Tous les jours, le point à chaud en direct du 77e festival de Cannes.
Le film du jour : Les Linceuls de David Cronenberg (en compétition)
Cronenberg, le retour, acte 2. Il avait annoncé son départ en retraite après Maps to the Stars, en 2014, mais a finalement décidé de revenir au cinéma – alors même que ses rejetons body-horror se bousculent aujourd’hui sur les marches de Cannes (du Titane de Ducournau à The Substance de Coralie Fargeat). Dans Les Crimes du Futur, en 2022, il se présentait en body-artist vieillissant, sous les traits de l’alter-ego Viggo Mortensen. Encore plus perso, encore plus intime, encore plus autobio, Les Linceuls (The Shrouds en VO) lui a été inspiré par la mort de sa femme.
Vincent Cassel (relooké Cronenberg, avec ses cheveux blancs dressés sur le crâne et son lifestyle d’intello zen vivant dans les nuages de Toronto) joue un entrepreneur de pompes funèbres du futur qui a inventé une technologie permettant d’observer en temps réel la décomposition des corps de ses proches décédés. Cronenberg cogite à la religion, à la technologie, au complotisme, dans la même forme "éteinte", dépouillée (= un peu rasoir), que celle des Crimes du Futur : de longues scènes de bla-bla atones au service d’une intrigue de thriller parano un peu fumeuse. Le cinéaste fait d’ailleurs à peine semblant de croire à son histoire-prétexte.
N’empêche : ce qu’il dit et montre du travail du deuil, du rapport des vivants aux corps en charpie des malades et des défunts, est un peu émouvant – en grande partie grâce à la perf’ érotique et intrépide de Diane Kruger, dans un double rôle de jumelles, morte et vivante à la fois.
L’interview du jour : Jacques Audiard pour Emilia Perez
Vous aimez les musicals ?
Pas du tout. Je n’ai pas la culture de ce genre-là en tout cas. J’aime les comédies musicales de Bob Fosse ou de Demy, mais je n’aime pas trop le côté 30s, les Busby Berkeley ou les productions hollywoodiennes d’après-guerre.
C’est paradoxal, parce qu’il y a quelques années, vous évoquiez l’envie de réaliser une comédie musicale sur des go fast…
Oui, cette idée remonte à loin effectivement. En réalité ce qui m’a étonné c'est que ce projet m’est venu d’abord sous la forme d'un opéra. Le premier texte sur Emilia Perez que j'ai écrit en 2019 était un livret. Le texte était divisé en actes, suivait des personnages archétypaux et épousait une temporalité singulière - comme à l'Opéra - avec beaucoup d’ellipses. Et puis, au fur et à mesure, c'est devenu autre chose. J'aime l'opéra, je suis mélomane, mais là aussi, je ne suis pas un grand connaisseur. C'était une envie qui m'avait traversé au moment de mon deuxième film, Un héros très discret. Avec Alexandre Desplat, on avait pensé réaliser un petit opéra à partir du film, un peu comme ce qu'avait fait Peter Brook avec Carmen, L'Opéra de Quat’sous ou Nixon in China. Il en reste des traces dans le film d'ailleurs, sous la forme d'un quintette. Je crois qu’on cherchait à trouver un rapport plus précis avec la musique.
En quoi est-ce que le genre de la comédie musicale vous permettait de vous emparer de ces sujets ?
Une fois que j’avais mon sujet, j’avais deux options. Soit je collais honnêtement au thème que j’avais documenté. Et je faisais un documentaire (sur la transidentité ou le Mexique). Soit j’essayais de transformer cette matière en un drame, une épopée qui mêle tout ça, qui mélange le chant et la musique. L’une des particularités dont on a vite convenu, c’était que les chansons devaient appartenir au corps même de l'histoire, elles devaient faire avancer l'histoire.
Comme chez Demy ?
Oui, exactement. Mon film de référence c’est ce grand film sur la guerre d'Algérie qu’est Les Parapluies de Cherbourg. Dans Emilia Perez, on ne fait pas des airs, on dit des choses qui sont importantes pour l'histoire et non pas simplement des états d'âme.
Dans West Side Story il y a des airs, mais ils disent des choses sur la société…
Une chose me trouble énormément dans ce film - la première version, comme le Spielberg. Pour moi, c'est un lapsus cinématographique complet. Il n'y a pas un noir ! On est en 1960, en pleine marche pour les droits civiques et il n'y a pas un seul noir à l’écran. C'est étonnant, non ? Voilà une production qui fait un lapsus incroyable, et un lapsus volontaire.
Jacques Audiard : "Emilia Perez est un film transgenre"La vidéo du jour : la Palme d’or d’honneur de Ghibli
Et si l’évènement du jour à Cannes c’était la célébration de Ghibli ? Le Grand Théâtre Lumière a fait salle comble pour la Palme d’or d’honneur que Juan Antonio Bayona est venu remettre au fiston Miyazaki. Cerises sur le gâteau, le patriarche a enregistré un message vidéo très drôle et quatre courts-métrages inédits normalement réservés au Musée du studio, au Japon, ont été projetés. Un rêve de geek auquel on a pu assister en direct.
La perf du jour: Jeremy Strong dans The Apprentice
Pour son premier long métrage américain, l’Iranien Ali Abbasi (Prix Un Certain Regard pour Border et récompensé via le prix d’interprétation de Zar Amir Ebrahimi pour Les Nuits de Mashhad) s’attaque ni plus ni moins à la figure de Donald Trump… à quelques mois d’une élection qui pourait lui redonner les clés de la Maison Blanche. Un pari gonflé où en portant à l’écran le scénario du journaliste Gabriel Sherman, Abbasi se concentre sur ses années d’apprentissage qui vont le conduire à faire fortune à grand renfort de magouilles en tous genres. Une success story à l’américaine donc qui aurait pu l’héroïser si Abbasi n’avait pas réussi à faire comprendre la violence sans limite (homophobie crasse, viol conjugal…) d’un homme sans foi ni loi… autre que la sienne.
Et si Sebastian Stan fait parfaitement le job en Trump des années 80, celui qui crève l’écran s’appelle Jeremy Strong avec son interprétation démente d’une autre ordure de compétition, Roy Cohn. L’avocat qui fut l’un des piliers du maccarthysme et décisif dans la condamnation à mort des époux Rosenberg avant donc d’être celui qui a changé le destin de Trump en le prenant sous son aile. Âme damnée qui sera ensuite dépassé puis rejeté par son élève, quand cet homosexuel qui avait publiquement… condamné l’homosexualité mourra à petit feu du SIDA. Le Kendall Roy de Succession impressionne autant dans les moments de flamboyance que de déchéance de Cohn. Un second rôle prix d’interprétation ? Chiche !
La révélation du jour: Antoine Chevrollier, le réalisateur de La Pampa (Semaine de la critique)
Une longue, très longue ovation chargée de larmes a conclu hier matin la projection du seul film français en compétition à la Semaine de la Critique. Un accueil à la hauteur de sa réussite ! Aux commandes, Antoine Chevrollier, qui a fait ses armes sur Le Bureau des Légendes et créé la série Oussekine, signe son premier long métrage Un coming of age situé dans le village du Maine et Loire de sa naissance où la révélation de l’homosexualité d’un adolescent, star de moto-cross, va bouleverser, dans une grande violence, le quotidien du lieu.
Comme Jean- Baptiste Durand avec Chien de la casse, avec qui il partage cette capacité à ne pas confondre réalisme et naturalisme, Chevrollier raconte avec acuité le désœuvrement de la jeunesse de ces campagnes françaises, invisibilisées sur grand écran. Mais il y embrasse aussi le virilisme à l’oeuvre, les dérives d’un patriarcat roi et d’une masculinité toxique qui rend impossible d’y vivre au grand jour son homosexualité. Le tout avec un sens inouï du romanesque et une écriture des personnages comme des situations qui entraîne en permanence son récit loin des sentiers battus. A l’image de son casting, symbolisé par la présence d’Artus dans un rôle loin de son emploi habituel dont il incarne les ambiguïtés dans un mélange parfait de sensibilité et de finesse.
Alors que son Un p’tit truc en plus vient de franchir le cap des 3 millions d’entrées, il vit un mois de mai qu’il n’est pas prêt d’oublier !
Aujourd’hui à Cannes
Grosse journée pour la compétition, avec quatre films très attendus. L’évènement du jour sera peut-être la projection de Maria de Jessica Palud, où Anamaria Vartolomei joue Maria Schneider pendant le traumatisant tournage du Dernier tango à Paris. La planète média se prépare déjà à dégainer ses articles. On attend aussi au tournant Matt Dillon qui joue Marlon Brando, tiens.
Mais il y a aussi Parthenope, le nouveau Paolo Sorrentino, qui tire son nom d’une des sirènes ayant enchanté Ulysse pendant son périple - et l’une des divinités tutélaires de la ville de Naples, et pour le réalisateur de La Grande Bellezza, le récit de la vie d’une Napolitaine des années 50 à nos jours. Bref, le FC Sorrentino a déjà sorti les maillots.
Egalement en compétition pour la Palme, Christophe Honoré habillera Chiara Mastroianni en habit de son illustre papa Marcello Mastroianni dans Marcello Mio - oui, c’est un sujet hyper casse-gueule, en plus il y a Catherine Deneuve, mais Honoré s’est souvent tiré de plus mauvais pas (Les Chansons d’amour, musical français 2.0 avant que ce soit cool).
La Quinzaine pour The Florida Project, la compét’ pour Red Rocket, Sean Baker ne pouvait pas passer en L2 avec son prochain film : pas de panique, Anora est sur les rangs pour le palmarès. l’histoire d’une prostituée new-yorkaise qui va se marier avec le fils d’un oligarque russe - et la pretty woman, c’est Mikey Madison, membre de la Manson Family dans OUATIH de QT et l’une des suspectes de Scream (le cinquième) qui n’attendait qu’un film à la Sean Baker pour confirmer tout le bien qu’on pense d’elle.
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