Mille milliards de dollars
EuropaCorp

En 1982, Henri Verneuil signait ce grand film prémonitoire sur les ravages de la mondialisation, au programme ce soir de « Place au cinéma » sur France 5, présenté par Dominique Besnehard. Retour sur cette plongée dans les méandres d’une multinationale américaine avec Patrick Dewaere en tête d’affiche.

L’adaptation d’un roman américain

Mille milliards dollars – soit, à l’époque, le chiffre d’affaire annuel des 20 plus grosses sociétés mondiales – met en scène un journaliste tourmenté après le suicide d’un industriel qu’il avait accusé de corruption dans un de ses articles. Réalisateur et seul scénariste du film, Henri Verneuil adapte ici un roman américain paru quatre ans plus tôt, Gare à l’intoxe ! où son auteur, Lawrence Meyer (qui fut aussi journaliste au Washington Post) livrait une étude sur les pouvoirs antagonistes de la presse, du FBI, de la CIA et du Sénat américain.

Une œuvre visionnaire

Après sa critique du monde politico- bourgeois frayant un peu trop facilement avec l’univers du crime dans Le corps de mon ennemi et sa dénonciation des hommes de l’ombre qui manipulent nos sociétés modernes dans I comme… Icare, Henri Verneuil reste ici dans la droite lignée de cette veine politique. L’enquête du journaliste campé par Dewaere l’entraînera ainsi dans les arcanes sombres d’une tentaculaire multinationale américaine cherchant à dévorer tout sur son passage. Et elle permet à Verneuil de pointer du doigt dès le début des années les errances d’une mondialisation qui ne se démentiront hélas pas jusqu’à aujourd’hui.

Dewaere au cœur d’un boycott

Patrick Dewaere tourne ce film au cœur d’une tourmente. Après s’en être pris physiquement à un journaliste qui avait trahi sa confiance et révélé son mariage à venir, l’acteur se retrouve boycotté par une grande partie des médias. Les interviews se font rare, son nom est remplacé par ses initiales (P.D. ) dans les génériques des films imprimés dans certains journaux et, par ricochet, certains producteurs hésitent désormais à l’engager. Mille milliards de dollars est son premier film en tête d’affiche depuis le début de cette polémique. Et il change de look, arborant de nouveau la moustache qu’il ne portait plus dans Série noire, Beau- père, Un mauvais fils et Hôtel des Amériques. Le tournage ne sera cependant pas une partie de plaisir pour lui, agacé et mal à l’aise avec la rigueur voulue sur le plateau par Verneuil.

Moreau – Dewaere, troisième

Devant la caméra de Verneuil, Jeanne Moreau campe la femme de l’industriel qui se suicide après l’enquête du journaliste interprété par Dewaere. Et ce film marque la troisième et ultime collaboration entre les deux comédiens, entamée en 1974 dans Les valseuses de Bertrand Blier et poursuivie en 1981 dans Plein Sud de Luc Béraud.

L’un des derniers films de Mel Ferrer

Régulièrement pointé comme un acteur falot tout au long de sa carrière, l’américain Mel Ferrer brille ici en grand patron débordant de cynisme. Epoux d’Audrey Hepburn de 1954 à 1968, l’interprète des Chevaliers de la table ronde et de Guerre et paix avait déjà tourné pour des cinéastes français au cœur des années 60 : Roger Vadim (Et mourir de plaisir), Julien Duvivier (Le diable et les dix commandements)… Verneuil sera le dernier de nos compatriotes à le mettre en scène et l’un des derniers tout courts à le diriger sur grand écran. Puisqu’il n’apparaîtra plus dans la décennie suivante (où on le verra pas mal à la télé : La croisière s’amuse, Falcon crest…) que dans deux longs métrages : Lili Marleen de Rainer Werner Fassbinder et SAS : L’œil de la veuve d’Andrew V. McLaglen en 1991, 17 ans avant sa disparition au cœur de sa 90ème année.