Première
par Sylvestre Picard
Vous connaissez cette légende autour d’Aliens, le retour ? Pour pitcher la suite du film de Ridley Scott, James Cameron se serait contenté de rajouter un "S" au mot Alien au tableau -avant de transformer, par un trait supplémentaire, cet Aliens en Alien$ pour la plus grande joie des executives du studio qui ont tout de suite saisi le truc. C’est une légende, bien sûr, mais on y pense un peu devant Vice-Versa 2, ou Vice-Versas, puisque la promesse de la suite est d’introduire de nouvelles émotions dans la tête de Riley, en pleine puberté. C’est une scène marrante : l’alerte rouge puberté se déclenche et des ouvriers blasés ravagent le cerveau de la fillette, laissant un bordel sans nom et préparant le terrain à la nouvelle team : Anxiété, Embarras, Ennui et Envie. Le clash avec les anciens, Joie, Colère et les autres, va se jouer tandis que l’héroïne participe à un stage de hockey qui va mettre à l’épreuve son estime de soi et sa conception de l’amitié.
C’est tout à fait rapide, malin et marrant, mais à où Vice-Versa transformait la roublardise de ses mécanismes (Pixar grand manipulateur d’émotions) en un mélo absolument parfait, traversé de moments de grâce inouïs, Vice-Versa 2 vise la seule efficacité. Le film reprend en fait la trame du premier, final inclus, avec de nouveaux persos plus ou moins rigolos -le sommet étant l’apparition des souvenirs refoulés de Riley, emprisonnés dans une chambre forte, dont un personnage de jeu vidéo des années 2000 et un autre d’une série à la Dora l’exploratrice. Des trucs très marrants, qui entraînent le film vers du Roger Rabbit léger, mais qui sentent quand même le brainstorming créatif horizontal à des kilomètres. Une scène fascinante : Anxiété dirige des petites mains dans un open space sinistre, faux parc d’attraction mais vrai bagne, où les employés sont chargés à leur table à dessin d’imaginer des dizaines de scénarios tous plus badants les uns que les autres, avant que Joie ne pirate le système en créant au contraire des perspectives d’avenir très joyeuses pour Riley. Une émeute s’ensuit.
Faut-il pour autant faire du film un commentaire sur le Pixar -voire le Disney- des années 20 ? Faut-il comprendre que l’Anxiété ne doit pas dominer la création, que la Joie doit de nouveau illuminer les tables à dessin ? Oui, c’est incontestable, Pixar, c’était mieux avant ; oui, les nouvelles équipes n’ont pas le génie de la dream team des débuts, celle qui a conçu en vingt ans une série de hits artistiques économiques terrassants, de Toy Story à Vice-Versa. Et si le film disait que les vieilles émotions primaires c’était eux, les Joie et les Colère, les Anciens capables ? Face à la nouvelle génération de créateurs plus complexe et complexée -Anxiété et Embarras ? "Peut-être que c’est ça, grandir, c’est moins ressentir de la joie", déclare une Joie désabusée et curieusement lucide au seuil du dernier acte d’un film qui au fond ne renie absolument pas le storytelling jungien qui sert de canevas paresseux à la majorité des films de studio.
Alors, Vice-Versas ou Vice-Ver$a ? Alors que Disney dévisse en salles et a loupé le come-back post-covid, Vice-Versa 2 s’envisage plus sereinement en tant que suite absolument roublarde (Giacchino n’est même plus à la BO), faite pour remplir les salles et ce n’est pas si grave, à condition de ne pas trop regarder dans la chambre forte à souvenirs refoulés. Justement, en parlant de souvenirs, à deux moments du film une gentille émotion en forme de mamie gâteau fait son apparition, mais tout le monde l’envoie balader au motif que "c’est trop tôt pour elle" : vous ne serez pas surpris si on vous dit qu’elle s’appelle Nostalgie.