils s’étaient fixée pour l’année.
C’est aussi le problème du genre ? C’est vrai. Et il suffit qu’il y en ait un qui fonctionne, comme les films d’Olivier Marchal, pour qu’ils soient suivis par une horde de suiveurs.
Les Petits Mouchoirs participait d’une sorte d’élan, avec tes copains Les Infidèles, on avait l’impression que vous vouliez faire bouger les lignes. Est-ce que 5 ans après c’est pas décevant de constater que rien n’a vraiment changé ? Le cinéma est une vitrine de la société, de la vie. On vit une époque assez particulière et le cinéma qui en ressort reflète l’ambiance générale. La route est longue. Mais je suis quelqu’un de positif et constructif, même si on peut penser le contraire. Posons-nous les bonnes questions, nous sommes forcément responsables si ça ne marche pas. Il ne faut pas montrer qu’une face de la carte.
Alain dit de toi que tu es d’un naturel flippé, et que depuis Blood Ties tu as appris la peur. J’ai toujours été flippé, obsessionnel du détail, à l’affût de tout, à ne rien laisser au hasard (il n’y a qu’à regarder les making of de mes films, je suis dans une ébullition totale), et l’expérience m’a montré que le peu de fois où j’ai laissé filer les trucs, délégué, fait confiance, je n’ai pas été satisfait du résultat ! Je suis effectivement toujours dans le souci de bien faire, mais ce n’est pas une peur. Plutôt une insatisfaction permanente.
C’est dur de vivre avec ça ? Oui. Et pour les autres aussi !
Tu t’es investi à 100% dans le film de Cédric Anger. Qu’est-ce qui était le plus compliqué ? Je me rappelle de Barracuda qui physiquement était très dur. Là, c’est la 1ère fois que j’ai eu du mal à quitter le personnage, et ça dit quelque chose en effet de mon investissement. C’est un personnage qui me fascine, qui m’a passionné à la lecture du scénario : il ne tue pas par goût du sang, mais dans la douleur. Ce n’était pas une volonté putassière de vouloir le rendre sympathique pour faire un film popu, le personnage est vraiment écrit comme ça. Il est double, complexe et cette schizophrénie était démente à interpréter. Cela m’a rapproché du personnage, j’étais bien obligé d’essayer de le comprendre, de l’aimer. C’est difficile de jouer un personnage qu’on déteste. Mais j’ai eu la chance de travailler avec Cédric, qui pour moi est un très grand metteur en scène. Sur le plateau il était totalement investi, habité par son sujet, il connait le personnage comme personne. Il a passé beaucoup de temps dans les archives, a rencontré plein de gens de l’époque pour se nourrir d’un max de détails, et il m’a nourri, je passais ma vie à lui poser des questions.
Et toi, comment tu t’es préparé ? Je voulais rencontrer Lamarre mais ce n’était pas possible. J’ai lu les bouquins de Cédric, j’ai regardé beaucoup de documentaires sur des militaires, des gendarmes, des commandos, j’ai observé cette droiture dans la posture, dans le regard. C’est fascinant le regard d’un militaire, très particulier, il y a une attitude, une façon de parler, une gestuelle, une façon de se tenir. Ensuite sur le tournage, je me suis senti un peu seul. Parfois ça a été très dur, comme dans le marais à 3 degrés. La dernière prise, de nuit, après en avoir déjà fait plusieurs dans la journée, j’ai un peu tourné de l’œil, je devais sortir doucement la tête de l’eau, en apnée, accroché à une gueuse, j’avais l’impression d’avoir 40 poignards dans la tête à cause du froid… Mais j’ai adoré, je sentais qu’on touchait du doigt un truc réaliste, fort, et j’en ai redemandé car je voulais vraiment que Cédric ait ce qu’il voulait…
Tu sais que sur ces deux rôles la critique dira qu’il s’agit d’une parabole sur la face sombre de Guillaume Canet … C’est pas faux.
Guillaume Canet : "Les héros de Nous finirons ensemble reflètent mes imperfections"
On parlera inévitablement de contre-emploi, on dira que tu veux casser ton image. Mais ça fait longtemps que je fais ça. Dans La Fidélité de Zulawsky, il y a 15 ans, c’était déjà le cas !
Mais quoi que tu fasses, on t’associe aux Petits mouchoirs et à ta bande de potes. Mais quand j’ai été nommé aux César espoirs pour le film de Jolivet, c’était pour un rôle de petit voyou ! J’ai fait beaucoup de rôles pas rayonnants, mais les gens ont envie de me mettre une étiquette.
On sent que tu luttes contre ça. Je ne lutte pas contre ça, je me dis que si je continue à transpirer en faisant plein de choses différentes, l’étiquette ne collera pas. Je ne fais pas des films pour casser mon image, je m’en bats les couilles ! Je serais tellement malheureux si je devais faire mon métier comme ça. Je fais un film si je vibre en lisant le scénar et si je suis excité à l’idée de le jouer. Si j’avais raisonné comme ça j’aurais fait une suite aux Petits mouchoirs, j’aurais pris un paquet de blé et donné raison à plein de gens. Au lieu de ça, je mets tout mon cachet en production, je recommence tout à 0, je ne gagne pas d’argent pendant 2 ans, je pars à New York où personne ne me connait et où je tente quelque chose de très difficile.
On n’est pas un peu déstabilisé par le succès ? On ne devient pas mégalo ? Je ne l’ai pas vécu comme ça et la sortie des Petits mouchoirs a été un moment difficile pour moi, je n’y ai pas tellement pris de plaisir. Il était inspiré d’un drame vécu à l’intérieur d’une bande, et il se trouve que trois jours avant la sortie du film un pote s’est tué en moto dans les mêmes conditions. Je me demandais du coup comment en faire la promo, je trouvais ça putassier, de parler de ce sujet. Du coup je n’en ai tiré de satisfaction que plus tard, au contact du public. S’il doit y avoir une suite, ce sera du coup de la comédie pure. Pour la mégalo, très sincèrement, j’aimerais l’être un peu plus, être plus sûr de moi. Je suis flippé, j’ai des doutes, je suis dans le questionnement permanent. Le lendemain des César (2007, quand il faut couronné meilleur réalisateur pour Ne le dis à personne), je me suis tapé une flip, je me suis dit que c’était un coup de pot, un coup de génie que je n’aurais jamais plus, je me suis dit que je ne pourrais plus jamais faire de film.
Et là tu en es où côté écriture ? Je suis vraiment au tout début, mais j’ai un traitement de cinq pages pour un petit film, avec une équipe extrêmement réduite, dans un temps réduit, sans trop de contraintes. Le tournage de Blood Ties a été trop contraignant et m’a empêché de prendre aucun plaisir avec les comédiens. Je veux revenir à ce qui me plaît le plus dans la mise en scène : la direction d’acteurs, et raconter une histoire, ne pas perdre de l’énergie à gérer des choses pas intéressantes.
Avec toi dedans ? Non. Exactement comme je prends du plaisir à jouer en tant qu’acteur, j’ai un réel plaisir à faire le metteur en scène. Mais pas les deux en même temps.
Interview Christophe Narbonne
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