Dans cette comédie de 1994, Michel Blanc joue Michel Blanc, dont le sosie multiplie les dérapages qui finissent par lui retomber dessus.
France.TV poursuit son hommage à Michel Blanc, ce soir, en proposant sur France 2 sa deuxième réalisation, Grosse fatigue. Une comédie très originale, que Première vous conseille chaudement.
Dix ans après Marche à l'ombre, Michel Blanc était repassé derrière la caméra pour écrire et réaliser ce film qui fut primé à Cannes : il fut récompensé en 1994 pour son scénario et ses effets spéciaux réalisés par Pitof (Vidocq). A l'époque, l'acteur, scénariste et réalisateur s'était confié dans Première auprès d'Alain et Jean-Yves Kruger, accompagné de son actrice principale, Carole Bouquet, à propos de ce projet inspiré par une mésaventure arrivée à Gérard Jugnot.
Quelques années auparavant, le comédien du Splendid avait été victime d'une usurpation d'identité, et l'affaire avait fini devant la justice. Bertrand Blier et Michel Blanc se sont emparés de cette histoire vraie pour la transformer autour d'un autre membre de la troupe (Blanc, donc), accusé d'avoir abusé sexuellement plusieurs actrices, d'avoir participé à des braquages, et d'avoir semé la zizanie au festival de Cannes. Lui se sait innocent, mais comment le prouver ? Il découvre alors qu'il a un sosie, qui a tellement souffert de ressembler à Michel Blanc qu'il a décidé... d'en profiter.
En 2019, le vrai Michel Blanc revenait sur les films marquants de sa filmo dans Première, et il expliquait à propos de ce projet ambitieux (50 millions de francs à l'époque), qui réunissait tous ses copains acteurs, de Josiane Balasko à Christian Clavier en passant par Gérard Jugnot :
"J’ai eu envie de parler du rapport étrange entre le public et les célébrités. Mais j’ai mis du temps à trouver comment. J’ai essayé sans succès avec Josiane Balasko et Jacques Audiard. Puis on m’a suggéré de travailler avec Bertrand Blier qui m’a appris à écrire. Car jusque-là, je bridais mon imagination par mon obsession de structurer parfaitement chaque scène. Alors que Bertrand suit la logique inverse : il imagine une première scène sans avoir en tête la suite. C’est aussi pour cela que j’ai vite compris que notre duo ne mènerait à rien : ce que je lui proposais ne collait jamais avec sa liberté de création. Bertrand a donc écrit seul une première version. Et c’était tellement du Blier que je ne voyais pas l’intérêt de le mettre en scène. Mais il a eu l’idée de faire jouer leur propre rôle à des acteurs. Cette mise en abîme changeait tout. Et quand j’ai appris que Depardieu voulait récupérer le projet, je m’en suis réemparé en m’inspirant évidemment des trouvailles de Bertrand."
Il y a 30 ans, il racontait encore plus en détails comment il avait eu l'idée de ce film, s'amusant du fait que dans la vraie vie, il n'avait "jamais eu aucune envie de violer Balasko !" ("C'est pas péjoratif pour elle, simplement il se trouve que nos rapports ont pris un autre tour"). Il expliquait aussi d'emblée que Grosse Fatigue n'était pas le projet le plus osé de sa carrière : "Tenue de soirée, c'est vachement provocateur. Mais dans un autre registre." Reconnaissant l'influence de Blier sur sa fabrication, il considérait tout de même avoir finalement fait une comédie capable d'avoir son propre ton, même si elle était présentée au public comme étant née "sur une idée de Bertrand Blier."
Sa sélection au festival de Cannes l'amusait beaucoup ("Monter les marches pour ce film-là, c'est comme si je leur faisais une blague !"), et si l'aspect "méta" de jouer avec cet énorme rendez-vous du cinéma dans son film était pleinement assumé, il jurait ne pas avoir piqué l'idée aux Nuls, qui sortaient au même moment La Cité de la peur, et sa fameuse séquence de montée des marches ("Alors que revoilà la sous-préfète...") :
"Je n'ai pas encore eu le temps de le voir, mais moi, je n'ai pas voulu faire de pastiche. Je voulais jouer avec la réalité d'une manière plus trouble. (…) Ce qui m'intéressait, c'était de trouver un nouveau style de comédie, avec un ton plus ambigu. En tout cas, je ne voulais plus faire de comédies réalistes premier degré comme Marche à l'ombre ou les comédies de café-théâtre. (…) Je voulais faire une farce, c'est à dire y aller carrément sur tout et sur chacun. Je traite tout le monde pareil : moi-même comme les flics. Il me semble que c'est comme ça qu'on 'secoue'.
(…)
Paradoxalement, je crois que Grosse fatigue est le film qui me ressemble le plus. En tout cas, c'est une étape vers quelque chose qui me ressemble vraiment. Donc, j'ai d'autat plus peur de le recevoir sur la gueule."
Assumant sa fin "optimiste" et son attachement au cinéma européen, il reconnaissait son envie de ne pas rester cantonné à un registre, à un type de rôle. Au même moment, ses complices Gérard Jugnot et Christian Clavier semblaient alors avoir trouvé leur style de comédie : touchante pour le premier, qui sortait alors Casque bleu, très efficace sur le plan humoristique pour le second, qui venait de cartonner grâce aux Visiteurs.
"(Je suis) chanceux d'avoir la possibilité de naviguer un peu comme je l'entends, commentait Michel Blanc. Je sais que je m'ennuierais à l'intérieur d'un style donné, même si c'est d'une cohérence et d'une efficacité plus grandes quand on essaie de 'construire' une carrière (ce à quoi je ne crois pas du tout, d'ailleurs). Je ne fais pas ce métier pour me faire chier. Je ne fais pas ce métier pour, à tout prix, être populaire, mais je suis ravi quand ça se passe bien. Alors, si je ne suis pas cohérent, tant pis ! Je suis peut-être moins cohérent que Clavier, même en tant qu'être humain... C'est vrai que j'ai une vie moins rangée que Christian."
Grosse fatigue, un film d'auteur ?
"Quand je l'ai écrit, c'était une comédie, répondait Michel Blanc. Je n'ai pas pensé une seule seconde à faire autre chose qu'une farce provocatrice. Et la première personne à m'avoir dit que c'était un 'film d'auteur', c'est Carole. Moi, je suis ravi. C'est un compliment qui me touche."
Carole Bouquet, invitée à commenter sa filmographique dans les pages suivantes, confirmait ses propos :
"Grosse fatigue, j'appelle ça une comédie diabolique. Je n'ai pas vu jusqu'à présent de film qui ressemble à celui-ci. C'est un film qui ressemble totalement à Michel. C'est vraiment un auteur."
Grosse fatigue a connu un joli succès il y a 30 ans, sans être aussi important que les 6,1 millions d'entrées enregistrées par Marche à l'ombre, en 1984. Le film a été vu par 2 millions de spectateurs en France à sa sortie, ce qui le place entre les scores des Bronzés et du Père-Noël est une ordure au sein de sa filmographie en tant qu'acteur. Assez loin derrière les 10 millions des Bronzés 3 ou des 4 millions de Raid Dingue, Les Fugitifs, Les Nouvelles aventures d'Aladin ou Papy fait de la résistance, mais tout de même assez pour assoir Michel Blanc comme un scénariste et réalisateur qui compte en France. Il a réalisé trois autres films par la suite : Mauvaise passe, en 1999, Embrassez qui vous voudrez, en 2002, et Voyez comme on danse, en 2018.
Quel sera le dernier film de Michel Blanc ?
Commentaires