Bilan quotidien de la 16ème édition du festival du film francophone d’Angoulême
Le film du jour : Les Rois de la piste de Thierry Klifa
Un film comme une bulle de champagne, sorte de trait d’union entre les comédies de Pierre Salvadori (avec qui il partage un même co- scénariste : Benoît Graffin) et les comédies US des années 80 à la Eclairs de lune ou Family business. Un film sur la famille aussi, thématique chère à son réalisateur, celle qui peut vite vous étouffer autant qu’elle vous porte. Habitué à des ambiances plus dramatiques sur grand écran (Le Héros de la famille, Tout nous sépare…), Thierry Klifa (metteur en scène au théâtre de l’hilarant Croque- monsieur en 2016) s’aventure donc ici sur les rivages de la fantaisie, dans les pas d’une drôle de tribu – la mère, ses deux fils et son petit- fils – arnaqueurs façon Pieds Nickelés dont le vol d’un tableau de Tamara de Lempicka au cours d’un cambriolage interrompu par les forces de l’ordre va bouleverser le fragile équilibre. Le récit joue ici en permanence avec les faux- semblants tant dans les rapports complexes qui unissent les membres de cette famille que chez la détective privée et son fidèle acolyte, lancés à leurs trousses. Tout monde trompe son monde et inversement, au point que deviner qui dit la vérité et quand se révèle une mission totalement impossible. Klifa signe une œuvre sans cesse en mouvement et pour autant jamais artificiellement agitée. Il prête la même attention à l’écriture des situations rocambolesques qu’à celle de ses personnages haut en couleurs, faisant régulièrement surgir sans qu’on s’y attende des moments de trouble et d’émotion entre deux éclats de rire. Et ses comédiens s’emparent avec une gourmandise contagieuse de cette si riche matière : Fanny Ardant en Ma Dalton à la langue de vipère, Mathieu Kassovitz qu’on n’a pas vu prendre autant son pied au cinéma depuis longtemps, Nicolas Duvauchelle méconnaissable au sens premier du terme (on vous laisse la surprise…), Laetitia Dosch virtuose qu’on croirait échappée d’un film de De Broca mais aussi Ben Attal, Michel Vuillermoz ou encore Zbeida Belhajamor, la géniale révélation d’Une histoire d’amour et de désir. Et c’est précisément là qu’on mesure l’amour que Klifa porte à ses comédiens : dans cette façon de leur offrir des rôles sur mesure mais où ils révèlent toujours quelque chose d’inédit. C’est fin, léger, joyeux et profond à la fois. Des adjectifs qui s’appliquent à l’autre personnage central de ces Rois de la piste : la BO signée Alex Beaupain.
En salles le 27 mars 2024
Le duo du jour : Agnès Jaoui et William Lebghil dans La Vie de ma mère
La comédie, Julien Carpentier connaît sur le bout des doigts pour avoir notamment travaillé avec Mathieu Madénian, Thomas VDP et Monsieur Poulpe sur le petit écran. Mais à l’occasion de son premier long métrage, il a choisi un pas de côté en s’aventurant vers un type de comédie plus émouvante, celle capable de vous ficher autant les larmes aux yeux que le sourire aux lèvres autour d’un duo mère- fils. Pierre, 33 ans, fleuriste dont la petite boutique cartonne et Judith, fantasque et excessive qui redébarque dans sa vie après deux années passées loin de lui. Un éloignement volontaire de sa part à lui pour faire soigner la bipolarité dont elle souffre, dans un lieu spécialisé. Mais une relation à la « ni avec toi, ni sans toi » puisque son amour profond pour cette mère l’empêche de s’en détacher et au fond de se construire en tant qu’adulte. La Vie de ma mère parle de cette maladie si singulière où on passe de l’euphorie la plus totale à la dépression la plus profonde, presqu’en un claquement de doigts. Mais sans une once de misérabilisme ou d’obsession d’un happy end hors sol à marche forcée. Grâce à une écriture des personnages tout en subtilité et un duo de comédiens au diapason. William Lebghil- Agnès Jaoui qui, dans la peau de ces personnages que tout a priori oppose, déploient des trésors de nuances au fil de ces scènes où ce qui les lie va prendre peu à peu le pas sur tout le reste. Au- delà des mots, un sourire, un regard, un silence leur suffisent pour tout se dire et tout nous raconter.
En salles le 6 mars
La révélation du jour : Victoria Musiedlak pour Première affaire
Nora est une jeune avocate tout juste diplômée et encore en apprentissage dans le cabinet qui l’a engagée quand son patron décide de l’envoyer sur sa première affaire pénale, censée se régler en quelques jours… sans imaginer les bouleversements que cela va provoquer en elle. Pour son premier long métrage, Victoria Musiedlak s’aventure sur le terrain du récit initiatique où cette jeune espoir du barreau sort du cocon des bureaux cossus parisiens pour aller se confronter à la brutalité du terrain. Et où en défendant un jeune homme accusé de meurtre, au fil des erreurs qu’elle commet, elle va peu à peu remettre en question sa vision de la justice, héritée des valeurs humanistes de sa famille. La réussite de Première affaire tient dans la capacité de sa réalisatrice à faire en permanence avancer de pair ces questionnements internes et une intrigue à double suspense : l’accusé en question est- il coupable ? Et si oui, Nora parviendra t’elle malgré tout à l’acquittement, sauvera t’elle un homme qu’elle sait meurtrier au nom de l’essence même de son travail ? Le récit est fluide, traversé par une histoire d’amour qui se noue entre Nora et le flic chargé de l’enquête (Anders Danielsen Lie, tout en ambivalence) venant renforcer le questionnement moral de son héroïne que ses parents, accrochés à une vision manichéenne de la justice entre victimes – les seuls que doit défendre leur fille à leurs yeux – et bourreaux. Et Noée Abita traduit à merveille par son interprétation cette chrysalide devenant papillon, cette jeune femme qui, d’abord dépasser par les événements, va se les accaparer pour grandir. Selon ses principes à elle. Un premier long métrage plus que prometteur.
En salles en 2024
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