Jérôme Niel et Théo Christine dans Vermines
Tandem

Le jeune réalisateur nous a expliqué sa conception de la mise en scène, l'importance du son et son rapport aux animaux. A lire avant ou après ses propos sur son excellent casting.

Alors qu'il sort Vermines son premier long-métrage, le 27 décembre prochain, Sébastien Vaniček a pris le temps de nous parler de sa vision de la mise en scène, qui passe beaucoup par le son. Le film est un survival racontant une invasion d'araignées mortelles dans une cité de banlieue parisienne. Dans le cinéma d'horreur, le son est une composante essentielle et les animaux, à l'instar des acteurs, ont aussi besoin qu'on les dirige...

Cette interview du réalisateur complète celle où il se concentrait davantage sur son excellente distribution, à lire ici.

Première : Avant de découvrir Vermines, pensez-vous que vos premiers courts-métrages sont une bonne porte d’entrée pour les spectateurs qui ne vous connaissent pas  ?

SV : Pas spécialement, il n’y même pas du tout besoin d’avoir vu ce que j’ai fait parce que ça peut marcher dans les deux sens. Ils peuvent tout à fait voir Vermines, kiffer et aller voir mes précédents projets après. Peut-être qu’ils comprendront le cheminement. Pour ceux qui s’intéressent vraiment au cinoche ou qui veulent en faire, c’est le plus intéressant parce que du coup on va voir ce que je faisais quand j’avais 50 euros quoi. Puis après j’en ai parlé tellement de fois en podcasts que si ça les intéresse, peut-être que ça va les pousser à faire, avec juste un téléphone et une bande de potes !

Dans deux de vos courts, Crocs et Pas Bouger, vous filmez des chiens en premier rôle, là ce sont des araignées… Vous avez un truc avec les animaux ?

SV : Carrément ! La protection animale c’est quelque chose qui me tient vraiment à cœur. Je suis très choqué par les personnes qui peuvent faire du mal aux animaux. C’est au centre de tout ce que je fais, ça va être parfois au premier plan comme Pas Bouger [un personnage va punir un propriétaire qui a abandonné son chien], parfois ça sera plus discret comme dans Vermines. Pour Crocs aussi c’était vraiment au centre du film [l’histoire d’une chienne de combat maltraitée]. Leur point de vue m’est très cher, j’aime bien les différences d’échelles et aller me rapprocher des choses qu’on ne considère pas. J’aime donner de l’importance aux petites vies parce que… ce sont des vies quoi. Pourquoi auraient-elles moins d’importance ? J’ai envie de remettre la vie au centre des choses. On parle des films de monstre en disant que notre rapport à ce qui est monstrueux raconte des choses sur l’homme mais notre rapport à l’animal aussi.

Est-ce que la chienne de Crocs est celle de Vermines

SV : Exactement ! La petite Gucci ! On s’est rencontrés sur Crocs et on est restés assez proches avec Samir, son propriétaire. Elle a une histoire incroyable cette chienne, elle est fascinante, ils ont une relation extraordinaire tous les deux ! Vermines était son dernier film, elle a pris sa retraite mais elle n’est pas professionnelle. C’est une chienne magnifique, elle est extrêmement bien dressée, Samir est adorable, et il comprend tout ce qu’il faut sur un tournage alors que ce n'est pas son métier.

Je préfère bosser avec des gens qui ne sont pas professionnels dans le cinéma, en tout cas quand il s’agit du rapport à l’animal, parce qu'ils n'ont pas cette pression de faire le plan. Pour eux, la priorité, c’est le bien être de leur animal ! S’il me dit “non là elle le sent pas”, eh bien on fait autre chose et on revient à la chienne après, quand elle le sentira. Des professionnels pourraient avoir tendance à forcer l’animal à faire un truc qu’il a pas du tout envie de faire et là j’aime pas du tout. Je sais que Samir aime tellement sa chienne que c’est elle qui passera avant tout et il avait pas de problème à me chuchoter dans l’oreille “on peut la faire dans 10 minutes parce que là je la sens pas”. Ok pas de souci, attend je vais changer l’axe de caméra je vais me placer avec les comédiens etc… Et je veux travailler comme ça.

C’était pareil avec les araignées, si vraiment on n'arrive pas à obtenir ce qu’on veut, c’est pas grave, on force rien ni personne à faire des plans quoi. Par chance, les araignées ont été très généreuses et ont donné tout ce dont on avait besoin. On a travaillé dans les meilleures conditions pour les animaux. 


Vous faites ressentir des émotions à travers les sens, et notamment le son et la musique du film. Comment avez-vous choisi cette playlist avec des morceaux de rap contemporain ?

SV : La culture urbaine est devenue la culture avec un grand C pour moi. Il n’y a plus de différence, le rap est partout. L’imagerie qu’on considère “banlieue” est partout, c’est devenu des choses que tout le monde connaît et des gens de tous les milieux adoptent les codes de la banlieue. Moi j’en suis fier et je vais vraiment l’assumer. On a fait un film indépendant, c’est-à-dire indépendamment des gros studios, indépendamment des énormes institutions et on l’a fait à la sueur de notre front.

Je me suis vraiment identifié à la musique que j’écoute avec des gars qui ont fait la même chose dans le rap, qui se sont fait tout seul. Aujourd’hui ils ont toutes les énormes maisons de disque qui leur courent après mais ils veulent rester indé et continuer à bosser avec leurs potes. C’est le cas d’à peu près tous les artistes qu’on a sur cette playlist. J’étais trop content de pouvoir collaborer avec eux. Pour ce qui est du look global du film c’est en fonction des séquences particulières. A chaque fois qu’il y a ces séquences un peu clipées, un peu musicales, se sont des bascules dans le film. C’est du chapitrage en fait, des façons pour moi de scinder un peu le film. En fonction de la séquence et d’où elle va basculer, l’artiste, la sonorité et le beat va nous faire plonger dans une autre phase. Au fur et à mesure du film, force est de constater que tout s’assombrit un peu et on va aller chercher des artistes qui sont aussi de plus en plus sombres.

Donc vous accordez une grande part à la mise en scène sonore. 

SV : C’est 80% du film pour moi ! Quand on avait fait la première version du montage, on a organisé des projections tests avec quelques personnes triées sur le volet pour avoir des retours. Comme il n’y avait que l’image qui était montée je leur ai dit : “sachez que c’est 20% du film que vous allez voir”. Mais même si on est satisfait du montage image, tout reste à faire et le son va sortir le film du sable et c’était déjà le cas dans mes courts-métrages et c’est encore plus le cas sur Vermines.

Vous supervisez la partie son vous-même ? 

SV : De A à Z ! Ça reste mon équipe de potes mais je suis obligé d’être à tous les postes et derrière tout le monde, parce que je suis le chef d'orchestre. Je prends les meilleurs violonistes et violoncellistes et j’ai de la chance : ce sont mes potes. Mais je suis avec eux, je leur donne la partition, je leur dit comment la jouer, et eux me connaissent très bien donc on gagne du temps. On arrive vite à trouver quelque chose qui me plaît, mais c’est à moi de veiller à ce que la direction artistique et l’exigence du film soient maintenues de A à Z, donc je suis derrière tout le monde, ça c’est sûr.

Vous avez une vision très globale et précise de votre film, vous savez ce que vous voulez mais est-ce que vous vous laissez surprendre par ce qu’on peut vous proposer ?

SV : C’est tout ce que je désire, je n'ai jamais bridé artistiquement qui que ce soit. Par exemple avec les comédiens, une des premières choses que je leur ai dites une fois qu’ils ont eu le rôle c’est “maintenant je te fais confiance c’est ton personnage”. Je l’ai écrit, je sais où il va aller, je sais comment il doit y aller, maintenant c’est le tien. Donc s'ils sentent qu’il faut modifier la démarche, que le texte ne va pas, je vais tout prendre. Si ça peut nourrir et rendre le film plus fort et bien on prendra et c’est pareil au niveau technique. Dès qu’il y a des propositions on en discute, si j’ai le dernier mot c’est moi qui ai raison, ça veut dire qu’on ne le fait pas. Si t’as le dernier mot, et ça arrive plus souvent qu’on ne le croit, et bah on y va, c’est toi qui as raison. 

Vous avez des exemples sur Vermines

SV : Pour la partie son par exemple, en montage et en design sonore, j’avais des idées très précises, des sonorités dont j’avais besoin pour l’immeuble. Les caisses de résonances ne sont pas les mêmes, en fonction de l’avancement de l’histoire. Les toiles vont envahir les murs et il n’auront pas la même couleur sonore qu’au début du film. Un de mes gars qui designe le son est arrivé avec toutes ces propositions pour traiter le bâtiment comme une espèce de bateau qui était en train de couler. C’est presque imperceptible, c’est présent dans les graves et parfois dans les aigus en arrière mais on entend ces résonances de rouille qui grincent comme si on était en train de faire couler tout cet immeuble au fond de l’eau. Et c’est vrai que quand j’ai entendu ces sonorités, j’ai commencé à lui dire d’en mettre partout. C’est pas forcément perceptible mais ça se ressent, donc le spectateur va ressentir qu’on sombre. 

La star de Vermines : Heteropoda Maxima
Tandem

J’imagine que vous avez regardé des films et fait des recherches pour savoir ce que vous vouliez ? 

SV : Comme je le dis souvent, les cordonniers sont les plus mal chaussés ! Je suis pas très cinéphile. Je suis pas bon là-dedans, j’ai pas beaucoup de réf, j’ai pas maté énormément de films. Je suis en train de tout faire pour rattraper ça. J’y vais un peu à la facilité, je vais voir les films que j’ai envie de voir. Je ne me force pas à aller voir la liste que Scorsese a publié et je sais que c’est quelque chose qu’il faut que je change.

J’essaie de faire mon éducation cinéma mais en fait moi le cinéma je l’ai appris en le faisant c’est-à-dire que ce qui m’intéresse c’est vraiment de les faire les films, presque plus que de les mater. Quand des potes me disent “mais t’es un ouf de pas aller voir le dernier Scorsese”, je suis capable de répondre : “ouais gars, j’ai la flemme franchement, vient on va bouffer un truc”, alors que c’est une leçon de cinoche et n’importe quel réal te dira que c’est un chef-d’oeuvre. Par contre si tu me proposes de prendre trois heures pour faire un court-métrage, je suis trop partant !

En fait, je suis vraiment beaucoup plus faiseur que spectateur. Dès que je découvre des films de malade je me dis : “Pourquoi je fais pas ça plus souvent ? Je suis un débile”. Quand j’aurais vu le Scorsese je vais me prendre une gifle.

Pour Vermines, je suis quand même allé chercher des films que j’avais vu une première fois et qui ont déclenché des choses chez moi dont Green Room par exemple. Il y avait ce côté survival avec une bande de potes enfermés dans une salle de concert et la salle de concert agit aussi comme un personnage. Je me demandais comment c’était filmé, pourquoi je me suis senti super tendu après l’avoir vu, et après je vais commencer à étudier ses plans. Je vais me dire que celui-ci est chanmé, celui-là je le trouve bof et après le but n’est pas de le refaire, mais de me l’approprier. Il faut essayer de l’apprivoiser, de le transformer et de le faire à ma sauce. 

J’ai l’impression que vous êtes en marge. Vous dites vous-même que vous préférez faire des films plutôt que de les regarder, alors qu’habituellement on a l’impression qu’il faut d’abord avoir vu des films pour savoir en faire…

SV : J’ai peut-être tort…

Pas forcément, ça vous préserve peut-être d’une certaine influence qui pourrait vous parasiter et vous pousser à copier des films qui existent déjà. Vous avez une patte inédite peut-être, une naïveté de mise en scène. Comme vous n’avez pas vu tel ou tel classique, vous apportez quelque chose de complètement neuf…

SV : J’avais jamais vu ça comme ça mais peut-être… Franchement peut-être, je l’ai jamais verbalisé ou intellectualisé. Ma mise en scène est instinctive, c’est sûr. Quand je fais un axe, que je prends une focale ou que je mets une lumière à un endroit c’est vraiment de l’instinct, je ne vais pas pouvoir l’expliquer. D’ailleurs, j’ai fais une interview où on commence à m’analyser un plan de manière ultra technique et je me dis “ouah c’est chaud il a vraiment vu pleins de trucs”. Mais en fait c’est ça le ciné. Moi je vais faire un truc de manière instinctive parce que je vais ressentir des choses en le faisant et les gens le ressentent mais ils vont m’expliquer pourquoi ils l’ont ressenti via un autre chemin. Chacun va s’approprier le film et va raconter le film qu’il a envie de raconter en fait.

Cette idée de faire des films artisanaux, de rester indé, c’est une position que vous aimeriez garder à l’avenir ? 

SV : Si je peux avoir 200 millions de Warner Bros, je ne vais pas cracher dessus pour être honnête. Dans la façon de le faire ce sera toujours le cas, j’attache une énorme importance à bosser avec ma team. J’ai eu la chance de pouvoir aller aux Etats-Unis récemment pour rencontrer des studios, Vermines a fait pas mal de bruit là-bas. On élimine très rapidement des gens, parce que les méthodes de travail sont pas les mêmes. Okay, on se serre la main, on se dit au revoir, c’est pas grave, j’ai pas d’urgence à bosser avec les Etats-Unis. J’ai beaucoup de choses à faire ici, beaucoup de choses que j’ai envie de raconter en France.

J’adore le cinéma français et il y a pleins de choses que j’ai envie d’explorer. A partir de ce moment là, je me dis qu’il y a un côté indé qui restera toujours et soit on l’accepte et je pourrais bosser avec des financements plus importants, soit on l’accepte pas et je reste comme dans cette situation et ça me va très bien. J’ai tellement taffé dans des trucs de merde qu’aujourd’hui je suis payé pour faire des films, tu me payes un smic je suis heureux. Je fais des films, tout va bien. J’ai pas d’urgence… j’ai juste de l’ambition en fait. J’ai envie de doubler Vermines, de faire mieux, de progresser, j’ai envie d’aller plus loin et d’arriver au film ou j’ai 2000 figurants, 15 caméras. Je dis "action" et puis tout le monde se rentre dans la gueule !

Vermines: Un sommet d'horreur made in France [critique]