Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
SPIDER- MAN : NO WAY HOME ★★★☆☆
De Jon Watts
L’essentiel
Que vaut le nouveau (et ultime) Spider-Man avec Tom Holland ? Essai de critique sans (trop) de spoilers.
Où est-ce qu'on en était ? Spider-Man voit son identité révélée à la fin de Far From Home, et on l'accuse d'avoir tué le gentil Mysterio. Voyant sa vie s'effondrer, tout comme celle de ses intimes, il demande à Doctor Strange de lancer un sort pour effacer le nom de Peter Parker de la tête de toute la planète. Le sort déconne, le multivers se fissure, et des méchants débarquent : oui, No Way Home fait bien réapparaître Octopus, le Bouffon vert, l'Homme-sable le Lézard, Electro… En théorie, c'est formidable puisque le cinéma s'empare d'une technique -les passages de personnages d'une série à une autre- qu'on pensait réservée aux cases de la BD. Mais si ces références et caméos sont réjouissants, No Way Home a du mal à s'en emparer pour faire autre chose qu'un gros fan service. Ces personnages appartiennent à d'autres productions, donc d'autres écritures, les acteurs ont pris entre vingt et dix ans dans les dents et les voilà brutalement aplatis à la formule proprette du Marvel Cinematic Universe.
En parlant de propreté, Spidey essaie moins de vaincre ses super-adversaires que de les guérir, chacun étant porteur de ses super-pouvoirs comme d'une sale maladie. Le mal est un méchant rhume qui peut se corriger à coups de sérum ? On peut voir ce procédé narratif comme une tentative de corriger et de résoudre les films d'avant qui avaient l'affront de ne pas suivre pas la bonne vieille formule Marvel -l'un des story arcs favoris des producteurs étant la rédemption de méchants jamais si méchants en fin de compte. Dommage, parce que ce tremblement de terres parallèles reste une bonne idée de cinéma : la réapparition de deux autres personnages-clefs donne lieu à une scène sans conteste extraordinairement émouvante. On rêve de ce qu'une franchise plus audacieuse aurait fait de cette possibilité de cinéma vertigineuse de pouvoir s'emparer de ses incarnations passées. Mais voilà, même si Holland reste charmant, même si Zendaya est formidable et Cumberbatch super, même si tout le monde s'amuse bien et les scènes d'action se révèlent suffisamment rigolotes pour maintenir l'attention. nous sommes dans le MCU et il faut sacrifier à son paradigme !
Sylvestre Picard
LIRE LA CRITIQUE EN INTEGRALITEPREMIÈRE A ADORE
UN HEROS ★★★★☆
De Asghar Farhadi
Incarcéré à cause d'une dette qu'il n'a pas pu honorer, Rahim profite d’une permission pour convaincre son créancier de retirer sa plainte contre le versement d'une partie de la somme. Mais rien ne semble y faire jusqu'à ce que sa compagne lui propose de rembourser... avec les pièces d'or d'un sac qu'elle a trouvé dans la rue. Se sauver par un vol qui ne dit pas son nom, comme un mensonge par omission ? Le dilemme moral, toujours moteur du récit chez Farhadi, peut alors se déployer. Et si Rahim finit assez vite par choisir de rendre ce sac en essayant de retrouver sa propriétaire, il ne se doute pas qu'il vient de mettre le doigt dans une machine infernale qui va le broyer. Car si par son geste altruiste, il devient un héros, des rumeurs vont vite mettre en doute sa bonne foi et faire de lui l'homme à abattre.
La mécanique implacable imaginée par Farhadi a tout d'un tour de force. Un récit qui, tout en apparaissant limpide, fait apparaître en permanence des éléments qui semblent venir contredire ce qu'on a vu. Récompensé d’un Grand Prix à Cannes, Un héros questionne tout à la fois la lâcheté humaine et les ravages de la rumeur décuplée par les réseaux sociaux pour livrer une vision du monde misanthrope en diable où tout geste généreux finit par paraître suspect. Un héros n'a rien d'un film aimable. Il est à l'inverse malaisant, désagréable où le mensonge se révèle une arme que se partage équitablement le camp du bien et le camp du mal, ici réunis dans un geste tout sauf manichéen.
Thierry Cheze
LIRE LA CRITIQUE EN INTEGRALITEBAD LUCK BANGING OR LOONY PORN ★★★★☆
De Radu Jude
Nul temps mort dans le nouveau Radu Jude (Aferim !). On est d’emblée plongé dans le corps du délit : une sextape d’une enseignante roumaine et son mari qui, en fuitant sur Internet, va mettre à mal sa réputation. La journée en enfer de cette prof refusant de se soumettre au diktat de l’humiliation qui en découle se divise en trois parties. Une déambulation dans Bucarest où insultes, agressions et tensions en tout genre créent un climat d’autant plus étouffant que tout semble saisi sur le vif comme en caméra caché. Puis un intermède azimuté où Jude passe avec revue une série de concepts (colonialisme, sexisme, racisme, ubérisation…) au tamis d’un absurde grinçant. Et enfin l’apothéose : le tribunal stalinien auquel cette enseignante doit se soumettre face aux parents d’élèves pour garder sa place et qui encapsule tous les maux de notre époque (dans un geste d’une férocité renversante. A travers ce puzzle ovniesque, Jude questionne la notion d’obscénité et raconte la banalité du mal en se montrant tout à la fois glaçant et hilarant. Le cocktail parfait d’une oeuvre hors normes.
Thierry Cheze
LIRE LA CRITIQUE EN INTEGRALITEPREMIÈRE A AIME
THE BETA TEST ★★★☆☆
De Jim Cummings et P.J. McCabe
Après le coup d’éclat Thunder Road en 2018, Jim Cummings était tristement passé par la case direct-to-DVD fin 2020, avec la pourtant très sympathique comédie d’horreur The Wolf of Snow Hollow. Anomalie de l’industrie, Cummings revient par la grande porte pour se payer le nid à frelons hollywoodien. Le constat de The Beta Test ? Loin des grandes promesses faites au moment de la chute d’Harvey Weinstein, rien n’a changé - ou si peu. L’esprit du mogul règne encore en maître et s’incarne ici à travers le sourire carnassier de Cummings, qui se glisse dans la peau d’un agent à succès cramé et au bord du burn out. À quelques semaines de son mariage, il reçoit une lettre anonyme l’invitant à un mystérieux rendez-vous sexuel dans une chambre d’hôtel… L’acteur-réalisateur signe un thriller comique en surrégime et légèrement. Un film à faux suspense (sa grande limite), poilant et zarbi, sous influence lyncho-ellisienne. Los Angeles filmée comme une industrie du cauchemar ? Bien sûr qu’on a déjà vu ça mille fois ailleurs. Mais Cummings questionne aussi l’individualité et la possibilité d’exister en dehors du regard de l’autre.
François Léger
CHERE LEA ★★★☆☆
De Jérôme Bonnell
La délicatesse est le maître mot du cinéma de Jérôme Bonnell. Ce Chère Léa s’inscrit dans la droite lignée de J’attends quelqu’un et du Temps de l’aventure, avec toujours cette aisance à explorer les tourments amoureux, les moments où les cœurs s’emballent comme ceux où la passion n’est plus vécue de la même manière par les deux concernés. Chère Léa dure le temps d’une journée et son titre fait écho à ce qui constitue la colonne vertébrale du récit, cette lettre que son héros Jonas (Gregory Montel) écrit à celle qui l’a quitté (Anaïs Demoustier). Chère Léa raconte l’impossibilité de dire adieu quand on aime et que l’autre n’aime plus. La majeure partie du récit se déroule dans un café, celui en face de l’immeuble de Léa, où Jonas s’est installé pour écrire sa lettre, sous le regard intrigué et chaleureux du patron du lieu (Grégory Gadebois). On pense beaucoup à Un air de famille dans cette capacité à s’emparer d’un lieu comme d’un petit théâtre avec ses personnages hauts en couleur. Bonnell se montre ici tout aussi juste dans la comédie que dans l’émotion pure. La délicatesse faite cinéaste, on vous dit
Thierry Cheze
LIRE LA CRITIQUE EN INTEGRALITEPRINCESSE DRAGON ★★★☆☆
De Jean- Jacques Denis
TILO KOTO ★★★☆☆
De Sophie Bachelier et Valérie Malek
Ce documentaire de Sophie Bachelier et Valérie Malek a pris naissance à l’été 2017 en Tunisie dans un centre pour migrants « vulnérables ». L’idée est alors de recueillir les témoignages de ces homme, âmes en peine, en transit perpétuel vers un ailleurs inaccessible. Parmi les réfugiés, il y a Yancouba Badji. Outre la brutalité de son parcours, l’homme de 42 ans peint des tableaux pour traduire ce que les mots ne peuvent dire. Il en résulte une peinture à la fois directe et naïve d’une expressivité émouvante.
Yancouba prend quasiment seul en charge le poids du film. Il est à la fois celui qui témoigne et aide les autres à parler : « J’aimerais connaître ton histoire. Si tu veux que l’on t’aide, il faut connaître tes racines… » Lance-t-il à un homme qui refuse à raconter son histoire « trop compliquée. » La Libye, on le devine, est un enfer. Ils finissent tous par y transiter. Yancouba Badji y est resté neuf mois. Un migrant, « surtout s’il a la peau noire », y connait les pires brimades et chantages. « Les femmes sont plus en danger que les hommes là-bas. Elles sont l’équivalent de la drogue, que l’on revend…. », précise un autre.
Nous suivrons Yancouba jusqu’en Casamance où ce Sénégalais a finalement décidé de revenir. Sa mère au pied d’un arbre s’entretient avec ce fils qui lui demande comment elle réagirait s’il devait à nouveau tenter le voyage vers l’Europe : « Soit je meurs, soit je deviens folle. » Yancouba abattu et pensif, est soudain redevenu un enfant. Son silence est éloquent. Le film n’offre aucune issue à ce malheureux héros revenu du chaos. On repense alors à ses toiles unidimensionnelles, où les perspectives sont absentes. Le monde décrit s’offre tout entier sur un même plan, accentuant son implacabilité.
Thomas Baurez
NOËL ET SA MERE ★★★☆☆
De Arthur Dreyfus
Les inconditionnels d’Eric Rohmer connaissent bien le nom de Noël Herpe, historien du cinéma et donc spécialiste de l’auteur du Rayon vert. Le Noël du titre c’est lui, placé face caméra à côté de sa mère sur une scène de théâtre, (re)jouant tous les deux le fil de leur histoire commune. Un fil visible qui se tend sous le poids des souvenirs déphasés. Il arrive ainsi que la mère et le fils aient une lecture très différente de certains évènements fondateurs donc destructeurs. Noël parle aussi de sa peur du mouvement, « de ce qui avance, de l’avenir... » Une inquiétude compatible avec sa passion du cinéma, puisque le mouvement sur l’écran, déjà joué, « appartient au passé. » La force du film tient dans son dispositif où la parole est resituée au style à la fois direct et indirecte par le miracle de l’enregistrement.
Thomas Baurez
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
LA PANTHERE DES NEIGES ★★☆☆☆
De Marie Amiguet et Vincent Munier
De son voyage avec le photographe animalier Vincent Munier au cœur des hauts plateaux tibétains, Sylvain Tesson avait déjà tiré un livre, La Panthère des neiges, Prix Renaudot 2019. Dans cette déclinaison cinéma, Marie Amiguet filme les deux hommes guettant l’apparition de la fameuse panthère, leur Moby Dick à eux, symbole d’une nature sublime et éternelle, quasi préhistorique. Les longues heures d’attente que nécessite l’affût sont l’occasion pour Tesson de méditer aux vertus de la solitude, de la concentration et de la déconnexion. L’écrivain-voyageur joue avec humour son rôle de globe-trotteur survolté soudain obligé de marquer un temps d’arrêt, mais son côté showman installe également une contradiction au cœur du film, en parasitant par la parole et un déluge d’aphorismes un très beau livre d’images, censé vanter l’importance de la contemplation et du silence.
Frédéric Foubert
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
MYSTERE ★☆☆☆☆
De Denis Imbert
Mystère, c’est le nom d’un chiot donné par un étrange berger à Victoria, huit ans. Celle-ci vient d’emménager avec son père dans le Cantal qui espère ainsi redonner le goût de la vie à sa fille, mutique depuis la mort de sa mère. Le chiot libère quelque chose en Victoria, elle parle au bout de quinze minutes de film. Mais ce chiot est-il bien ce qu’il est ? Ne serait-ce pas plutôt un de ces loups qui attaquent les troupeaux ? Le ciel s’obscurcit. Vincent Elbaz (le père) blague comme il peut, Eric Elmosnino (l’oncle) apporte sa décontraction, Marie Gillain, sa douceur. Tchéky Karyo (le berger) établit quant à lui un lien avec les films d’aventure sympathiques de Nicolas Vanier (Belle et Sébastien) en comparaison desquels Mystère fait plutôt pâle figure.
Christophe Narbonne
LA SYMPHONIE DES ARBRES ★☆☆☆☆
De Hans Lukas Hansen
C’est la quête, l’obsession d’une vie. Celle d’un luthier de Crémone habité par l’idée de fabriquer un violon d’exception capable de rivaliser avec la Rolls de cet instrument, le célèbre Stradivarius. Ce documentaire raconte la quête de l’élément indispensable à cette opération : le bois le plus parfait, un érable multi- centenaire en voie de quasi- disparition. Un sujet passionnant desservi par le traitement qu’en fait Hans Lukas Hansen. Comme s’il ne croyait pas lui- même qu’il puisse tenir sur 90 minutes. Trop de musique, trop de bla bla inutile et surtout un vrai problème de point de vue. Au lieu de rester scotché à celui du principal intéressé, le documentaire se perd en suivant ceux de ses différents interlocuteurs en Europe centrale. Cette absence de rigueur rend La Symphonie des arbres plus proche du reportage pittoresque que d’un documentaire de cinéma.
Thierry Cheze
Et aussi
Mes très chers enfants, de Alexandra Leclère
Monsieur Pigeon, de Antonio Prata
Monster Family en route pour l’aventure !,, de Holger Tappe
Les reprises
Pygmalion de Anthony Asquith
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