Greta Gerwig revisite brillamment ce grand classique de la littérature américaine en le modernisant sans le trahir.
Au départ, il y a évidemment le roman de Louisa May Alcott, publié en 1868. L’histoire de quatre filles de la classe moyenne durant la guerre de Sécession où leur père, pasteur, est parti servir comme aumônier. Un succès public et critique immédiat qui a su traverser les époques. À la fois comme œuvre littéraire – Simone de Beauvoir a souvent expliqué combien elle s’était reconnue dans ce récit – et sur grand écran. Harley Knoles fut le premier à s’en emparer au temps du muet. Puis George Cukor en signa une nouvelle version en 1933 dont Mervyn LeRoy fit un remake plan par plan en 1949. Un demi-siècle plus tard, Gillian Armstrong s’en empare sans marquer les esprits, malgré la présence toujours incandescente de Winona Ryder. En 2019, Greta Gerwig a donc souhaité remettre au goût du jour l’œuvre de Louisa May Alcott. Avec la montée en puissance du mouvement #MeToo et le combat des femmes pour occuper une place digne de ce nom au cœur du système hollywodien, ce revival prend évidemment tout son sens. Encore fallait-il ne pas se contenter de filmer un symbole en oubliant de raconter une histoire. Ni moderniser à outrance sous peine de renier l’aspect intemporel de l’oeuvre.
FÉMININ PLURIEL
La présence derrière la caméra (et à l’adaptation) de Greta Gerwig fait évidemment un sort immédiat à ces inquiétudes. Comme comédienne (papesse du mouvement mumblecore), scénariste (Frances Ha) et réalisatrice (Lady Bird, son petit bijou de 2017), elle a su donner vie à des personnages féminins, tout en nuances, complexes et par là même terriblement attachants. Le défi était cependant d’une autre envergure ici. La douce Meg et ses trois petites sœurs – l’impulsive Jo, la dévouée Beth et l’orgueilleuse Amy – appartiennent à la mémoire collective. Les liens indéfectibles qui les unissent comme leurs rivalités et leurs jalousies sont connus de tous. Mais Gerwig possède une qualité inestimable : son sens du rythme. Cette impression – dans le jeu comme dans l’écriture des situations et dialogues qu’elle imagine – que son cerveau a toujours un coup d’avance. Et là, elle réussit un tour de force. Par un jeu subtil de flash-back et de flash-forward, elle modernise le récit sans en trahir l’essence. Là où tant de films en costumes se perdent dans leur obsession d’une reconstitution parfaite, figée, Les Filles du docteur March est une œuvre en mouvement aux échanges vifs et aux rivalités entre sœurs aussi violentes que déchirantes. Comme quand Amy jette au feu le manuscrit de Jo juste parce que celle-ci n’a pas voulu l’emmener au théâtre. Le talent de Gerwig est de ne jamais chercher à excuser ses personnages, à justifier leurs moments de lâcheté ou d’égoïsme. Elle crée de l’empathie en montrant à l’inverse combien leurs défauts tiennent une part essentielle dans leur accomplissement. Jamais le film ne s’endort ou ne s’appesantit sur une situation. Et du coup, quand le ton monte, les échanges gardent le même naturel et ne se perdent jamais dans cette hystérie que tant de cinéastes croient à tort consubstantielle au film de famille.
CASTING GÉNIAL
Romanesque en diable, Les Filles du docteur March offre enfin un autre immense plaisir, celui d’un casting génial. Avec deux figures de proue particulièrement irrésistibles : les deux sœurs les plus en concurrence, celles qui rêvent d’une carrière artistique et d’horizons nouveaux. Qu’elles montent dans les tours ou ruminent intérieurement leur rage, Saoirse Ronan et Florence Pugh sont littéralement exceptionnelles. La voie des nominations aux Oscars leur est grande ouverte. Aucune version des Quatre Filles du docteur March n’a jusqu’ici décroché de statuette. Le signe indien mériterait d’être vaincu.
Les filles du docteur March, en salles le 1er janvier 2020.
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