Première
par Thomas Agnelli
Arnaud et Jean-Marie Larrieu adoptent le point de vue d’un électron libre (Mathieu Amalric, acteur fétiche et fidèle) dont les ambivalences morales évoquent autant le héros hitchcockien que l’antihéros polanskien. Autour de lui gravitent des personnages énigmatiques, plongés dans le même brouillard kafkaïen. Ce qui frappe d’emblée ici, c’est l’écrin envoûtant des paysages enneigés de Suisse, propices à la fugue psychogène et aux contes immoraux. Ainsi, on ne sera pas surpris de voir que l’histoire est autant travaillée par la transgression et le surréalisme (Breton, Buñuel, Cocteau, tous cités). Si les cadavres pourrissent, si les pulsions ne s’avouent pas et si, en filigrane, surgissent des tourments contemporains (la crise économique, la perte de l’identité, la mort du cinéma), les frères Larrieu ont le bon goût de ne pas sombrer dans le glauque. Au contraire, ils filment toujours des corps nus et libres pour rappeler que leurs personnages sont de chair et de sang. De même, ils n’ont rien perdu de leur humour ni de leur romantisme de dernière minute. Et l’on est ravi de voir des comédiens jouir de rôles complexes, de dialogues au rasoir. Seul gros bémol : l’atmosphère prend souvent le pas sur le récit. Les réalisateurs ont cherché la combinaison idéale d’un film à la fois populaire et intimiste, or les scènes « à faire », pour respecter les conventions, flirtent avec la désinvolture, à l’image du coup de théâtre final, trop louche pour ne pas être décevant. Dommage que, cette fois-ci, nos deux poètes n’aient pas pu conclure sur du Léo Ferré.