La Flor
Agustin Mendilaharzu

Six films en un. 13 h 34 époustouflantes, divisées en quatre parties et portées par quatre comédiennes d’exception. Un moment de cinéma inouï.

Mise à jour du 15 mai 2021 : Deux ans après sa sortie en salle, La Flor est à voir ou revoir en replay sur Arte.tv jusqu'au 30 septembre 2021. Le site de la chaine propose ce film marathon de près de 14h en quatre parties, soit le même découpage qu'au cinéma. Un format éprouvant mais hautement gratifiant, comme nous vous l'expliquions en 2019. 

La critique de Première

Après plus de cent vingt ans d’existence, on pourrait croire avoir tout vu et tout entendu au cinéma. Penser, à entendre certains esprits chagrins, que tous les films ont été faits. Et que les créateurs sont donc désormais condamnés à se répéter avec plus ou moins de bonheur. Venu d’Argentine, La Flor met une claque vivifiante à ces idées reçues, aux tenants du « ce ne sera jamais mieux qu’avant », à ceux qui croient dur comme fer que le cinéma a définitivement rendu les armes et abandonné à la série toute velléité créative. C’est un projet fou, ne rentrant dans aucun cadre ou plutôt les fracassant pendant plus de treize heures. Son réalisateur, Mariano Llinás (Historias extraordinarias), vient lui-même nous en donner les règles du jeu dans les premières minutes. La Flor se compose de six épisodes, chacun consacré à un genre cinématographique, mais parfois entremêlés. Une série B, un mélo musical, un film d’espionnage, un film dans le film, un hommage à Partie de campagne de Jean Renoir et le portrait de femmes captives dans le désert argentin au XIXe siècle. Six épisodes qui sortent en salles en quatre parties tout au long du mois de mars. Et qui ont un point essentiel en commun : les quatre comédiennes d’exception (Elisa Carricajo, Valeria Correa, Pilar Gamboa, Laura Paredes) qui tiennent les rôles principaux de ces différentes histoires.

DE JEU EN JEU
13 h 34. Sur le papier, cela peut paraître effrayant. Mais en fait, La Flor n’a rien d’un film contemplatif bombant le torse d’orgueil à chaque plan. Pas plus qu’il ne se résume à un exercice de style réservé aux cinéphiles purs et durs. Il est exactement le contraire : porté par un désir constant de tendre la main au spectateur, de le mettre à la table des différents jeux qui le composent. Jeu avec les genres. Jeu avec les influences qui dépassent de loin le seul cadre du cinéma et où Borges, Tintin, Manet, John Le Carré viennent dialoguer avec Rossellini, Hitchcock, Renoir et Godard. Jeu avec les langues : l’espagnol, bien sûr, mais aussi l’anglais, le français, l’allemand... Jeu avec les différents pays visités : de l’Argentine à la Sibérie en passant par Berlin et Paris. En tant que spectateur, on vit un moment exceptionnel puisqu’on sent que tout est possible et que l’on ne peut pas deviner ce qui va suivre. Llinás ne suit qu’une règle : il se permet tout. Y compris à la fin du quatrième épisode, un moment de grâce inouï. En attendant de passer à l’histoire suivante, il filme ses comédiennes au naturel, sans commentaire. Un geste purement gratuit, comme pour mieux les célébrer et se mettre finalement dans la position du spectateur de son film fleuve qui, au fil des épisodes – tournés sur dix ans (au gré des financements) –, les a vues changer, grandir, vieillir.

FLUIDITÉ
Mais au-delà de l’inventivité de son écriture et de la qualité démente de l’interprétation, La Flor offre aussi un incroyable voyage visuel et sonore. La précision avec laquelle son directeur de la photo, Agustín Mendilaharzu, crée à l’écran six ambiances aux antipodes les unes des autres pourrait laisser penser que six chefs opérateurs se sont succédé. Même constat pour le son, ciselé pour chaque épisode à l’image de l’histoire d’espionnage où, en fermant les yeux, on pourrait se croire dans un bon vieux Verneuil des années 70. Ce travail du son donne aussi un remarquable relief à l’utilisation toujours pertinente de la voix off au fil des différents récits. Alors certes, tout n’est pas parfait dans La Flor. Il y a des parties moins réussies que d’autres (le film dans le film aurait gagné à être réduit). Mais l’essentiel est ailleurs : dans la fluidité inouïe de ce geste cinématographique où l’on ne sent jamais le labeur. Bon voyage.