Happy Feet 2 revient sur France 4.
A l'occasion de la rediffusion de Happy Feet 2 (avec Brad Pitt qui double une crevette !), ce vendredi soir sur France 4, nous republions ce long entretien du réalisateur George Miller, publié initialement à la sortie du film d'animation, en décembre 2011. Depuis, nous l'avons à nouveau rencontré dans le cadre de la sortie de Mad Max Fury Road, son film événement de 2015.
George Miller : "J'ai fait Mad Max pour retrouver l'essence du cinéma"Interview du 12 décembre 2011 : Happy Feet 2 est un drôle de film. Avec la deuxième aventure de Mumble, le pingouin qui fait des claquettes, George Miller signe un film étrange, une fable disruptive et bâtie sur la frustration (les promesses de voyage constamment avortées). Toutes les obsessions de Miller sont pourtant synthétisées, comme si le cinéaste australien avait voulu faire le point sur ce qui agite sa filmo depuis maintenant plus de 30 ans. Tout cela méritait bien qu'on fasse s'arrête avec lui, pour parler de Mad Max, de Lorenzo et d'enfants en crise. Première partie de notre interview fleuve.
Par François Grelet
Première : George Miller, quand on regarde votre filmo on se rend assez vite compte que chez vous les enfants sont généralement en crise, abandonnés, malades voire carrément morts. Happy Feet 2 perpétue d’ailleurs cette tradition du fiston en souffrance. Elle était si triste que ça votre enfance ?
George Miller : Ahah, non pas du tout. Enfin… (une pause). C’est marrant, je n’avais pas jamais encore fait ce lien. J’ai grandi au milieu de mes trois frères et de mes parents, qui étaient vraiment des gens adorables ; donc en théorie je n’aurai pas le droit de vous dire que je me sentais seul, isolé. Mais c’était pourtant le cas. C’est le cas pour chacun d’entre nous. C’est une période où vous êtes en lutte permanente avec vous-même, avec les autres, où vous cherchez à savoir qui vous êtes…
C’est plutôt l’adolescence, ça non ?
Ah non ! La solitude c’est un sentiment qu’on expérimente très tôt dans la vie. Vers 5 ou 6 ans. C’est vrai que ça a pu rejaillir dans mon travail… C’est troublant. Attendez - je réfléchis… Rah oui c’est même là dans Babe, puisqu’il perd sa maman au début du film… Je peux vous assurer que ça n’a rien de conscient, mais j’ai du mal à le relier a un évènement particulier de ma vie privée. Ça vient peut-être de mon attachement à la mythologie, puisqu’au fond ça respecte un schéma classique où le héros se construit en perdant ses parents, où justement en perdant un enfant…
Sauf que chez vous ça peut s’exprimer à travers des films classés X ou au contraire des comédies PG…
Ça c’est différent. Je me fous des genres. Vraiment. Mais puisque nous parlons des enfants, je sais précisément que c’est à cause des miens que j’ai voulu me mettre à raconter des histoires comme Babe ou Happy Feet… J’ai vu les effets que ce genre de contes produisaient sur eux, et j’ai vu aussi le plaisir évident que je prenais à leur lire…
Justement, le basculement de votre carrière pourrait bien être Lorenzo, finalement. C’est après celui-là que vous avez commencé l’Acte 2 de votre odyssée, en quelque sorte… Comme si après avoir ausculté la lente dégradation d’un enfant, vous n’aviez plus voulu faire de films que pour eux.
Oui, on peut voir les choses comme ça. En tout cas je n’ai plus été tout à fait le même cinéaste après Lorenzo. C’est aussi lié au fait que je venais également d’être père, mais… (il essaie de commencer trois phrases, puis pause). Vous parliez des classements de mes films devant la commission de censure tout à l’heure. Lorenzo a été classé PG 13, bon… Je crois pourtant que c’est le film le plus violent, le plus insoutenable que j’ai jamais réalisé. Sauf que tout le monde pense que c’est un film familial… C’est pour ça que c’est très compliqué d’analyser ces choses, de parler de basculement ou d’Acte 2. Vous voyez ? C’est plus facile pour moi de vous dire que c’est un film qui a été profondément lie à mes angoisses liés à la paternité. Une forme d’angoisse avec laquelle je lutte encore aujourd’hui.
Oui, on le sent bien dans Happy Feet 2…
Ah bon ? A quel moment ?
La scène où Erik crie son amour pour son père sur fond de Tosca. D’ailleurs c’est marrant cette façon que vous avez d’organiser les grands moments émotionnels de vos films sur des airs d’opéra. Il y avait déjà ça dans Les sorcières d'Eastwick, Lorenzo, Calme blanc…
J’aime la grandiloquence de l’opéra. Au premier degré l’histoire où les personnages sont généralement grotesques, mais il y a dans ce medium une puissance émotionnelle qu’on ne trouve nulle part ailleurs. C’est évidemment lié à la musique mais aussi à sa toute-puissance métaphorique. A ce niveau-là c’est sans égal. Ça vous ravage. La scène de Happy Feet 2 dont vous parlez devait être à l’origine un simple monologue, sans musique. Mais ça ne collait pas. Les dialogues étaient toujours à côté de la plaque, alors que je voulais susciter chez le spectateur une forme d’émotion, comment dire, volcanique. Je me suis alors souvenu qu’il y avait un frisson de cet ordre chez Puccini, le côté volcan en éruption. Et désolé, il n’y a aucune "pop song" sur cette Terre qui puisse exprimer de manière aussi limpide ce genre d’émotions. De manière plus générale c’est sûr que l’opéra m’a clairement aidé à me construire en tant que réalisateur. De toutes façons, j’ai toujours pensé mes films de manière musicale, maintenir le "flow", l’envie de faire durer - ou pas - la note, la recherche de l’harmonie. Ce genre de choses. Bien avant Happy Feet, ces préoccupations-là étaient centrales. C’est pour ça que je passe autant en salle de montage.
Et c’est aussi pour ça qu’il vous faut en moyenne 5 ans pour achever un film ?
Non, ça c’est plus lié à l’écriture. A part Eastwick j’ai écrit chacun de mes films. Et croyez-moi , je suis trèèès lent ; j’ai aussi besoin d’être infusé de mes personnages avant le tournage, de les sentir. Sinon j’abandonne. De toute façon je ne suis jamais vu comme un "professional filmmaker". Quand le projet Justice League a capoté par exemple, j’étais littéralement dévasté, inconsolable. Parce que les bons sujets sont rarissimes, et là j’en tenais un. C’est le genre de sentiments qui dépasse le cadre du cinéma. Du coup, oui je prends mon temps entre chaque projet, parce qu’il faut s’autoriser des périodes de doute, avant de lancer le tournage. Mais, vous allez être content, le prochain Mad Max : Fury Road, devrait être prêt pour 2013... (Il sort son Iphone de sa poche et nous montre une vidéo). Vous voyez c’est pour ça que je n’ai pas pu tourner Mad Max cette année.
… ?
Et bien ça, théoriquement, c’est le désert australien. Sauf que comme vous pouvez le constater, il y a des fleurs partout. A la suite des plus grandes intempéries depuis 70 ans, toute la végétation a repoussé… et le tournage l’a été aussi.
Mince, on vient de voir un inédit de George Miller sur Iphone !
Ah ah, oui.
Ça sera la cinquième suite de votre carrière. Sur neuf longs métrages.
C’est ce que je vous disais. Les univers que je crée finissent par m’obséder. Ils deviennent une partie de moi, m’habitent littéralement, et m’obligent à les revisiter. Ca fait plus de trente ans que je vis chaque jour avec Mad Max. Et je n’ai vraiment pas envie de mettre fin à cette cohabitation.
A suivre... La deuxième partie de l'entretien de George Miller est à lire ici.
Mad Max : Furiosa a une date de sortie
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