Les Minions
Universal

Les capsules jaunes d'Illumination vont se défouler dimanche soir sur France 2.

Voici la version longue de notre interview de Pierre Coffin, rencontré à l'été 2015, au moment de la sortie des Minions. A ce moment-là, le film d'animation n'avait pas encore rapporté 1 milliard de dollars au box-office mondial. Depuis, sa suite a officiellement été lancée. Elle sortira en juillet 2020 au cinéma.

Moi, Moche et Méchant 1 et 2, maintenant Les Minions, demain Moi, Moche et Méchant 3. Visiblement, vous n’arrivez pas à lâcher vos personnages…
(rires) C'est vrai, j’ai du mal. À chaque fois, je me dis qu’on ne m’y reprendra plus, et puis les producteurs ou les scénaristes reviennent avec une super idée. Tenez : je vais réaliser Moi Moche 3 parce qu’ils m’ont proposé un point de départ délirant. J’ai immédiatement senti le plaisir que pourrait prendre Steve Carell à jouer ce qu’on allait lui soumettre et je me suis dit que je ne pouvais pas laisser passer ça. 

Les comédiens font à ce point partie du processus de création ?
Complètement. Gru, c’est sa création. Il a influencé 99% de l’animation… Quand tu es accompagné par des talents comme Steve Carell ou Sandra Bullock qui fait la méchante desMinions, il faut leur laisser un espace de création, sinon ça ne sert à rien. J’aime partir de leurs voix et donner mon interprétation de ce qu'ils jouent.

Honest trailer méchamment drôle des Minions

Comment sont nés les Minions ?
Un peu par accident. Dans le premier Moi, Moche et méchant, on avait imaginé une armée de méchants, des personnages très musclés qui faisaient le sale boulot de Gru. Le problème c’est que ça le rendait très antipathique. A l’origine le film était plus sombre, presque gothique ; Gru ressemblait à Dracula et les minions à des trolls. Ca ne me plaisait pas beaucoup et du coup, pour adoucir tout ça, on a imaginé que Gru connaissait tous ces assistants par leurs noms. On a réduit leur taille, on les a dessiné en jaune, on leur a mis des lunettes et des salopettes et... on avait les Minions. Dès la première ébauche, on savait qu’on tenait un potentiel de comédie énorme qui pourrait contrebalancer le côté diabolique du héros. 

Comme les Gremlins, ils agissent comme des enfants en fait ?
Exactement. Ils sont complètement irresponsables, ne s’expriment pas clairement, et aiment Gru comme si c’était leur père. L’influence principale c’était les cartoons de la Warner Bros, les vieux Bugs Bunny. Certains dessins animés de cette époque restent ce que j'ai vu de plus drôles dans ma vie. 

Mais comment est né le film ?
Il y a des mois, Chris Meledandri (le patron du studio Illumination) m’a demandé si je pensais que c’était possible de faire un long métrage centré sur les Minions. J’ai accepté parce que j’adore ces personnages complètement fous. Ils sont taillés pour l’animation. On ne pourrait pas les faire en live… Ce sont des formes très simples qui permettent de revenir aux fondamentaux du cinéma, à Chaplin, au burlesque, à la comédie physique… Brian Lynch (le scénariste) est arrivé avec l’idée du monde parallèle où tout le monde est méchant et on a très vite imaginé la genèse de ces personnages. L’écriture du script s’est faite assez facilement au fond. 

Tous les secrets de la saga Moi, Moche et Méchant

D'un point de vue narratif, les Minions paraissent pourtant avoir un potentiel très limité…. 
(sourire) Vous voulez dire : est-ce que je n’ai pas eu peur de faire un film d’une heure trente avec des personnages qui ne parlent pas (ou uniquement par borborygmes), qui sont un peu bêtes et qui ne sont à l’origine que les acolytes du méchant ? La première année, on s’est beaucoup posé la question. On avait même une première version où l’on introduisait un personnage humain, mais au bout de quelques mois, on a fait machine arrière parce que ca devenait un film sur ce personnage et moins sur les minions. C’est à ce moment là qu’on a eu l’idée de faire émerger du groupe trois personnages : le grand frère, Kevin ; Stuart, l’ado je menfoutiste ; et Bob, le gamin émerveillé.>>>

Vous parliez de l’influence des cartoons. Y avait-il dès le départ une volonté de vous démarquer de Moi, Moche… en accentuant cet aspect cartoon au détriment de l’émotion ?
Un peu, oui, mais c’est inhérent aux Minions. Ici l’émotion vient moins des personnages que du design artistique ou de la mise en scène. Transposer l’action en 1968, jouer avec le Technicolor et utiliser des musiques qu’on n’a pas l’habitude d’entendre dans ces contextes-là... tout cela devait provoquer des émotions particulières. Du rire, mais aussi de la tension et des vrais moments de mélancolie parfois. 

Ce qui est fou, c’est que vous arrivez à faire passer ça par les voix des Minions qui, littéralement, ne disent rien !
C’est un de mes plus grands plaisirs ! Je suis seul face au micro en train d’écrire des absurdités, en me demandant quels mots je vais utiliser, quelles sonorités trouver pour donner un sens à tout ça. Souvent, je n’y arrivais pas, et alors j’utilisais de vrais mots. La magie de l’animation, plus l’empathie qu’on peut avoir envers ces petits bonshommes, fait qu’on comprend tout ce qu’ils disent bien que ce ne soit jamais clair. 

Trop de gros mots dans Moi, moche et méchant 2 ? Le langage des Minions a été modifié

Vous travaillez au sein d’un univers américain et vous avez réussi à dynamiter le film d’animation US… mais quelle part d’européanité reste-t-il dans vos films ?
Pas mal de gens disent qu’il y a un côté irrévérencieux dans ce que je fais. Je cite beaucoup les Rubrique-à-Brac de Gotlib en exemple ; Sempé est aussi une référence essentielle pour moi. La simplicité de ses cases, l’économie de sa mise en scène : une idée par plan pas plus ! Je pense à cette règle pour chacun de mes films. Mais je crois que j’apporte surtout un esprit un peu frondeur. Par exemple : sur Moi, moche et méchant 2, quand les scénaristes m’ont pitché l’histoire et qu’ils m’ont dit que c’était une love story qui se terminerait sur un mariage, je les ai pressés de revoir le script. Comme ils n’ont rien trouvé de plus satisfaisant, ils m’ont demandé de donner ma version d’un mariage acceptable et je leur ai tout de suite dit qu’il fallait du quatrième, du cinquième degré, avec une musique d’intro très molle, qui se poursuivrait par une scène très franchouillarde où les invités danseraient la chenille pour finir sur les Village People ! D’un seul coup, ça devenait drôle. Quand on pousse les clichés dans l’extrême, et qu’on montre que c’est pour rire, les gens le sentent. En faisant ça, j’ai un peu européanisé l’idée de départ qui était très américaine - très premier degré. 


Prêt pour les Minions 2 ?
Hmmm…. Là, j’ai accepté Moi Moche 3, mais je pense que ce sera le dernier. Il faudrait peut-être que je fasse un film en France, avec les contraintes que ça implique. J’aimerais aussi faire du live, mais en restant très cartoon. Je me dis qu’il y a peut-être un moyen de revenir vers Tati, avec le côté poétique et drôle de ses films, mais franchement plus burlesque. On verra...
Pierre Lunn et Christophe Narbonne