Au festival d'Annecy, on a demandé à des réalisateurs et animateurs de nous raconter les séismes qu'ont été (et seront) Into The Spider-Verse et Across The Spider-Verse.
Après l'Oscar de Spider-Man : Into The Spider-Verse et l'immense succès en salles d'Across The Spider-Verse, le cinéma d'animation américain grand public ne sera certainement plus jamais le même. Le style graphique radical des deux films Sony a bousculé les esprits et plusieurs films se sont déjà inspirés de son look (Le Chat Potté 2 : La Dernière quête, Les Mitchell contre les machines...). On a profité du Festival d'animation d'Annecy pour demander aux réalisateurs de Ninja Turtles Teenage Years, Chicken Run 2 et même Into The Spider-Verse ce que ce nouveau style visuel va changer dans le regard de l'industrie. Après quinze ans d'esthétique Pixar et Illumination, les grands studios hollywoodiens vont-ils bêtement copier la recette du Spider-Verse ou bien laisser les créatifs inventer de nouvelles esthétiques ?
Peter Ramsay, co-réalisateur de Spider-Man : Into The Spider-Verse et producteur de la série Kizazi Moto: Generation Fire : « J’espère vraiment qu’on n’aura pas droit à une succession de pâles imitations. Quand on a fait le premier film, il s’agissait d’essayer quelque chose de différent tout en collant à l’histoire qu’on voulait raconter. C’est ce que j’aimerais léguer : que les artistes parviennent à communiquer visuellement l’essence même de ce qu’ils veulent raconter. On a utilisé le langage des comics parce que ça avait du sens pour le film, mais ça ne peut pas s’adapter à tout ! Je commence à voir des évolutions, comme Nimona sur Netflix qui a un look bien distinct. Même Pixar tente des choses. J’espère aussi qu’au niveau de la tonalité des films, on verra une évolution dans l’animation américaine. Des choses toujours aussi fun, mais légèrement plus adultes. Que les artistes regardent l’animation avec un petit pas de côté et s’autorisent à raconter des histoires de façon un peu plus sophistiquée. »
Sam Fell, réalisateur de Chicken Run 2 (sur Netflix le 15 décembre) : « J’admire énormément ces deux films et leurs réalisateurs, qui ont ouvert de nouvelles possibilités dans l’animation. Ce sont des défricheurs. Le premier Spider-Verse est un game changer pour l’industrie, et j’espère que ça donnera envie à d’autres de briser à nouveau les règles. Visuellement, c’est presque comme voir un concept art prendre vie. C’est surexcitant ! Donc je ne suis pas étonné que d’autres productions soient déjà influencées par ce style visuel. Mais le mélange de peinture, de 2D et de 3D existe depuis au moins dix ans, et on a notamment pu le voir dans l’anthologie Love, Death and Robots. Par contre, c'est super qu’un gros studio comme Sony se lance là-dedans. J’aime ce look, mais je comprends pourquoi c’est plus facile de vouloir l'imiter plutôt que d’inventer autre chose. La réalité est qu'il est très compliqué de défricher visuellement dans l'animation, parce que tout se joue dans la phase de recherche et développement, extrêmement coûteuse. Et malheureusement, quand un film est validé par un studio, généralement le budget et la date de sortie sont déjà fixés. Du coup, il ne reste rien pour la R&D... »
Vicky Jenson, réalisatrice de Spellbound (sur Apple TV+ en 2024) : « À mon sens, ces deux films sont révolutionnaires et je suis persuadée qu’ils ouvriront des portes. C’est une avancée indéniable dans le storytelling visuel. Mais j’ai un mantra : story first. Le style "dessiné à la main" du Spider-Verse correspond parfaitement à son histoire et les deux se mélangent avec beaucoup de grâce. Par contre, il serait absurde de vouloir reproduire cette patte graphique sur un autre scénario. J’espère que la leçon que l’industrie en tirera est que chaque film doit être visuellement unique. »
Brian Pimental, scénariste de Spellbound : « Pendant longtemps, il fallait absolument suivre les standards de l’industrie et ressembler à un film Pixar ou Illumination, sous peine d’être considéré comme inférieur. On voit bien que ça a changé avec le Spider-Verse, et mon grand espoir est que ces succès incitent les artistes à prendre des risques. »
Troy Quane, co-réalisateur de Nimona (sur Netflix le 30 juin) : « Pour plein de raisons, le Spider-Verse a changé la donne, même si plusieurs films tendaient vers une direction artistique 2D/3D depuis quelques années. Je crois que ça a légèrement mis de côté de grands studios comme Disney et Pixar, qui ont l’habitude d’être au centre de la discussion. C’est sain : il y a toujours des gens qui repoussent les limites et forcent l’industrie à se réinventer. C’est une année charnière pour l’animation et je crois qu’on est sur le point d’assister à des changements vraiment, vraiment cool, créativement parlant. »
Eric Goldberg (animateur légendaire chez Disney) : « Je crois que ces films ont déjà fait évoluer les esprits. Évidemment, certains vont se contenter de copier ce style, mais je ne sais pas s’il serait adapté à autre chose qu’une transposition de comics sur grand écran. J’ai adoré Into The Spider-Verse, mais le problème, c’est que peu de gens aux États-Unis savent à quel point il existe d’autres styles d’animation. Le public connaît surtout le design cartoonesque hollywoodien et la japanimation, mais beaucoup de gens n’ont aucune idée de ce qui se passe en Europe. Regardez ce qui est projeté au festival d’Annecy, toute cette diversité ! J’ai vécu 13 ans à Londres, j’ai été le premier témoin de ce bouillonnement artistique européen. Mais j'espère sincèrement que le Spider-Verse permettra d’ouvrir les yeux de certains et de faire bouger les lignes. »
Jeff Rowe, réalisateur de Ninja Turtles Teenage Years (au cinéma le 9 août) : « Il y a des étapes majeures dans l’histoire du cinéma d’animation : Gertie le dinosaure, Banche-Neige et les sept nains, Toy Story et maintenant le Spider-Verse. Je crois que l’ombre de ces deux films va planer durant très longtemps et que le cinéma d’animation sera différent. Les gros films d’animation coûtent extrêmement cher, et si vous êtes un studio hollywoodien, vous voulez vous assurer que vos dépenses vous rapportent. Donc tout vous incite à jouer la sécurité. Et puis Spider-Verse déboule et dit : "Et si au contraire, on prenait des risques ? Et si on prenait la franchise la plus populaire du monde et qu'on faisait un truc complètement différent avec, histoire de prouver qu'on peut gagner un Oscar et rapporter beaucoup d'argent ?" Tout ça grâce avec une volonté de fer. Je crois que maintenant, quand on pitche un film d'animation à un studio, ils se demandent comment on va se démarquer des autres. Ce qui n'était pas du tout le cas avant ! Ils veulent s'assurer que ça ne ressemblera pas aux films d'animations qu'on voit depuis 30 ans. En soi, c'est une révolution. »
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