Scott réplique son péplum culte : le résultat est une série B démente, un sommet de divertissement ultra balaise.
Qui voulait voir une suite à Gladiator ? Personne. Pas vous, pas nous. Pas même Ridley Scott. C’est justement ça qui rend le film très intéressant : le fait que son réalisateur lui-même ne le tourne pas comme s’il accomplissait un fantasme vieux de vingt ans, mais comme un boulot comme les autres, entre un biopic de Napoléon et un autre des Bee Gees. Ce n’est pas la pêche à la baleine blanche. Ni un legacyquel conçu par un héritier obsédé par le premier film. Ceci dit, il ne faut pas se tromper : Gladiator II est conçu d’abord pour satisfaire le bureau des actionnaires, et non pas une quelconque vox populi qui réclamerait une suite à tue-tête.
Et que fait Scott ? Il vous jette du Gladiator à la gueule, et vous lance un "are you not entertained ?" limite cynique. On en oublierait presque la deuxième partie de la réplique : "c’est bien pour ça que vous êtes venus ?" Vous vouliez du Gladiator ? Vous êtes là pour ça ? (cris de joie de la foule) En voilà, et du saignant, de l’AOC, l’authentique, usiné par son créateur lui-même. Comme ça, personne d’autre n’est à blâmer, sinon notre propre gloutonnerie jusqu’au-boutiste pour la distraction -notre volonté de "se distraire à en mourir", comme l’écrivait Neil Postman en 1985.
En reproduisant assez banalement la structure de Gladiator 1er côté scénar (le héros, esclave puis gladiateur, etc.), la suite démontre évidemment que le premier film se suffisait très bien à lui-même, et peut-être aussi la vacuité des reproductions infinies des futilités du passé - au fond, que Gladiator II ne soit autre chose qu’un réplicant ultime, cela fait sens - répliquer étant une des grandes obsessions scottiennes. La séquence d’intro animée, résumant les moments forts du premier film, est signée Gianluigi Toccafondo, auteur de la séquence du logo Scott Free - continuité des imitations et des répliques.
Le premier Gladiator était déjà un sacré réplicant : une imitation d’imitation (le péplum de la grande époque, qui imitait le cinéma muet spectaculaire, lui-même imité des illustrateurs orientalistes, etc.), dans lequel les Romains, n’ayant plus rien à conquérir (comme le dit Maximus après la bataille d’intro où les Barbares se font écraser sans surprise, "il n’y a plus personne à combattre"), se retrouvent à imiter leurs batailles du passé dans l’arène du Colisée (la bataille de Zama). Gladiator II, c'est comme l'Italie de House of Gucci, où personne ne fait plus la différence entre les sacs à main authentiques et les copies chinoises.
Dans Gladiator II, quand Lucius (Paul Mescal, plutôt pas mal) se frotte les mains à la poussière de l’arène avant de se battre, il imite effectivement Maximus ; pas par symbolisme mais par pragmatisme (il jettera la poussière pour aveugler un rhinocéros qui le charge). Plus de place pour la grandeur, pour la poésie, pour "ce rêve qui fut Rome". Pas de naissance d'une nouvelle star (Russell Crowe) par la renaissance du péplum -ce que racontait Gladiator, en somme. C’est la décadence, la chute, la grande fiesta sur les ruines du monde, la jouissance avant la fin.
Justement : c’est d’abord sur le terrain du kif - donc du pragmatisme le plus pur - que Gladiator II se révèle le plus efficace. Scott sait que tant qu’à refaire son propre film, autant qu’il soit le plus kiffant possible. Autant shooter son héros à l'opium, autant mettre des babouins et des requins dans l’arène, autant mettre en scène des empereurs romains comme des voyous dégénérés, plus proches de Brighton Beach que du Palatin (génie du duo Joseph Quinn/Fred Hechinger, tout droit surgis de Uncut Gems). Autant laisser faire l’abattage hallucinant de Denzel Washington, qui joue son personnage de self made man parti à la conquête du pouvoir comme un réplicant d’Alonzo Harris plutôt que Frank Lucas.
Là où Alien : Romulus (produit par Ridley) déployait des efforts titanesques pour aboutir à un petit clone d’Aliens, le retour, Gladiator II imite également, mais pas pour aboutir à un bête clone du premier film : le film est une série B décadente parce qu’il veut bien l’être - mais une série B ultime, comme les péplums de la grande époque, sans volonté méta ou méprisante. C’est donc un film pragmatique, qui ne cherche pas à être autre chose : en cela, c’est une forme de piratage du blockbuster contemporain, en même temps qu’une leçon à méditer en matière de grand spectacle. Pas la peine non plus de mourir pour le faire, il suffit d’être un bon artisan avec les bons outils.
Scott a tourné Gladiator II comme d’habitude, comme ses autres films, dans le temps imparti, même en-dessous du budget prévu, et avec le final cut - qui est en plus dix minutes plus court que le premier film. Et voilà le travail. Vous n’êtes pas divertis ? C’était bien ça que vous vouliez ? Cris de joie de la foule.
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