Frite surgelée et meurtre : rencontre avec les réalisateurs Jean Libon et Yves Hinant.
Après le très remarqué Ni juge, ni soumise en 2018, Strip-tease revient au cinéma cette semaine avec Poulet frites. Un polar documentaire sur le meurtre d’une jeune femme, égorgée avec un couteau à pain dans un appartement bruxellois. La pièce à conviction ? Une frite surgelée, retrouvée dans l’estomac de la victime. Jean Libon, fondateur de l’émission culte, et Yves Hinant, réalisateur, nous racontent les origines de ce nouveau film, qui prend ses racines dans le passé.
Poulet frites est à la base un épisode de Strip-tease en trois parties, Le Flic, la juge et l'assassin, diffusé en 2007. Pourquoi avoir décidé de le remonter pour le cinéma ?
Jean Libon : En partie à cause du Covid. On avait une commande de film, et tourner des Strip-tease avec un masque devant la gueule, c'est un peu compliqué… Qu’est-ce qu’on pouvait bien faire ? Je me souvenais qu'il y a 20 ans, on avait fait un 3 x 50 minutes qui était bien, mais… c'était autre chose. Comme souvent dans les séries, ça traînait un peu. Je me suis dit : « Reprenons cette base et faisons-en un bon film noir en 1 h 40. » Je pensais que j'allais m'en sortir en deux jours de montage. Mais j’avais quand même envie de retrouver les rushes de l’époque. Et par miracle, alors que d’habitude on jette tout, on est tombé sur une boîte avec 100 heures de rushes, dans une salle de montage désaffectée. J'ai tout revisionné et tout remonté. C'est la même histoire, mais c'est un tout autre film, avec des éléments supplémentaires et une fin différente. Même dans le cheminement intellectuel du flic, il se pose autre chose. Et dès le début, j’ai eu envie du noir et blanc.
Pourquoi ?
JL : Parce que c’est la logique même. Pour moi, un bon polar doit être en noir et blanc. Mais je me suis bien gardé d’en parler au producteur et au distributeur (Rires.)
À aucun moment vous n’avez eu envie de vous saisir frontalement de la période Covid, et de tourner un film Strip-tease totalement inédit ?
Yves Hinant : C'est marrant que vous disiez ça, parce qu'avec Jean, j'ai fait un tournage sur une scène de reconstitution de crime pendant le Covid. C'était hilarant, vraiment super. Mais en fait on ne comprenait rien, on ne savait plus qui parlait à cause des masques. Malheureusement, tout était à jeter.
JL : Je sais aussi que le producteur en avait marre de recevoir des scénarios sur le Covid. Tout le monde écrivait là-dessus. Donc pour moi, il ne fallait absolument pas aller dans cette direction.
YH : Ceci dit, Strip-tease va revenir au cinéma l'année prochaine, avec cinq-six épisodes courts qui formeront un film. Et il y aura un sujet sur un hypocondriaque. Ce n'est pas moi qui l'ai réalisé donc je peux le dire : c'est absolument formidable. Donc on traite un peu le sujet Covid, mais de façon décalée.
JL : Ce n’est pas que nous sommes tordus : c'est la société qui l'est. Au journal télévisé, on ne voyait que des reportages dans des maisons de retraite et des hôpitaux. Personne n’a pensé à faire un hypocondriaque. Il y a quand même des gens qui allaient tous les jours se faire tester ! Je crois que c'était plus un sujet que des vieux en train de dire : « Oui, j'ai peur. »
Qu’est-ce que le cinéma apporte de plus à Strip-tease que la télévision ?
JL : Du temps, pour tourner et pour monter. Marco Lamensch, avec qui j’ai co-créé Strip-tease, dit toujours : « Il y a un tiers qu'on n'aurait pas dû faire, un tiers qu'on aurait pu mieux faire, et un tiers qui est quand même pas mal. » Sur 900 sujets, ça en fait quand même 300 qui tiennent la route. Et encore, je le trouve très positif quand il dit ça.
Vous pensez que c'est moins que ça ?
JL : Ouais, beaucoup moins. Il y en a plein qu'on n'aurait pas dû faire. Par contre, dans la masse de ceux qu'on aurait dû mieux faire, le problème est souvent lié au temps de tournage. On avait cinq jours pour tout mettre en boîte et dix pour monter. C’est un peu court. Maintenant qu'on a plus d'argent, il y a plus de jours de tournage et de montage. Donc en principe, la qualité doit être meilleure. Parce que si Strip-tease marche, c'est aussi grâce à tout ce qu'on met à la poubelle. Plus la poubelle est pleine, meilleure sera l'émission ou le film sera. Mais c'est une philosophie qui est difficile à faire comprendre.
YH : Et la manière de faire des films pour le cinéma est différente. On fait un effort sur le cadre, on arrive mieux préparés. Ça se joue aussi dans la temporalité, la manière de monter.
Est-ce que, la société évoluant et notre rapport à l’image également, il devient de plus en plus dur pour vous de trouver de bons sujets ?
YH : Oui, c’est compliqué de trouver des histoires. Déjà parce que Jean a pratiquement tout fait et donc on a du mal à arriver avec une nouvelle idée ou un nouvel angle. Mais ça l’est d’autant plus que des personnages qui dépotent un peu, comme ceux du flic et de la juge de Poulets frites, ça existe de moins en moins. Les gens sont plus dans le contrôle, dans une espèce de communication qui cannibalise tout. Et puis tout le monde se filme en continu et poste sur Instagram son assiette de soupe... Je trouve qu'on est de moins en moins dans dans l’essentiel.
JL : Les gens changent, l'appréhension de la société dans laquelle ils vivent maintenant n'est plus du tout la même que celle d'il y a 20 ou 40 ans.
Ça veut dire qu’on ne verra plus de long-métrage Strip-tease sur une seule histoire ?
YH : Non, pas forcément. Cette semaine, on va savoir si on pourra faire un reportage sur quelque chose qui n'a jamais été fait auparavant. Et moi, j’ai depuis longtemps envie de filmer les délibérations de jurés d'assises. Ça fait sept ans que j'essaie de le faire. Si on y parvient, c'est Douze Hommes en colères, mais en vrai.
JL : Ce qui nous branche, c’est ce qui est inédit.
YH : Jean m'a appris que quand c'est impossible, c'est là que ça devient intéressant.
Poulets frites, actuellement au cinéma.
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