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Ces trois heures et sept minutes s’achèvent sur un cri du cœur du héros au bord de l’abime : « J’emmerde les Philippines, ce pays à la con qui abritent des criminels comme nous... » Ce n’est pas vraiment spoiler les choses que de révéler la part suicidaire d’une telle rage dans une « république » qui a vu se succéder à sa présidence Rodrigo Duterte incitant la population à assassiner librement les trafiquants de drogue comme les consommateurs et, depuis un an, Ferdinand Marcos Jr, fils de l’ancien dictateur. Lav Diaz dans un noir et blanc si reconnaissable empruntant son expressivité granuleuse au cinéma des origines, raconte ici la crise morale d’un lieutenant de police. L’homme, fatigué des horreurs que l’état l’oblige à commettre pour combattre la criminalité, cherche une rédemption. Il voit surtout un psoriasis recouvrir sa peau, stigmates d’un karma salement amoché. Dans le même temps, un homme tout juste sorti de prison, part à sa recherche pour se venger. La mise en scène faussement languide du cinéaste philippin adepte des formats longs – sa Femme qui est partie, Lion d’or à Venise en 2016 flirtait avec les quatre heures – cherche avant tout à capturer par la durée, les sens – voire la raison – du spectateur. Il arrive qu’au sein d’un cadre souvent fixe, les corps restent en suspension ou au contraire, dansent, comme pour renvoyer une énergie confisquée. Il s’agit pour celles et ceux qui peuplent les films de Lav Diaz de refuser leur propre anéantissement. Des ombres assoiffés de lumière, refusant les ténèbres.