L’actrice et réalisatrice s’est éteinte d’un arrêt cardiaque à l’âge de 74 ans il y a plus d’un mois, a-t-on appris ce matin.
En prononçant son nom reviennent à l’esprit ses apparition fantasmatiques dans quelques grands films de Clint Eastwood dont elle avait été la compagne. Pourtant, si c’est comme ça que sera écrite l’histoire, ce serait trop réducteur de ne voir en elle que Madame Eastwood. Car elle a fait basculer le cinéaste dans une nouvelle dimension contribuant à changer radicalement son mythe.
Née Sandra Louise Smith, Sondra Locke a grandi au Texas. Elle travaille d’abord dans une station radio, apparaît dans quelques pièces avant de décrocher son premier grand rôle en partageant l’affiche de Le Cœur est un chasseur solitaire face à Alan Arkin. Nomination aux Golden Globes, aux Oscars dans la catégorie Meilleure Actrice dans un rôle secondaire qui jettent la lumière sur sa blondeur évanescente et son physique décidé. Suit une litanie d’apparitions télé dans des séries dispensables (de Cannon à Kung Fu en passant par La Planète des singes) jusqu’à la rencontre avec Clint. C’est en 72 qu’Easwtood la remarque lors d’un meeting au Studios Universal. Le cinéaste est alors marié, Locke aussi, mais le coup de foudre est puissant, et très vite ils décident de vivre ensemble. Plus que ça même puisqu’Eastwood va lui confier des rôles féminins déterminants de sa filmographie. Déterminants parce que si l’on regarde ses œuvres à travers les personnages de Sondra Locke (des putes, des femmes violées, des chanteuses de bastringue ou des héritières gâtées), ils prennent une nouvelle résonance.
Tout commence avec Josey Wales en 76. Une traversée de l’Ouest sauvage dans laquelle Clint incarne un héros plus vraiment vivant mais pas encore totalement mort. Locke, elle, joue Laura Lee, une des rares présence féminine de ce western déchirant, une apparition fantasmatique que Wales va protéger durant le long voyage. Wales, c’est ce fermier que le destin a transformé en tueur implacable. Un cowboy fantôme que cette femme tente justement de ramener sur les rivages de la vie et de la société. Elle voit en lui, malgré tout, une promesse de vie meilleure.
Avec Josey Wales, Clint Eastwood annonçait déjà Bronco Billy, Pale Rider, Impitoyable… [critique]Suit L’Epreuve de force, sympathique série B où les balles fusent aussi vite que les vannes. Clint joue un flic chargé de récupérer une pute (Sondra Locke) pour témoigner contre la mafia. Balisé, basique même, le film semble foncer à toute allure vers son final explosif sans trop se poser de question. Pourtant si on regarde de plus près, Eastwood exhibe des failles inattendues, se met en crise en malmenant son personnage de flingueur ultra-violent. Pour la première fois un personnage incarné par Clint se révèle vulnérable et s’appuie sur une femme. Depuis le premier plan jusqu’au dernier (le héros qui s’écroule) et à travers le personnage dominant de Locke, le film est une déconstruction du héros eastwoodien - un peu trash (il faut voir la scène où Locke insulte le flic dans la bagnole), un peu SM - doublé d’une sublime love story, qui peut se regarder comme le docu ultime sur l’histoire d’amour entre Clint et Locke – regardez le lancer de regards à sa femme dans la scène du bus.
Locke réapparaît dans les deux comédies white trash d’Eastwood (Doux dur et dingue et Ca va cogner), dans Bronco Billy, belle fable capraesque, avant un dernier tour de piste dans Sudden Impact (Le Retour de l'inspecteur Harry), sans doute le film le plus impactant de leur collaboration.
Coda à la série des Dirty Harry (on oubliera la dernière cible), tous les codes eastwoodiens sont là, mais détourné, malmenés, ringardisés. Et c’est une femme (sa femme, Locke donc) qui porte la vengeance, les flingues et les coups. Harry se contente de suivre, pantin désarticulé sorti de son élément (de sa ville, de son univers) et clairement dépassé. Le décrassage de la franchise d’Eastwood passait par sa dépossession et sa diminution. Dans ce qui apparaît comme un drôle d’hommage à Hitchcock, une femme prenait le pouvoir (non sans avoir été préalablement réifiée, humiliée et objectivée).
Après ce film, Locke décide de passer elle-même à la réalisation épaulé par Eastwood. Ce sera le très beau Ratboy, un film qui avait séduit les rares spectateurs qui l’avaient découvert au festival de Deauville. Inattendu, éblouissant, Ratboy racontait l’histoire d’une femme qui trouve un enfant rat, tente de le vendre à Hollywood avant de comprendre qu'au fond, ce rat boy est un enfant comme les autres. Entre Elephant Man et l’émotion premier degré des grands mélos hollywoodiens (on pense à Freaks mais pas seulement) ce joli film laissait présager que derrière la douceur sauvage de Locke se cachait une grande cinéaste ; une réalisatrice capable de tisser des films durs aux sentiments, râpeux, qui ne s’effarouchaient pas devant le fantastique, l’incroyable et la grâce. On ne fit que le présager. Car rien ne se passera comme prévu. Le film est un flop et à la fin des années 80, en coulisse, Eastwood et Locke se séparent. La rupture va être âpre, douloureuse, Clint se révélant particulièrement mesquin. Un procès en 96 jettera une lumière sale sur les agissements du cinéaste qui aurait pu profiter de sa situation d’exception au sein de la Warner pour torpiller les projets de films de son ex-compagne. Comme le disait un tweet de l’association Women Film Directors “her directorial carrer was deliberately sabotaged by Clint Eastwood”… On ne s’attardera pas sur les aspects crapoteux de leur relation (tout est dans la presse tabloïd des années 80), mais celle qui avait fait plier le justicier macho dans les films fut sans doute écrasée en retour par le réalisateur-producteur. Elle réalisera encore Impulse (un thriller féministe) ou le drame avec Rosana Arquette Do Me a favor… mais sans succès. Elle avait disparu des radars hollywoodiens à tel point que c’est avec plus d’un mois de retard que l’on apprend sa disparition.
Ironie de l’histoire, Sondra Locke s’éteint alors que le dernier opus d’Eastwood sort bientôt sur les écrans américains. Dans La Mule, Clint se met à nu comme jamais et ce que dessine ce dernier film, c’est sa confrontation avec la mort. On a l’impression qu’Eastwood règle de vieux comptes avec lui-même, avec ses démons, et qu’il réclame le pardon. Des gens qui l’ont entouré. Et de ses femmes notamment. Pas sûr que Locke l’ait vu avant de mourir.
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