Valley of Love
Le Pacte

Valley of Love sera diffusé ce soir sur Arte. A sa sortie, nous avions rencontré sa productrice.

Dans Valley of Love, de Guillaume Nicloux, Gérard Depardieu joue Gérard, un acteur à chemise ananas né à Châteauroux qui a perdu un fils et qui retrouve son ex-femme dans la Vallée de la mort pour un mystérieux pèlerinage. C’est Sylvie Pialat, productrice du film, qui a eu l’idée de réunir Isabelle Huppert et Gérard Depardieu en 2015, trente-cinq ans après Loulou, de Maurice Pialat. La dernière fois que Sylvie et Gérard avaient vraiment travaillé ensemble, c’était sur Police. En plus de trente ans, ils ne se sont jamais quittés. 

Avant que vous ne le rencontriez, que représentait Gérard pour vous ?
En tant que spectatrice, j’ai fait partie du clan Depardieu et non du clan Dewaere quand j’étais jeune. Non pas que je n’aimais pas Dewaere, mais pour moi, le mec sexy, exceptionnel, c’était Depardieu. Il dégageait quelque chose de rude, sauvage. Je faisais totalement partie de son fan-club.

Et après l’avoir rencontré ?
Je n’en suis jamais sortie ! C’est quelqu’un que j’aime profondément. Que je connais autant qu’on peut dire qu’on connaît Gérard et que j’aime envers et contre tout. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme lui. Ça dépasse le fait qu’il soit acteur. Ce métier n’est pas au cœur de sa vie. Le cœur de sa vie, c’est toute la vie. Il embrasse tout. Gérard est un ogre, c’est vrai, qui mange tout, digère tout, se souvient de tout, s’intéresse à tout. 

Est ce que vous vous souvenez de la toute première fois où vous l’avez eu dans votre champ de vision « en vrai » ?
Quand je rencontre Maurice sur A nos amours, ils ne se voient plus. Daniel Toscan du Plantier organise la réconciliation. La légende veut que comme ils se sont fâchés sur Loulou, Gérard n’a jamais vu le film. Et qu’il l’ait enfin vu en 84. Il aurait alors appelé Daniel pour lui dire tout le bien qu’il en pensait, non pas pour dire « je me suis trompé » mais « quand est ce qu’on se revoit ? » Avec Maurice, nous allons donc voir la pièce Tartuffe dans laquelle il jouait, à la suite de quoi Daniel avait organisé un dîner. Élisabeth Depardieu, qui jouait aussi dans la pièce, était là. Maurice et Gérard se sont retrouvés comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Il n’y a pas eu de « réconciliation », aucune rancoeur n’a été évoquée. Je n’étais pas en mode midinette groupie, mais c’est toujours étrange de rencontrer de façon très normale des gens aussi énormes. Ça m’a beaucoup fait ça quand j’étais jeune avec Maurice. Avec Gérard, on s’est ensuite beaucoup fréquenté et avec Maurice, on a écrit Police pour lui. Je pense que c’est l’un des tournages les plus joyeux des cinq que j’ai connus avec Pialat. Il retrouvait Gérard, il était content. On rentrait tous les soirs ensemble dans un froid de gueux. Je l’ai rarement vu aussi heureux.

D’où provenait précisément la fâcherie sur Loulou ?
Je crois que Maurice voulait Gérard pour La Gueule ouverte. Ça ne s’est pas fait, finalement Gérard a tourné Les Valseuses, je ne suis pas sûre qu’il l’ait fait à la place de La Gueule ouverte, mais je pense que Maurice lui en a voulu à mort, et quand Maurice t’en veut à mort, tu trinques le film d’après. Pour Loulou, c’est Isabelle Huppert qui va chercher Pialat, qui est alors dans une salle période, et qui lui dit : « Je veux travailler avec Depardieu. « That one ! » comme dans la série Great Britain. Maurice avait proposé le film à Dutronc, mais Isabelle voulait Gérard parce qu’elle avait déjà tourné avec Dutronc. Donc Maurice a fait un sale coup à Dutronc, mais après, il s’est rattrapé en lui proposant Van Gogh... Du coup sur Loulou, « le film d’après », il y avait un mélange de rancune, le film était compliqué, le tournage ne s’est pas super bien passé, il s’est arrêté… Faillite des producteurs, Isabelle part tourner le Godard et La porte du Paradis, elle revient mais Gérard n’est jamais revenu. Maurice déclare : « Depardieu, c’est un 35 tonnes avec un moteur de solex » et Gérard : « Pialat, je lui mets 2 sur 20 » ou un truc du genre. Ça finit comme ça et ils ne se revoient plus jusqu’à ce fameux dîner. Mais les fâcheries n’ont pas beaucoup d’importance quand on voit ce qu’ils ont signifié l’un pour l’autre. Mauvaises fiançailles, bon mariage ! 

Depardieu a dit récemment que les seuls films de sa filmo qui l’importaient vraiment étaient ceux de Pialat.
Les films de Maurice tiennent, ils ne vieillissent pas. Ils touchent aux grands moments de la vie d’un homme. Toute la vie est resoufflée ou insufflée dans ses films, du coup ils vous restent. Même si j’ai une autre vie sentimentale depuis la mort de Maurice, je crois que je dois pouvoir prononcer 40 fois son nom en une journée. Parce que c’est quelqu’un qui vous habite. 

Comment vos origines auvergnates se marient avec les origines berrichonnes de Gérard ?
On a un bon terrain d’entente bouffe/vin je dois avouer. Après, je pense qu’il peut s’entendre avec des gens qui ne boivent pas et qui picorent, enfin pas sûr… Je prends un plaisir énorme à être avec lui. Le pire truc dans sa bouche n’est jamais vulgaire, c’est toujours drôle, ses blagues de cul ne sont pas vulgaires mais gracieuses. C’est comme dans le film de Nicloux : il est gros, définitivement, mais on a l’impression à certains moments qu’il est en tutu à l’opéra sur des coussins d’air. Il fait un truc que j’adore qui s’appelle « le bruit de la moule contente ». Bref, les pets de vagin après l’amour. Il vous le souffle dans l’oreille, comme ça, en vous disant qu’il ne comprend pas pourquoi nous, les femmes, on s’empêche de faire ça, pourquoi on se retient, pourquoi on a honte. Il y a des gens que ça effare bien sûr. Il a un rapport très simple aux femmes dans l’amitié, il a un grand respect pour elles. 

Il est le parrain de votre fils, Antoine. Vous le considérez comme un membre de votre famille ?
Gérard est totalement ma famille. C’est une borne d’amarrage de ma vie. Après la disparition de Toscan, je l’aurais bien mis sous globe, Gérard. Je l’ai connu lorsque j’avais 22 ans, c’était il y a 33 ans. Avec Elisabeth, ils sont une mémoire pour moi. Ma mémoire. Avec Guillaume et Julie, ils formaient une famille très normale, on allait manger le poulet le dimanche chez eux comme chez n’importe qui. Gérard et Antoine ont développé une relation très autonome. Mon fils est accroché à lui comme à une partie de son père. Maurice n’aimait pas grand monde, on vivait à la campagne assez isolés les dernières années. A la mort de Maurice, Antoine avait 12 ans. Autour de nous, c’est simple : il y avait Daniel, Gérard, Serge Toubiana et sa femme. Le parrainage a été tardif. Antoine et Gérard ont décidé ça entre eux, à la mort de Maurice. 

Est ce que vous cherchiez à tout prix à retravailler avec lui après la mort de Pialat ?
Je ne me suis jamais dit après : « un jour, il faudra vraiment qu’on fasse un film ensemble ». Je n’en reviens presque pas d’avoir fait le Nicloux avec lui. Le film n’était pas du tout prévu comme ça. Et en même temps, je pense que le film était totalement prévu comme ça. 

Le rôle devait être tenu par Ryan O'Neal. C’est vous qui êtes venue chercher Gérard ensuite ?
Je n’arrivais pas à monter le film de Guillaume en anglais. Les guichets habituels se fermaient à cause de la langue. J’avais trouvé un distributeur-vendeur qui mettait une somme très correcte mais même s’il n’était pas cher, on ne pouvait pas faire le film avec 500 000 euros. Bref, je tombe par hasard sur Gérard dans la rue, et on se met à parler de son Guillaume à lui. Il était dans un de ses jours tristes mais en forme, une sorte de tristesse douce comme ça lui arrive assez souvent. Je vais chez lui prendre un café et là je ne voyais pas comment lui parler du film mais en même temps, je me disais qu’il était possible qu'il ait envie de le faire. Et puis c'est venu comme ça, sans roulement de tambours, je lui ai dit : « Voilà, je travaille sur quelque chose, je ne sais pas si je dois te le proposer mais je m'en voudrais de ne pas t'en parler ». J’aimais énormément le scénario, je lui pitche, il me dit que ça l'intéresse et le lendemain il rencontre Guillaume Nicloux.

Comment vous lui pitchez ?
« Toi et Isabelle Huppert. Vous avez eu un enfant il y a trente ans dont vous vous êtes peu occupé. Cet enfant se suicide et vous envoie à chacun une lettre où il vous donne rendez-vous dans la Vallée de la mort en vous disant qu'il va vous réapparaitre. » Ça s’est immédiatement bien passé avec Guillaume. Ils ont à peine parlé du film. Gérard n'a pas besoin de lire le scénario, une fois qu'il a dit ok, tu sais qu'il sera là, il n'aura jamais de problème de planning. Il ne sera jamais indisponible pour un film qu'il a envie de faire. Il est même rentré en coproduction, il n’a pas pris d'argent et mis son fond de soutien. Après, je me suis dit que tout le monde allait penser que Guillaume avait écrit le rôle pour Gérard. Finalement quand on voit le film, on se dit qu’il a été écrit exactement pour que ça se passe comme ça.

Valley of love partage l’obsession de Depardieu pour Saint Augustin.
Oui. C'est drôle, tôt le matin, tout le monde était assez vaillant à cause du décalage horaire et de la relative fraîcheur. De 5h à 8h, Guillaume et Gérard discutaient beaucoup ensemble, ils ont toute une littérature en commun. Ils ont lu les mêmes choses au même âge, ils sont très remplis de tout ça. Gérard, tout le monde le voit comme une sorte de figure paternelle alors que c'est plus un frère pour les gens avec qui il se passe vraiment quelque chose. Même avec Maurice. Parfois, Gérard dit qu'il a 4 cerveaux mais on peut le penser vraiment. Il a une mémoire phénoménale. C'est encore ce côté ogre, tout rentre, tout s'assimile, ça peut aussi ressortir on ne sait pas comment.

Valley of Love : Depardieu et Huppert sous le soleil de satan

Gérard était heureux sur le tournage ?
Oui et pourtant il faisait 56 degrés, donc c’était assez improbable. La chaleur, c'est pénible pour tout le monde mais pour lui, on se disait merde, il a horreur de ça ! C’est quelqu’un qui a toujours chaud quand tout le monde grelotte en plein hiver, mais tout a été envisageable. Même courir. La scène dans le canyon, et bien il a couru. Et comme par hasard, il y a eu du vent ce jour-là, on avait l'impression que ça le poussait. À mon avis, il était d’abord heureux grâce à l'éloignement. Le décalage horaire fait que le rapport à la France et à l'Europe se résume en gros à trois heures par jour le matin. Il jouissait d’une vraie paix. Je ne me rappelle même pas depuis quand je ne l'avais pas vu comme ça. Et puis cet endroit est dingue. C'est pas le désert, c'est CE désert, une vraie folie. Quand le soleil se couche, la température ne baisse pas parce que les cailloux, les pierres, le macadam, tout te renvoie la chaleur emmagasinée tout au long de la journée pendant encore des heures. C’est un coup vraiment étrange à accuser. Le seul truc froid là-bas, c'est ton pipi. C’est un choc, quand même. Le corps est forcément en liberté, Gérard se baladait en caleçon, sans doute débarrassé de beaucoup de ses soucis. On a tourné en 18 jours, il y avait tous ces rituels, on a dû passer 250 fois devant le même panneau sur cette route en ruban incroyable. On logeait dans cet hôtel où il n'y avait que nous, on était dans Shining.

Le film est plein de fantômes et pavé de « signes ». Certains vous sont apparus pendant le tournage ?
Disons qu’on a tous vu quelqu’un dans le canyon. On savait tous que Guillaume avait vécu une expérience dans La Vallée de la mort. On est renvoyé à notre échelle là-bas, c’est-à-dire rien, l’immensité des lieux nous pousse à une certaine expérience. Je ne suis pas du tout mystique, mais ça « emmène ». Cette année-là, j'ai connu 3 déserts : le désert mauritanien avec Timbuktu, le désert marocain avec Les chevaliers blancs de Lafosse, et la Vallée de la mort alors que je n'avais jamais mis les pieds dans un désert auparavant. Celui-là était à part. Comme c'est un parc national, on avait des Rangers tout le temps à nos basques, on ne pouvait pas faire un pas en dehors des clous. Il ne fallait pas aller à plus de dix pas du macadam, tous les matins on avait droit à un discours sur la sécurité en nous menaçant d’être expulsé des Etats unis pour 5 ans si jamais... Il y avait un Ranger avec un thermomètre tanqué sous le soleil dédié à prendre la température, qui surveillait qu’on ne dépasse pas 56 degrés. Au-delà, on n'avait plus le droit de travailler. Le premier jour de tournage, on a dû s'arrêter au bout de deux heures !

Il y a plein de théories sur le corps de Depardieu, le fait qu'en gros depuis Mammuth, les films soient perçus comme des documentaires sur lui…
L'idée du docu, ça voudrait dire qu'il serait mort alors ça ne m’intéresse pas. Gérard est un phénix, au cinéma, il renaîtra toujours de ses cendres.

Est-ce que Maurice Pialat avait le même rapport avec lui qu’avec les autres acteurs, le poussait-il aussi à un point de rupture ?
Pas du tout. C’était un tandem magique. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, Maurice n'était pas la locomotive de ses films, jusqu'au moment où il décidait de l'être et la seule façon qu'il le devienne, c'était que quelqu’un lui donne envie de son film. Gérard était cette personne, la perle rare, son impulsion. Par sa vitalité, il lui donnait envie de son propre film. Il donnait d’abord envie à Maurice de tourner la scène, puis de devenir le metteur en scène du film. Pourtant, à chaque fois qu’on écrivait un scénario, on se demandait « Qui on va prendre ? On va quand même pas reprendre Gérard ! » On faisait semblant, on rédigeait une pauvre liste et on finissait toujours par choisir Gérard. Il y avait un vrai échange de force entre eux. Toscan donnait l’équivalent à Maurice pour la prod. Là, d’un seul coup, on voyait passer la locomotive, elle accrochait enfin tous les wagons qui avaient essayé de se mettre en avant pour faire comme si on roulait et ça roulait !

Comment vous voyez vieillir Gérard ?
Quand on a perdu un enfant, je crois que la question de vieillir ne se pose plus. Je ne sais pas comment tout cela se tamponne chez lui. Je déteste la phrase : « ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort », mais quand on constate qu'on survit à ça, à son enfant, il y a un truc inversé dans l'horloge, tout est détraqué. Parfois, je me dis qu’il est condamné à vivre et en même temps, il est l'incarnation absolue de la vie.
Interview Stéphanie Lamome

Bande-annonce de Valley of Love de Guillaume Nicloux avec Gérard Depardieu, Isabelle Huppert :