Première
par Frédéric Foubert
Tout le monde déteste les biopics. Le genre a beau avoir engendré des chefs-d’œuvre (Raging Bull), des triomphes populaires (La Môme), des petits classiques (Walk The Line), il a beau valoir chaque année des brouettes d’Oscars à ses interprètes grimés et perruqués, on se pince tous automatiquement le nez dès qu’il est question de biographical pictures. Il faut dire que leurs conventions dramatiques (trauma enfantin - ascension - gloire - gros coup de mou et/ou mort tragique) sont assommantes et que la plupart d’entre eux sont des entreprises commerciales d’un cynisme effrayant. Pour un Ed Wood, combien de Dame de fer et de Grace de Monaco ? Avec Aline, évocation à la fois scrupuleuse et totalement fantaisiste du parcours de Céline Dion (rebaptisée Aline Dieu), Valérie Lemercier tente quelque chose d’inédit : le biopic de fan. Une déclaration d’amour, un courrier transi adressé par une midinette assumée à son idole. Lemercier raconte et joue Aline/Céline comme d’autres montent sur la scène d’un cabaret transformiste déguisés en Dalida, Sylvie Vartan ou Mylène Farmer, dans un geste où se mêlent le fétichisme, l’illusionnisme et la pure dévotion. Elle l’incarne un sourire aux lèvres, oui, mais jamais moqueur ou ironique. Si elle le fait en déconnant, c’est parce que Céline Dion, après tout, est elle-même la reine de l’autodérision, la plus décontractée des divas, et que les Québécois sont l’un des peuples les moins cul-serrés de la planète.
A vrai dire, Valérie Lemercier ne débarque pas complètement en terre inconnue. On pourrait presque voir son film comme une reformulation mainstream, taillée pour les multiplexes de l’Hexagone et le prime-time de TF1, des essais queer de Todd Haynes autour de David Bowie (Velvet Goldmine), Bob Dylan (I’m Not There) ou Karen Carpenter (Superstar). Lemercier en reprend le côté maison de poupées, le brouillage entre légende et réalité, et la revendication d’un goût pour les freaks et le beau bizarre. Quand elle interprète Aline à cinq ans dans les premières scènes du film, ce n’est pas seulement un clin d’œil à sa parodie de L’école des fans avec les Nuls, mais une manière de dire, à l’aide d’un effet spécial rigolo, à quel point les enfants qui naissent avec une voix comme celle de Céline Dion sont des créatures à part, condamnées à évoluer tels des aliens au milieu du commun des mortels. Partant de là, le film s’emploie à décrire une vie de folie show-biz de façon très prosaïque, comme une version à la bonne franquette de A Star is born : la visite chez le dentiste afin de devenir une star internationale, le temps qu’il faut pour sortir de la scène du Caesars Palace de Las Vegas et arriver à l’heure à la maison pour dire bonne nuit aux enfants, la difficulté de trouver le chemin de la salle de bains quand on habite dans un palais… Des saynètes liées entre elles par l’histoire d’amour entre Aline et son pygmalion René (pardon, Guy-Claude), dépeinte comme une love story magnifique, une fable pop légendaire. Comme si la lecture de Closer prenait soudain une dimension mythologique.
Valérie Lemercier est tellement fan de Céline Dion qu’elle paraît d’ailleurs presque intimidée de l’incarner, parfois comme absente à son propre film, refusant l’idée de la performance à la Jérémie « Cloclo » Renier. Les scènes musicales, étonnamment straight, manquent de folie. Mais cette retenue a l’avantage de laisser le champ libre à une fantastique bande d’acteurs canadiens inconnus sous nos latitudes (Danielle Fichaud, Sylvain Marcel, Roc LaFortune…) qui donnent au film son supplément d’âme. En envisageant aussi Aline comme un film de troupe, Valérie Lemercier évite l’écueil du délire idolâtre. Et invite tout le monde à jouer avec elle.