PRODUCTION

La doyenne des comédiennes françaises s’est éteinte hier à 102 ans. Retour sur cinq temps forts de sa carrière

L’Assassin habite au 21 d’Henri- Georges Clouzot (1942)

Découverte par le music- hall dans différentes revues où elle côtoie notamment Mistinguett, Suzy Delair mulitplie en parallèle les apparitions au cinéma depuis 1930. En 1941, elle trouve son premier rôle important dans Le Dernier des six de Georges Lacombe, adaptation du Six hommes morts de Stanislas-André Steeman par Henri- Georges Clouzot, compagnon de l’actrice à l’époque. Et l’année suivante, le même Clouzot passe pour la première fois à la réalisation en permettant à Suzy Delair de retrouver son rôle de Mila Malou, la chanteuse au tempérament volcanique, amoureuse du commissaire Wens, toujours campé par Pierre Fresnay, cette fois- ci sur la piste d’un tueur en série. Par rapport au livre éponyme de Steeman, Clouzot a déplacé l’intrigue de Londres à Paris. Et, sur le plateau, la pellicule manque, période de l’Occupation oblige. Clouzot ne laisse que deux prises par scène à ses comédiens. Mais le public va plébisciter ce formidable polar teinté de comédie et offrir à Suzy Delair son premier grand succès populaire. Grand admirateur du film, Quentin Tarantino fera un clin d’œil à son affiche dans la scène du cinéma d’Inglorious basterds.

Quai des orfèvres d’Henri- Georges Clouzot (1947)

Ses sympathies pour les Allemands pendant la guerre valent logiquement des moments compliqués à la Libération à Suzy Delair. Mais, à la surprise de beaucoup, elle n’est finalement condamnée qu’à une période de 3 mois sans tournage par les comités d’épuration. Alors, en 1947, elle va enchaîner Copie conforme de Jean Dréville et ce Quai des orfèvres de Clouzot qui adapte ici pour la troisième fois Steeman. Devant sa caméra, Suzy Delair incarne de nouveau une chanteuse, Jenny Lamour, aussi douée qu’extrêmement ambitieuse. Sa fréquentation de Brignon, homme riche et puissant, va d’ailleurs rendre fou de jalousie son mari Maurice (Bernard Blier) au point que celui- ci se met à le menacer de mort. Et devient logiquement le premier suspect quand son rival est retrouvé assassiné chez lui. Longtemps interdit de travail à cause du Corbeau, Clouzot comptait d’abord revenir derrière la caméra avec une adaptation de Chambre obscure de Nabokov. Mais son producteur le pousse à aller vers un film plus commercial. A savoir donc ce polar qui sera un des sommets du film noir à la française dans lequel Suzy Delair entame sa légendaire chanson « Avec mon tralala ». Quai des orfèvres remporte le Prix de la mise en scène à Venise. Ce sera l’ultime collaboration de Clouzot avec Suzy Delair qu’il quitte après avoir rencontré sur ce tournage sa nouvelle compagne Vera, l’épouse de Leo Lapara, un des comédiens de ce Quai des orfèvres.

Atoll K de Leo Joannon (1950)

Si elle continue à se produire avec un immense succès sur scène (sa chanson C’est si bon, créée en 1948, fera même le tour du monde grâce à la reprise de Louis Armstrong), Suzy Delair poursuit sa carrière au cinéma et se retrouve ici dans un film qui va marquer l’histoire du septième art car le tout dernier du mythique duo Laurel et Hardy ! Elle y incarne Cherie Lamour, une chanteuse de cabaret qui se retrouve à fuir, après une dispute, son amoureux officier de marine pour se réfugier sur un atoll volcanique où Laurel et Hardy se sont installés avec deux comparses et ont créé un gouvernement exempt de lois et de taxes. Bien involontairement libres de tout contrat aux Etats- Unis à la fin des années 40, Laurel et Hardy avaient accepté ce film… sans se douter que le tournage serait un cauchemar pour eux. A la fois physiquement (Laurel eut à subir une opération de la prostate, Hardy eut des soucis cardiaques après avoir atteint le poids de 150 kilos) et artistiquement où ils s’opposèrent en permanence à Joannon au point que John Berry, alors sur la Liste Noire d’Hollywood, vint terminer le film en secret. Et le résultat final se révèle à la hauteur de ces avanies.

Le Couturier de ces dames de Jean Boyer (1956)

Changement d’emploi pour Suzy Delair qui, abonnée aux maîtresses pétulantes, incarne pour une fois une épouse aussi aimante que jalouse. Celle de Fernand Vignard (incarné par Fernandel), coupeur chez un tailleur qui rêve d’ouvrir sa propre maison suite à un héritage et semble regarder d’un peu trop près les mannequins aux yeux de sa femme. Si cette comédie marque une des premières apparitions à l’écran de Françoise Fabian, elle repose entièrement sur les épaules du duo Fernandel- Suzy Delair et de la métamorphose de cette dernière, au fil de l’intrigue, de petite bourgeoise coincée et colérique en jeune femme pleine de vie et pétillante. Avec en point d’orgue une scène d’effeuillage en public qui marque son époque. 

Les Aventures de Rabbi Jacob de Gérard Oury (1973)

La carrière de Suzy Delair repose aussi sur des seconds rôles marquants. Comme la patronne de la blanchisserie de Rocco et ses frères de Luchino Visconti… et Germaine Pivert, dentiste et épouse du prospère industriel Victor Pivert pour Gérard Oury. La comédienne n’était pas au départ au casting de cette comédie mais a été appelée au pied levé pour remplacer l’actrice prévue pour le rôle, celle qui fut par 10 fois l’épouse de De Funès sur grand écran : Claude Gensac. Il s’agira de son dernier carton en salles (plus de 7 millions de spectateurs pour le numéro 1 au box- office de l’année) et de son avant- dernière apparition au cinéma. Elle y terminera sa carrière trois plus tard avec un petit rôle dans Oublie- moi de Michel Wyn face notamment à Bernard Menez.