Dans son très réussi premier long métrage pour le grand écran, Aïssa Maïga explore les dommages collatéraux du réchauffement climatique dans un village du Niger. Rencontre.
Qu’est ce qui vous a conduit à consacrer votre premier long métrage pour le grand écran aux conséquences du réchauffement climatique en Afrique ?
Aïssa Maïga : Un coup de fil du producteur Yves Darandeau ! Car c’est Yves Lagache qui a eu l’idée originale de Marcher sur l’eau et en avait fait les premiers repérages avant de devoir quitter le projet. Yves m’a alors proposé de reprendre le projet et de le conduire à son terme
Vous avez tout de suite répondu positivement ?
J’étais alors plongée avec Isabelle Siméoni dans Regards noirs que nous réalisions pour Canal +. Et surtout c’est un sujet sur lequel je ne me sentais aucune expertise particulière. Donc ma première impulsion fut de décliner. Mais je n’y suis pas arrivée ! (rires) Car il y avait la possibilité d’explorer ce sujet au cœur du Sahel, ce coin du monde d’où je viens et où j’ai passé tant de moments marquants. Ce fut ma porte d’entrée
Une fois ce oui donné, comment construisez- vous la colonne vertébrale du film ?
Je m’appuie d’abord sur le formidable travail de préparation de Guy Lagache et notamment ses échanges avec Ariane Kirtley, la responsable de l’ONG Amman Imman, très active dans ce coin du monde pour faire des forages et permettre aux villages de revivre grâce au retour de l’eau. Je vais donc à mon tour à sa rencontre pour lui poser toutes les questions que j’ai en tête. Et ces entretiens- fleuve seront décisifs. Ariane me détaille notamment les conséquences concrètes du manque d’eau - s’aggravant année après année - chez les familles qui vivent dans cette région. Et on va construire ensemble cette colonne vertébrale
Pourquoi avoir choisi de poser votre caméra dans le village de Tatiste au Niger ?
Là encore, je me suis appuyée sur le travail de repérages de Guy Lagache. J’avais carte blanche pour aller où je voulais en Afrique de l’Ouest. Mais j’ai choisi ce village car il se situait au Niger, donc proche du nord Mali d’où je viens et parce qu’il était peul comme ma grand- mère. Grâce à Guy, j’ai pu avoir immédiatement accès à des photos, aux compte- rendus des témoignages qu’il avait récoltés en se rendant sur place. Et petit à petit j’affine alors ce que j’ai envie de raconter avec Marcher sur l’eau : la vie d’un village et la manière dont, à cause du changement climatique, des enfants se retrouvent propulsés dans des responsabilités d’adultes en l’absence de leurs parents, partis loin pour subvenir aux besoins de leurs familles. Je souhaitais que ce soit la clé du film car j’avais le sentiment que ça permettrait un processus d’identification.
Comment se déroule votre premier voyage sur place ?
L’arrivée m’a rappelé les moments où j’arrivais dans la famille au Mali. Car une fois que vous atterrissez, un autre voyage commence. Une heure et demie de route et treize heures de piste ! (rires) Petit à petit, les paysages se transforment, les groupes ethniques changent. Il y avait évidemment une question sécuritaire car le Sahel est devenu très dangereux. Et si le fait d’être accompagné par quinze militaires, deux véhicules blindés et des policiers en civil rassure, leur présence constante avait aussi quelque chose d’anxiogène. Mais je n’avais aucune envie d’une mise en danger. Et les autorités nigériennes ont été extrêmement rigoureuses. On était vraiment en immersion dans ce village perdu dans la steppe. L’idée était de se remettre à son rythme mais en ayant un film à faire. J’étais donc prête à ne pas tourner lors de ce premier voyage, à simplement rencontrer les gens. Mais Guy avait laissé une empreinte magnifique lors de ses voyages : on a été donc accueilli à bras ouverts par des gens déjà sensibilisés à l’idée du film et au potentiel forage qui risquerait d’arriver dans le village grâce à nos efforts conjugués. Et ce sont eux qui m’ont incité à sortir la caméra sans attendre. Deux heures après notre arrivée !
Vous saviez avant ce premier voyage qui vous aviez envie de filmer ?
Oui grâce aux images qu’avait ramenées Guy… mais je ne savais évidemment pas quelle serait leurs réactions, s’ils accepteraient de se laisser filmer. Houlaye, qui est l’élément central du film, n’était qu’une gamine parmi d’autres et quand je suis arrivée, elle ne se doutait pas que cela faisait 2 mois que j’avais en tête de la filmer et d’en faire le personnage principal de Marcher sur l’eau. Mais elle a senti très vite que je la regardais beaucoup ! (rires) J’ai pris mon téléphone pour la filmer dans la salle de classe. Elle était de trois quarts dos. Elle s’est retournée et m’a vue. Là, son regard dans l’écran de mon téléphone m’a bouleversée. J’ai compris que mon intuition était bonne car derrière la pudeur, il y avait chez elle tout à la fois une grande force de caractère, beaucoup de sensibilité, de la profondeur, la candeur de l’enfance, la maturité de la future adulte qu’elle deviendra !
A quel rythme êtes- vous revenue ?
Le synopsis que j’ai écrit avec Ariane reposait sur les saisons. Il s’ouvrait par la rentrée des classes et se terminait un an après, avec l’espoir d’un forage. C’est donc ce qui a guidé mes allées et venues, tous les deux ou trois mois pendant une année. Puis il y a eu le COVID. J’avais donc peur de ne pas avoir assez d’images pour que le récit existe. Mais j’ai pu compter sur la maestria d’Isabelle Devinck au montage qui s’est étalé sur un an.
Qu’est-ce-qui a le plus évolué au final par rapport à votre synopsis de départ ?
On est resté fidèle à la colonne vertébrale. Mais on y a intégré ce qu’on ne pouvait pas prévoir : les autres enfants qui crevaient l’écran dès qu’ils passaient devant la caméra, le maître d’école à ce point magnétique et charismatique avec un sens de la pédagogie virevoltant. Forcément, on a envie de l’écouter et de passer du temps avec lui.
Il y a aussi la volonté de raconter une fin heureuse. Pourquoi ce choix ?
Oui ça faisait partie de l’idée de départ. Le film s’inscrit dans une idée d’impact. De montrer comment on peut avoir un impact positif en se mobilisant. C’est pour cela qu’on a travaillé avec l’ONG en charge du forage et aussi pour cette raison qu’on a participé nous- même avec les producteurs à la recherche de financement
Avec le risque qu’à l’arrivée ça ne se fasse pas ?
Oui. Mais on était déterminés. Cependant, il y a toujours des imprévus : on a ainsi appris récemment que les travaux de forage avaient été suspendus pour pouvoir terminer les canalisations des petits villages. Donc au moment où je parle, l’eau ne coule pas encore !
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