Le fils de Marie Trintignant et Richard Kolinka et petit fils de Jean- Louis Trintignant tient son premier rôle principal dans Maya de Mia Hansen Love, qui le dirige pour la troisième fois à l’écran. Sa remarquable composition d’ex- otage partant se reconstruire en Inde lui a valu une pré- nomination au César de la révélation masculine 2018. Portrait d’un enfant de la balle.
« Des trous, des bosses, des chocs… mais tout ça sous la dorure ». Voilà comment un soir de 1991 sur la scène des César, Odette Laure expliquait sa vision du métier de comédien. Des trous, des bosses, des chocs… Le clan Trintignant en a subi plus souvent qu’à son tour voilà quelques années. Et pourtant rien n’a su briser ce fil si singulier qui permet au goût des plateaux de cinéma de se transmettre de génération en génération. Après Jean- Louis, Nadine et Marie, deux des fils de cette dernière - prénommés au César de la révélation masculine 2018 - ont brillamment repris le flambeau de ce roman familial : Jules Benchetrit (à l’affiche le 26 décembre de Sur le bout des doigts) et Roman Kolinka, qui franchit avec Maya de Mia Hansen Love une étape majeure de son parcours : son premier rôle principal sur grand écran. Et ce sous la direction de son « ange gardien », celle qui le fait monter en gammes au fil de leurs films communs : Mia Hansen Love. Celle aussi qui en parle le mieux : « Parmi les motivations qui m’ont poussé à écrire Maya, il y avait l’envie de retravailler avec Roman après Eden et L’avenir. Il y a quelque chose qui me bouleverse profondément chez lui : le fait qu’il allie les qualités d’un très grand acteur et l’innocence d’un non professionnel. Il a une facilité devant la caméra liée à son histoire familiale mais il ne se regarde jamais jouer. La pudeur et la vérité qui émanent de lui sont inestimables. »
L’héritage familial qu’évoque Mia Hansen Love, Roman Kolinka l’assume pleinement. « C’est par ma famille que je suis venu au cinéma », explique t’il spontanément. D’abord par les films vus au milieu de cette tribu recomposée, avec, un tropisme particulier pour Les Affranchis et The big Lebowski. Puis en connaissant dès 7 ans son baptême du feu d’acteur dans le téléfilm Rêveuse jeunesse signé par sa grand- mère Nadine, avant de bosser plus tard comme assistant réalisateur. « Travailler dans le cinéma a donc été très vite une évidence. » Mais aussi un moyen aussi d’échapper à un système scolaire, pas vraiment fait pour lui. Et ce avec l’aide de sa mère capable de trouver les mots pour convaincre son père Richard - le batteur de Téléphone –, très réticent à l’idée, de le voir quitter l’école pour suivre des cours de théâtre qui vont se révéler une véritable école de la vie. « J’étais d’une timidité maladive. Et la torture de monter sur scène fut le meilleur moyen d’apprendre à me faire entendre ».
Pour autant, les choses ne tombent pas toutes crues dans sa bouche. Et s’il commence à passer pas mal d’essais, il n’en décroche aucun « Je n’étais alors pas vraiment prêt à ce métier. Et je commençais à penser qu’il n’était pas fait pour moi. » Puis, Pierre Godeau, un ami d’enfance lui offre un petit rôle dans son premier long, Juliette et Olivier Assayas l’engage dans Après mai. Mais c’est bel et bien avec Mia Hansen Love que tout va réellement prendre forme. D’abord avec un rendez- vous manqué : « j’avais passé des essais pour son premier long métrage, Un amour de jeunesse. Mais j’avais été si mauvais que l’assistante de la directrice de casting ne lui avait même pas montré les images. », se souvient- il en en souriant aujourd’hui. Car la rencontre s’est bel et bien faite quelques années plus tard d’abord avec Eden, évocation de la French touch injustement mésestimée puis avec L’avenir où il joue un ex- étudiant d’une prof de philo campée par Isabelle Huppert.
Greta Gerwig, John Turturro et Mia Wasikowska chez Mia Hansen-LøveJamais deux sans trois, dit le proverbe. Et le voici donc vérifié avec Maya où il incarne cette fois- ci un journaliste, ex- otage en Syrie, qui va se reconstruire en Inde. « Mia a commencé à m’en parler au moment de L’avenir. Mais je n’ai voulu lire le scénario qu’une fois le tournage terminé pour ne pas trop me projeter et m’emballer. Et quand je m’y suis plongé, j’ai évidemment vu la chance immense qu’elle m’offrait… mais aussi la pression que ça allait représenter pour moi qui n’avais jamais tenu un film sur mes épaules. » A l’écran, il s’en acquitte plus que brillamment… en dépit de son faible niveau d’anglais au départ. « A la première lecture, j’ai cru que Mia allait passer par la fenêtre. Car une fois passé le premier quart du film en français, toutes mes répliques ou presque sont en anglais. Et mon niveau était si catastrophique que je l’ai vue se décomposer sous mes yeux. » Se préparer à ce rôle de journaliste passera donc par des cours intensifs de la langue de Shakespeare bien plus que par une recherche profonde sur des parcours d’otage en eux- mêmes. « Pour Mia, Maya raconte la reconstruction de mon personnage. Or celle- ci est propre à chaque otage. Elle m’a juste fait lire « La maison du retour » de Jean- Paul Kaufmann et « Tel est mon métier » de Lynsey Addario qui avaient tous deux traversé une telle épreuve. Mais elle n’a pas souhaité par exemple que je rencontre celui avec qui elle a travaillé comme conseilleur technique. »
Et puis quatre jours avant le tournage, Roman Kolinka débarque en Inde, où il n’a jamais mis les pieds. « Je pense que Mia ne voulait pas que j’échange trop en amont avec Aarshi Banerjee qui joue cette jeune Indienne dont mon personnage tombe amoureux. Et elle a eu raison. C’était mieux de se lancer comme ça. » Comme on saute dans le vide. « J’étais hyper angoissé mais la présence de Mia me rassurait. Même si du fait du tournage en pellicule, tu sais que tu as encore moins le droit à l’erreur. Sauf que très vite, tu finis par ne plus penser à tout ça. L’amplitude des horaires de tournage est bien plus grande qu’en France donc ta fatigue est telle que tu te laisses porter et ce d’autant plus loin de chez toi, en Inde où, quel que soit l’heure du jour ou de la nuit, il n’y a aucun moment de calme. Pour moi qui n’aime rien tant que la solitude et la tranquillité, cela représente une certaine idée du cauchemar. »
La tranquillité, Roman Kolinka la trouve au quotidien près d’Uzès, région chère au clan Trintignant, où voilà 3 ans il a ouvert La famille, un restaurant qui cartonne. « Ce rêve de gosse est aussi un moyen d’aborder ce métier avec moins de pression. » Car aussi étrange que cela puisse paraître, Roman Kolinka n’a passé aucun essai entre L’avenir et Maya. « Comme si on me pensait enfermé dans une famille de cinéma que j’aurais des réticences à quitter. Ce qui n’est évidemment pas le cas. » Et il loue cette distance prise par rapport à Paris. « Pour faire ce métier, il faut une certaine confiance en soi. Et la mienne n’est pas franchement délirante. Être loin et surtout faire autre chose en parallèle permet de prendre du recul, de ne pas prendre les refus ou les absences de proposition trop personnellement car c’est souvent parce que, tout simplement, tu ne corresponds pas aux rôles. » N’empêche, cette absence de propositions reste une anomalie que la découverte de Maya devrait vite corriger. « Avec Roman, j’ai rencontré celui qui possède exactement la note et se trouve pile à l’endroit exact où un acteur peut me bouleverser », souligne Mia Hansen- Love. On souhaite à nombre de ses confrères de vivre cette expérience.
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