Une course folle portée par Tom Hardy et Charlize Theron à (re)voir dimanche soir sur France 2.
« Si ta première scène ne provoque pas une érection, recommence tout ». George Miller a bien retenu les leçons de Sam Fuller. La première séquence de Fury Road est ce qu'on a vu de plus bandant au cinéma depuis... trop longtemps. Le logo Warner customisé. Les moteurs qui grondent. Les cris qui résonnent. Et l'écran qui s'ouvre sur Mad « Tom Hardy » Max de dos scrutant l'horizon près de sa bagnole. Un saurien qui glisse sur le sable et que le guerrier de la route va écraser de sa botte avant de le dévorer tout cru...
George Miller : "J'ai fait Mad Max pour retrouver l'essence du cinéma"
Du sang dans le moteur
Comment se réapproprier ce qui nous a échappé ? Comment récupérer son sceptre ? Avec ce plan chargé de significations d'abord. Il y a l'icône, de dos, dans l'exacte position où l'on laissait le road warrior à la fin des trois précédents films ; il y a ce lézard à deux têtes, symbole du passé, totem d'un monde dégénéré, écrasé d'un coup de talon et bouffé cru ; il y a cette mise en scène, limpide, plan-séquence lent, acéré, ultracadré, comme la prémisse et la promesse de la furie qui arrive. La tempête qui se prépare. La tempête ? Dix minutes d'action non stop qu'on a vues dans toutes les bandes-annonces. Monstrueuse, fluide, organique, belle et violente, la séquence mène Max du désert à la cité d'Immortan Joe. Une course-poursuite. L'accident. Et le Prométhée moderne est enchaîné, enfermé dans une Babel primitive et futuriste. Il se détache, s'enfuit, se suspend à un croc de boucher, court dans les boyaux d'une caverne monumentale, distribue des coups de boules à des punks anonymes... Ces premières minutes annoncent la couleur et fonctionnent comme une cinématique de Metal Gear Solid. Là où le premier plan n'était que calme angoissant, la scène qui suit est hystérie jouissive, toute d'ellipses et de jumpcuts furieux. En moins de 10 minutes, les plus incroyables prouesses virtuelles s'associent à un sens du stortytelling hyper clair. Les syncopes de montage, les fulgurances visuelles exaltent la narration avec une force insensée. Pensez Hideo Kojima qui s'accouplerait avec Alan Moore et vous aurez une idée pas si mauvaise que ça de ce à quoi ressemble ce morceau de bravoure.
Et il y en aura d'autres... Mais celui-là aura suffi pour que Miller se remette sur les rails, remette les pendules à l'heure, les choses en ordre et rattrape 25 ans d'absence. Sous nos yeux, le Roi vient de récupérer son trône. Miller est de retour. On n'a vu que quelques minutes, mais Fury Road s'impose déjà, à ce moment-là, comme un manifeste-dripping, une proposition frondeuse pour un cinéma différent. Nihiliste, loin du blockbuster d'aujourd'hui boursouflé et désincarné, Mad Max 4 est une épure punk, un film jusqu'au boutiste qui va tenir les promesses de son titre grande-gueule. On le sait. On le sent.
Même sans les effets spéciaux, Mad Max Fury Road est très impressionnant
Métal Hurlant
Miller nous avait prévenus : Mad Max est donc cette longue course-poursuite, un aller-retour qui voit Max et l'impératrice Furiosa (une ancienne du clan qui s'enfuit avec de jeunes femmes habillées de blanc) aller d'un point A à un point B avant de revenir au point A...Du sableDes flinguesDes bagnolesDe la musique. Rien d'autre.
La sécheresse, la violence et la puissance du mythe portées à incandescence. Mad Max Fury Road est un roadster-movie du néant hurlant (« WHAT A LOVELY DAY » gueule le personnage de Nicholas Hoult) du métal éructant, avec bolides customisés, fusils à canon scié, lances primitives, viol et vide, bien et mal dans un grand rut goudronné. Sans Gibson, mais avec Hardy, le cinéaste recycle les codes des trois précédents films (look punk, ambiance bondage, musique, et esthétique 70's du désert existentiel) qu'il fusionne dans des codes esthétiques ultra-contemporains (les emprunts aux jeux vidéo, à la BD, au numérique). Incroyablement brut et brutal (« j'ai fait beaucoup de CGI ces derniers temps, nous confiait tonton George, mais tout ce que vous verrez ici est vrai ») Fury Road est en terme de pur plaisir de spectateur, en terme d'entertainment, d'une virtuosité et d'une excitation folles. Film hybride qui mélange western, postapo, opéra rock, musique et danse (pour mettre en image ses concepts), il a les atours d'un blockbuster dégénéré et produit un ride émotionnel que les concurrents sont bien en peine de fournir. Ce quatrième Mad Max est plus fast et plus furieux que les poursuites de F&F 7. Plus terminal que les futures visions de Terminator Genisys. Parce que sur tous ces plans (puissance, énergie, violence) Miller écrase tout ce que Hollywood a produit depuis des lustres. Refusant de céder à l'idée reçue qu'un film doit ménager son spectateur avec des moments de flottement, des respirations, Fury Road, envisagé comme un immense morceau de bravoure non stop, suit un tempo fou dont il ne s'écartera jamais.
Mad Max Fury Road : Il y aura une origin story du guitariste dans la suite
Au-delà des mots
Pourtant, Fury Road va au-delà. On a pu lire ici ou là que ça ne racontait rien. Peut-être parce que ça ne raconte rien par les mots. Mais Fury Road est, lâchons le gros mot, un grand film d'auteur. Une nouvelle tentative radicale de mettre en image les mythes (l'obsession de Miller) et de s'interroger sur l'essence de l'homme. C'est Beckett dans l'outback (l'incommunicabilité, la néantisation), une tragédie de Shakespeare post-crise-pétrolière (Furiosa copie peu conforme de la Tamora de Titus Andronicus), Eschyle avec des Euménides qui ressemblent à Joan Jett... Un pied dans le passé et l'autre dans le futur (ou plutôt un pied sur l'accélérateur et l'oeil dans le rétro), Miller cherche encore et toujours à comprendre ce qui fait bouger l'humanité, pourquoi notre monde est déréglé (on peut multiplier les parallèles entre Immortam Joe et les tyrans modernes) et comment expliquer qu'on se constitue en communauté - c'est l'enjeu du troisième acte, le plus beau, le plus brûlant, intense comme un western de Ford ou de Fuller justement. Pour ceux qui n'auraient pas compris, on rappellera simplement que Miller avait suivi le destin d'un pingouin qui faisait des claquettes et assumait se destinée christique (Happy Feet) ; qu'il avait lancé un cochon messianique à la rescousse d'un fermier (Babe) et qu'il avait su infuser les hérésies, la Kabbale et le concept de pureté, dans un sabbat infernal et jouisseur (Les Sorcières d'Eastwick). Sa saga Max, au fond, tourne autour de questions existentielles qui montrent à la fois l'insatiable soif destructrice de l'homme et son besoin contradictoire de se rassembler (même chanté par Tina Turner).
Mad Max et les femmes : une longue histoire d'amour
Fury Road c'est AUSSI tout ça : un grand film féministe, un western progressiste, un objet de SF pop hurlant. C'est surtout une descente aux enfers qui réinvente une certaine forme de cinéma.
L'oeuvre d'un génie qui revient au sommet de sa gloire.
Gaël Golhen
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