James Caan
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La famille Corleone a perdu un fils aujourd'hui.

"Bada-bing !" Voilà comment Sonny Corleone expliquait à son petit frère Michael comment on tuait quelqu'un dans la Famille : le flingue sur la tempe, les yeux dans les yeux, on presse la détente et "bada-bing", la cervelle de la cible est par terre. Sonny se moquait gentiment de son frangin, le joli "college boy" prêt pourtant à partir en guerre au nom des liens du sang. Face à Al Pacino, mutique et tourmenté, le Hamlet de la famille, c'était James Caan, qui incarnait le frère aîné, le César Borgia du Parrain, l'héritier flamboyant et charismatique. Plus que les balles du clan Sollozzo, ce sera la mort de Sonny, charcuté par des centaines de balles lors d'un guet-apens, qui mettra un terme à la vie de Don Corleone. Près de trente ans après Le Parrain, on découvrait Les Soprano : ses héros mafieux du New Jersey avaient baptisé leur club de strip-tease et quartier général du nom bien trouvé de Bada Bing !. Avec le point d'exclamation, évidemment.

James Caan est mort ce jeudi 6 juillet 2022 : il avait 82 ans, et était parvenu à ne jamais décrocher aucun Oscar ni Golden Globe au cours de sa longue carrière. Le rôle de Sonny lui avait évidemment valu une double nomination (comme à Pacino et Robert Duvall), mais en 1973, ce fut Joel Grey qui remporta le trophée pour Cabaret. Caan, lui, était peut-être trop basique, trop immédiat, trop simple et direct : tous les yeux de l'Académie étaient tournés vers Brando et sa perf écrasante, "à Oscars" comme on dit aujourd'hui. Tant pis. Tant mieux ? Né en 1940 dans le Queens au sein d'une famille d'immigrés juifs allemands, joueur de foot américain, il fréquente un certain Francis Ford Coppola à la fac dont il sortira sans diplôme. Mais il y tombe raide dingue du théâtre, des impros sanguines et violentes, de l'immédiateté du jeu. Il se forme à Broadway et joue pour Coppola dès 1969 dans Les Gens de la pluie. Son personnage -un joueur de foot américain désoeuvré- s'appelle Killer.

Avant le tournage du Parrain, il devait jouer Michael, avant que Caan et Coppola ne réalisent que c'était évidemment une erreur, et qu'il était fait pour jouer Sonny. Après Le Parrain, tout change et Caan devient une star de cinéma. Funny Lady avec Barbra Streisand, Le Solitaire de Michael Mann, Rollerball de Norman Jewison, Le Flambeur de Karel Reisz, Un pont trop loin de Richard Attenborough... Il joue même en France pour Claude Lelouch (le western Un autre homme, une autre chance en 1977, Les Uns et les autres en 1981), et aurait refusé le rôle de Superman parce qu'il détestait l'idée de porter une cape. Les années 80 sont un creux, il revient chez Coppola en 1987 pour Jardins de pierre -drôle de film, funèbre et contemplatif, sur les morts qui reviennent du Vietnam hanter l'Amérique. Un flop en salles, alors que Futur Immédiat, Los Angeles 1991, un buddy movie où Caan fait équipe avec un extra-terrestre, fait un tabac l'année suivante. Comme Misery d'après Stephen King en 1990, où il se fait torturer par Kathy Bates.

Ce sera au début du siècle qu'il retrouvera son aura de Sonny Corleone, dans les passionnants The Yards de James Gray et Way of the Gun de Christopher McQuarrie, incarnant des gangsters au crépuscule de leurs vies, comme des fantômes de Sonny, ou plutôt des réincarnations de l'aîné Corleone, qui ne serait pas mort fusillé atrocement, défiguré jusqu'à l'os, mais qui aurait pu vivre une vie splendide, à la fois cool et pleine de gloire et d'échecs, comme celle de Caan. Celle que l'on rêve au Bada Bing !, en regardant les filles de Silvio et Tony.