Première
par Vanina Arrighi de Casanova
Pour l’essentiel, la version cinéma du best-seller d’E.L. James est fidèle : Sam Taylor-Johnson retranscrit scrupuleusement le roman, et on se demande d’ailleurs toujours ce qu’une figure atypique de l’art contemporain vient faire dans cette histoire. La limite de cette fidélité : le roman compte environ 40% de sexe, longues scènes intégralement décrites, relativement excitantes et qui finissent toutes par des orgasmes à s’en faire péter la cervelle, où "le monde s’effondre, anéanti par [sa] jouissance". Le film, lui, en compte trois (...) et elles sont à peu près aussi softs que la moyenne des films du dimanche soir en prime time. La première fois qu’ils couchent ensemble, ça ressemble à n’importe quelle scène de sexe suggéré, on voit un bout de sein, des fesses de dos, des coups de hanche ; la caméra se détourne peut-être à peine un peu moins tôt que d’habitude. L’initiation à la "chambre rouge de la douleur" elle, est gérée par un montage cut de plans sur des bouts de peau, des poignets attachés, des pieds qui se recroquevillent… Ce n’est pas du porno soft, c’est soft, point.(...) Le penchant du héros pour les pratiques SM n’est ici qu’une autre manière de faire du personnage masculin un être incapable de s’engager dans une histoire d’amour – un des enjeux de la comédie romantique, de toute éternité.
Sans sa pornographie un peu chic, le roman n’est plus qu’une bluette Harlequin, atrocement mal écrite et franchement bas du front. L’histoire d’une fille qui rêve du prince charmant et se retrouve à la merci d’un mâle dominant (mais fragile, abîmé, bien sûr) qui va évidemment lui briser le cœur. Mais étrangement, là où le film est meilleur que le livre c’est qu’avec les descriptions circonstanciées des scènes de baise est aussi parti le commentaire : on n’est plus dans la tête de la jeune vierge effarouchée qui a des problèmes capillaires et souligne constamment l’évidence de ce qui lui arrive. Et c’est un soulagement – d’autant qu’il y en a du monde dans sa tête, où s’affrontent dans une lutte sans merci sa conscience et sa "déesse intérieure". En poche, le roman compte 650 pages qui décrivent et commentent (et s’interrogent sur) TOUT ce qui se passe au cours des quelques semaines que dure l’histoire. Le film a le bon goût d’éviter ces lourdeurs pénibles et de nous épargner la voix-off par exemple, qui aurait été plus fidèle au style d’E.L. James – qui aurait été, surtout, insoutenable. Plus de "oh mon dieu", "ouh là", "ben dis donc", plus de "regard de braise" et de «"reste cool, Steel". Moins d’échanges laborieux de textos et de mails niveau troisième, avec les relances sans fin (qui s’étalent parfois sur dix pages) de "Miss Steel" et "Mister Grey". A l’arrivée, on se retrouve devant une romance banale à l’érotisme quasi nul : la tension ne monte jamais puisqu’on passe toujours à l’acte. Et on évacue vite l’acte pour retrouver la sécurité des séquences tous publics. On en viendrait presque à regretter la tension sexuelle contenue de "Twilight", bluette dans laquelle les héros mettent quatre livres à concrétiser.