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Ça commence comme une installation vidéo. Du bruit et une image indiscernable. Un chaos originel. Et puis, l’ombre menaçante d’un hélico qui se dissocie progressivement du gris cendreux du ciel. En bande-son, les crachotis d’une radio et un Russe qui parle au loin. L’hélico atterrit et on s’extirpe de la carlingue en même temps que le réalisateur observé par des gamins qui le fixent comme une bête sauvage. Tout est dit dans ce prologue brut et stylisé : l’étrange, le point de vue des enfants, l’éloignement… Dans Braguino, Clément Cogitore sonde les ténèbres d’une famille de sibérien recluse au fin fond de la Taïga. Pendant 50 minutes, on suit le père et sa famille, d’une chasse à l’ours dans la forêt à une querelle de voisins qui prend des allures de tragédie grecque en passant par des scènes d’intérieur mystiques ou l’arrivée de prédateurs-braconniers surarmés. Une forêt, des monstres et des hommes qui essaient de survivre : Braguino est un conte russe fabuleux. Cogitore prend bien soin de ne jamais créer de liens entre ses séquences et glisse de la chronique intranquille à un horizon de réalisme halluciné, strié par des moments de déflagrations primitives ou des virages fantasmatiques qui épousent la paranoïa du patriarche (qui sont ces voisins hostiles filmés comme les croquemitaine d’un film d’horreur ou ces chasseurs russes flippants ?). Par un travail fou sur la texture de l’image, par sa manière de malaxer les genres de cinéma, le jeune cinéaste déplace le documentaire vers un film métaphysique, follement impressionniste.