Richard Gere dans Oh Canada (2024)
Oh Canada-LLC-ARP

De retour en compet’ le grand Paul Schrader signe un vrai-faux autoportrait crépusculaire dont la fièvre lyrique s’estompe peu à peu. Mais Richard Gere gère.

Au seuil d’une carrière qui continue de progresser malgré les aléas d’une santé déclinante, Paul Schrader opère avec cette nouvelle adaptation d’un roman de Russell Banks un retour aux sources de son cinéma et de sa psyché. Pas de refoulé pour autant. L’américain de 77 ans assure quotidiennement le service après-vente de sa propre personne, à travers la célébration de ses films (de Blue Collar à Master Gardener), de ses scénarios (Taxi Driver, Raging Bull...) ou de ses posts à répétitions sur les réseaux sociaux... Ce Oh,Canada se présente de fait ouvertement comme un testament à cœur ouvert, ultime introspection avant le grand saut. Leonard Fife (Richard Gere), son héros, est un réalisateur vieillissant atteint d’un cancer en phase terminale. Il accepte de participer à un long entretien filmé pour faire le point sur une existence en pointillé dont il entend combler les trous. Voici donc Schrader revenu à l’exercice de la biographie morcelée, un peu comme son Mishima (1985), oeuvre charnière de sa filmo qui marqua surtout la rupture définitive avec son frère, Leonard Schrader, mis à l’écart de ce projet qu’il avait en partie initié. Leonard Schrader / Leonard Fife. En lisant le roman de Banks dont il avait déjà adapté Affliction en 1997, le cinéaste a sûrement vu une occasion quasi subliminale de retisser ce lien défait avec ce frère mort en 2006. Mishima, avait en son temps, remporté un Prix de la meilleure contribution artistique ici même sur la croisette.  

 

Jacob Elordi dans Oh Canada (2024)
Foregone Film PSC

 

Fauteuil roulant et confidences

Dès les premières minutes, un gros plan sur un Richard Gere vieux, comme embaumé par la maladie, saute aux pupilles du spectateur immédiatement hanté par le fantôme du sensuel Julian Kay, l’éphèbe qu'il incarnait jadis dans l’American Gigolo (1980) du même Schrader. Le cinéphile entre donc dans ce Oh, Canada chargé à bloc. Gere/ Fife pris dans les phares des projecteurs, immobilisé sur un fauteuil roulant, laisse couler sa voix sur des images de son propre passé. Un passé où Fife apparaît alors sous les traits du jeune et élancé Jacob Elordi. Un passé surtout décomposé au gré des confessions, des souvenirs mais aussi des questions trop balisées d’une équipe de tournage sans cesse remise en boîte par l’intéressé. C'est que ce dialogue se veut surtout monologue voire confidence auprès de sa femme (Uma Thurman) dont il exige la présence. 

Uma Thurman dans Oh, Canada (2024)
Oh Canada-LLC ARP

Ce beau mensonge

Après sa trilogie janséniste amorcée avec Sur le chemin de sa rédemption en 2017, ce Oh, Canada se voudrait plus lyrique. C’est oublier que le bressonien Schrader est assez peu adepte des grandes effusions. Son Leonard Fife est dissimulateur. Il aura cherché en réalisant des documentaires une vérité qu’il n’arrivait pas à saisir sur lui-même. On veut bien tout entendre, avaler des couleuvres voire même suivre un petit rappel des théories de Susan Sontag sur la photographie (la vie suspendue, la mort sans cesse renouvelée...), c’est le jeu de ce beau mensonge. Sauf que tout ça finit par se mordre un peu la queue et ne révèle finalement pas grand-chose. La mise en scène bien que solide, apparait plaquée, les images lisses retiennent des personnages maintenus prisonniers d’un récit qui refuse bec et ongles de se déployer.

Le Gere est triste mais flamboyant. Thurman montre ici un visage volontairement fatigué. Quant à Elordi, il navigue gracieux et très à l’aise dans ces eaux dormantes. La vie, on le sait, est un puzzle dont il manque toujours des pièces. Et de souffle en l'occurrence ici.    

De Paul Schrader. Avec : Richard Gere, Jacob Elordi, Uma Thurman.... Durée : 1h37. Sortie indéterminée.

A lire aussi sur Première