Toutes les critiques de Bowling For Columbine

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Michael Moore (cf interview), avec son humour habituel et son talent de contradicteur impertinent, se penche sur la place des armes dans la société américaine. Traversant le pays, rencontrant victimes de faits-divers, responsables politiques, anonymes et célébrités, il en arrive à s'interroger sur la culture de peur qui hante l'oncle Sam. Le résultat est salvateur et roboratif.
    Dans " Bowling for Columbine ", Michael Moore pose la question de la culture américaine des armes à feu. Partant de faits divers (tuerie du lycée de Columbine, meurtre d'une enfant de six ans par un de cinq, etc...), il essaie de démonter les mécanismes qui ont conduit à ces tragédies. Pour cela, il se soucie aussi bien du contexte local - industrie d'armement proche, application géographiquement stupide d'un programme dit " d'aide sociale "- que national, stigmatisant la politique extérieure du gouvernement, le traitement médiatique de l'actualité ou le poids de l'histoire. Comme toujours, il part d'un point de vue partisan et étaye son discours avec un savant mélange d'images d'archives et d'interviews corrosives qui sont sa marque de fabrique. Il s'offre même le luxe d'illustrer d'un excellent petit cartoon la longue histoire d'amour qui unie ses concitoyens aux armes à feu.Autant le dire tout de suite, le film de Michael Moore est un pur moment de bonheur pour n'importe quel Européen. Il conjugue des moments de fortes tensions (images d'une caméra de surveillance du lycée - 13 morts, 70 blessés -, exécution sommaire) et de bonnes tranches de rire ; rire qui parfois se fige devant l'imbécillité de certains propos des fous de la gâchette ou de divers responsables ( !?) qui déclenchent notre ire. Ces paroles peuvent alors être insupportables aussi bien dans le fond (cf les miliciens) que dans la forme. Ainsi, faut-il entendre cette employée du magasin qui a vendu les balles blessant deux adolescents qui lui font face, dire à l'un d'eux " Je suis heureuse de voir que tu marches toujours ", alors que le second, à un mètre d'elle est... en fauteuil roulant. Elle ne lui a d'ailleurs pas serré la main, comme si elle l'occultait d'emblée, l'image renvoyée étant peut-être insupportable pour le bon sens de cette femme qui doit répondre selon la politique de communication imposée par son groupe. Cette alternance de sentiments maintient un intérêt constant malgré un sujet éprouvant. Car, s'il est vrai qu'on s'esclaffe, on n'oublie jamais la gravité du sujet.On peut alors émettre une critique envers le travail de M. Moore. En effet, son utilisation du rire est bien évidemment destinée à mettre le public de son coté, à le séduire. C'est sa façon de faire passer un message. Or, en procédant ainsi, c'est un peu comme si on se retrouvait face à un magicien. Moore est un prestidigitateur et son " truc ", c'est-à-dire ce qui détourne l'attention pour effectuer la manipulation nécessaire à l'ébahissement du public, est le rire.
    Or, ce procédé implique qu'il ne fait pas forcément confiance à la qualité d'écoute de ses spectateurs. Comme si le travail d'abêtissement des médias qu'il dénonce était irrémédiable au point que lui aussi doive utiliser la forme de l' "entertainment" pour faire passer son message.Mais peut-on raisonnablement lui en faire le reproche ? D'une part, il est évident qu'aller au cinéma pour voir un documentaire n'entre pas dans les habitudes de tout le monde. Vouloir attirer le plus grand nombre est compréhensible et même louable pour une démarche qui paraît saine (lutter contre la prolifération des armes à feu). Il faut ensuite, et surtout, voir si les raccourcis, les bons mots qui font mouche n'altèrent pas l'objectivité du propos. Ici, cela ne semble pas le cas. Sa démarche s'inscrit dans un cadre simple mais convaincant à défaut d'être parfaitement rigoureux. Se plongeant d'abord dans le fait divers, il s'en extrait, au fur et à mesure, pour embrasser les causes particulières à chaque cas, puis d'autres, beaucoup plus générales. Evidemment, il conduit toujours ses interviews avec cet air débonnaire qui trompe la méfiance de l'interlocuteur lui faisant, petit à petit, abandonner ses défenses pour mieux lui porter le coup fatal. Quand l'éléphant Moore marche sur un parquet trop glissant, il chausse des patins ! Mais, cet éléphant là a de la mémoire et n'oublie jamais son but, auquel il parvient, et grâce à son art maîtrisé de la rhétorique, finit par mettre chacun devant ses propres contradictions. Peut-être, une ou deux fois, simplifie-t-il un peu vite ! Mais on se dit alors que ces exagérations ne sont guère condamnables car elles font écho à tous les propos manipulateurs, réellement simplistes, de ceux qui approuvent les armes.Il y en aurait 250 millions dans les foyers américains. Sont-ils tous fous, alors ? Parmi les raisons générales qui expliquent cet état de fait, il y a l'histoire d'un peuple qui a toujours répondu à l'agression (même potentielle) par une agression encore plus forte. De l'époque des colons à nos jours, la réplique a toujours été disproportionnée : Japonais et Irakiens, enfin ceux qui restent, ne diront pas le contraire. Faut-il alors s'étonner que les individus reproduisent le modèle gouvernemental ? Mais la partie la plus intéressante et la plus symptomatique de l'état dans lequel se trouve le pays de Mr Bush est cette analyse de la culture de la peur, en particulier de l'Homme noir, entretenue par les médias du Nouveau Continent et corroborée par le vocable simpliste d'un gouvernement aux forts accents de cow-boy texan chassant les sorcières (Axe du Mal, esprit diabolique). Cette séquence nous touche d'autant plus au vu du contexte qui a précédé nos élections présidentielles et de ses conséquences.Alors que les intellectuels américains (Démocrates comme Républicains) commencent enfin à faire entendre leurs voix pour s'élever contre une guerre en Irak et pointent du doigt le ton méprisant du Pentagone, il faut rendre hommage à Moore qui a osé, dès le printemps (le film a été récompensé à Cannes), mettre un coup de pied dans la fourmilière, en montrant notamment que les libertés individuelles reculaient dans ce pays qui justifie le port d'arme comme l'ultime liberté. Enfin, et surtout, il choisit les bons interlocuteurs (miliciens, vendeurs d'armes, producteurs de télé-réalité et victimes), même les plus improbables. Ainsi, la séquence finale est-elle assez effrayante : réussissant à interviewer Charlton Heston, leader charismatique du lobby d'armes NRA (National Rifle Association), les réponses de cette icône nous glacent. On y apprend notamment que les deux meetings qu'il a tenu dans des villes touchées par des tragédies liées aux armes n'étaient pas planifiés mais opportunistes. Il a donc profité de l'événement pour tenir un discours disant en substance " vous voyez bien que l'insécurité est partout ; armez-vous " cinq jours seulement après les événements, faisant fi de l'hostilité d'une partie de la population (parents des victimes notamment) encore sous le choc.Au final, le constat est amer : on comprend donc qu'il y a une énorme machine économique liée aux armes aux Etats-Unis. Gouverné par l'appât du gain, ceux qui détiennent le pouvoir d'impulser des changements (médias, Etat, leader d'opinion) ne semblent pas prêt à changer d'attitude. Alors, avec ce gargantuesque faux-candide, dépêchons-nous d'en rire de crainte d'avoir à en pleurer.
    - Lire l'interview de Michael Moore lors de la présentation du film à Cannes en mai 2002.
    - Le site de la National Rifle Association.
    - Le site Michael Moore.com