De Abyss à Truman Show, retour sur les plus belles performance d’Ed Harris.
S’il est compliqué de classer Ed Harris parmi les vraies stars d’Hollywood, qui peut nier que c’est un grand acteur ? Toujours fringant, et même rasséréné par son rôle dans Westworld, qui assure sa popularité auprès des jeunes générations, le désormais septuagénaire arpente les plateaux depuis quatre décennies. Souvent dans le rôle du méchant, mais pas que, il a brillé dans tous les genres ou presque, aussi à l’aise dans les films historiques (Stalingrad) que dans la SF (Abyss) ou les biopic (Pollock). Retour en dix étapes (plus un bonus) sur une carrière exemplaire.
John Glenn dans L'étoffe des héros, de Philip Kaufman (1983)
Dans cette adaptation du roman du Tom Wolfe (paru en 1979), Ed Harris incarne l'astronaute John Glenn, à l'époque des prémisses de la conquête spatiale américaine. Le film, écrit et réalisé par Philip Kaufman, raconte ainsi l'épopée des pilotes d'essais d'après-guerre, du passage du mur du son aux premiers vols habités. Brillant dans la peau du premier américain à effectuer un vol orbital, membre du programme Mercury, Ed Harris incarne avec passion la rivalité qui opposait Glenn à Alan Shepard (joué par Scott Glenn). Malgré son échec commercial, le film deviendra culte avec le temps, sacré par 4 Oscars.
Virgil "Bud" Brigman dans Abyss de James Cameron (1989)
Un jour, quand il aura le temps, James Cameron s’occupera de valider la fameuse version restaurée d’Abyss que les fans lui réclament depuis des années. Ce sera l’occasion de redécouvrir en haute définition la superbe prestation d’Ed Harris dans ce chef d’oeuvre SF plein de poésie. L’acteur y incarne un contre-maitre travaillant au fin fond des océans où il se retrouve en mission avec son ex-femme après la découverte d'un objet non identifié. On souffre avec lui dans la scène à couper le souffle où il réanime Mary Elizabeth Mastrantonio après qu’elle se soit sacrifiée pour le sauver. Un tournage éreintant et un rôle riche en émotion qui démontrait, tôt dans sa carrière, qu’Ed Harris savait jouer autre chose que des salopards.
Jackie Flannery dans Les Anges de la nuit de Phil Joanou (1990)
La concurrence faisait rage en cette rentrée 1990. Et les sorties simultanées de Miller’s crossing, King of New- York et des Affranchis ont fait de l’ombre à ces Anges de la nuit. A tort. Car ce bijou de thriller centré sur Hell’s Kitchen le quartier irlandais mal famé de New- York raconte avec maestria Big Apple juste avant que le maire Rudold Giuliani n’y fasse le ménage. Et son casting n’y est pas pour rien. Autour de Sean Penn, on peut y admirer Robin Wright, Gary Oldman mais surtout Ed Harris charismatique et glaçant en diable en chef de bande mafieux que doit piéger le personnage de flic infiltré campé par Penn. Lui qui voulait faire une pause après le tournage épuisant d’Abyss a vu juste en acceptant de remplacer Bill Pullman au débotté.
Gene Kranz dans Apollo 13 de Ron Howard (1995)
Quand Tom Hanks s'inquiète : "Houston, nous avons un problème", c'est à Ed Harris qu'il parle. Dans le film de Ron Howard, l'acteur, déjà connu pour avoir joué John Glenn dans L'étoffe des héros, se retrouve de l'autre côté de la barrière, incarnant Gene Kranz, le directeur du vol, qui guida Jim Lovell à distance, pour permettre à son équipage de revenir sur Terre sain et sauf. Une performance légendaire dans salles des opérations de la NASA, souvent copiée, rarement égalée, qui offrit à Harris son premier SAG Award et une nomination aux Oscars.
Gen. Francis X. Hummel dans Rock de Michael Bay (1996)
"Il y a à peu près 200 ans, des gens qui s'appelaient Washington, Jefferson et Adams furent accusés de trahison par les Britanniques. Maintenant on les appelle des patriotes ! Ce jour viendra pour nous aussi." Le Général Francis Hummel est un méchant fabuleux pour faire face au fringant Sean Connery, affublé d'un Nicolas Cage au top de son art. Militaire désabusé à la tête d'une troupe de mercenaires psychopathe, Ed Harris incarne un vilain complexe, presque sympathique, touchant, compréhensible, et qu'on aurait même envie de prendre dans ses bras à la fin. Une performance idoine pour un parfait Michael Bay.
Christof dans The Truman Show, de Peter Weir (1998)
Si Jim Carrey porte The Truman Show sur ses épaules, le film doit aussi beaucoup à la présence mystique d'Ed Harris. Dans la peau de Christof, le créateur du monde factice où Truman est enfermé, l’acteur symbolise toutes les dérives à venir de la télé-réalité, quelques mois avant le lancement de Big Brother au Pays-Bas, qui débouchera en France sur la fameuse émission Loft Story. Personnage complètement orwellien, Christof est si persuadé de sa bienveillance et de la prédominance du virtuel sur le réel qu’il passe complètement à côté de la quête de Truman. Tel un Dieu ne comprenant pas pourquoi son Adam veut quitter le Jardin d’Eden, il manque même de le tuer. Une prestation d’autant plus remarquable qu’il avait remplacé au pied levé Dennis Hopper, viré après deux jours de tournage.
Jackson Pollock dans Pollock d’Ed Harris (2000)
Père de l’art abstrait américain, Jackson Pollock a décomplexé ses compatriotes et fait des États-Unis la plaque tournante de l’avant-gardisme mondial. Une icône absolue, un père fondateur qui obsédait Ed Harris depuis des années. Investi dans son rôle comme jamais, l’acteur fait de Pollock un génie prisonnier de ses névroses et de l’alcool, soutenu à bout de bras par son épouse, l’artiste Lee Krasner (joué par Macia Gay Harden). Ed Harris, l’homme fort du cinéma US, n’a jamais paru aussi fragile à l’écran. Une vraie performance.
Le major Erwin König dans Stalingrad de Jean-Jacques Annaud (2001)
Parfois un nazi c'est compliqué. Par exemple, celui incarné par Ed dans le magnifique Stalingrad : une oeuvre immense où se croisent plusieurs films (le récit de guerre, le film de sniper, le film de duel, la romance politique...) et où Harris a la lourde tâche de jouer la Némésis du héros. Le major König, as allemand de la gâchette, hanté par la mort de son fils sur le front russe, qui possède le regard aimable et doux du pire des tueurs.
Carl Fogarty dans A History of Violence de David Cronenberg (2005)
Si le diable devait venir sur terre en personne pour ramener dans le mauvais chemin, celles et ceux qui auraient rejoint la norme, il sortirait probablement d’une limousine aux vitres teintées, porterait un costard noir Prada et dévoilerait derrière ses lunettes de soleil profilées, un regard amoché. C’est en tout cas comme ça que débarque Ed Harris dans la vie trop rangée de Viggo Mortensen au cœur d’un petit bled de l’Indiana où tout le monde porte des chemises de bûcherons et des t-shirt amples. Harris accoudé au bar, a le sourire ironique, la mine blafarde et un raffinement brutal. A History of Violence, puissant thriller de Cronenberg inspiré d’un roman graphique de John Wagner, joue avec les apparences (pas forcément trompeuses !) et les clichés pour mieux révéler leur cruelle vérité. Ed Harris est ici un monolithe, voire une marionnette, qui disparait aussi brutalement qu’il est arrivé. Le diable n’est soudain plus là. Pour combien de temps ? Viggo redevenu un ange parmi les siens, attend sagement son retour. Harris est désormais un spectre dans l’inconscient tourmenté du film.
Monsieur Smith dans Les Chemins de la liberté (Peter Weir, 2010)
Un peu oublié, ce Peter Weir de 2010 co-produit par National Geographic, qui raconte une évasion du goulag pendant la Seconde guerre mondiale. C'est pourtant magnifique, une version weirienne de La Grande évasion, reflet pyschotique de Master and Commander où tout l'équipage du navire serait devenu fou -dont Ed Harris serait le seul à peu près stable, incarnation de la raison sous les traits d'un humble ingénieur américain, comme si Neil Armstrong était tombé en Sibérie. Une très belle perf au sein d'une chorale qui comprend Mark Strong, Colin Farrell et Saoirse Ronan. Comment ça, vous ne l'avez pas vu ?
Bonus : L'homme en noir dans Westworld (2016 - ?)
Au cours des trois saisons de Westworld, le personnage iconique de l’homme en noir qu’interprète Ed Harris aura connu bien des vicissitudes. Entretenant le doute sur sa nature (humain ou robot ?), la série offre à l’acteur l’occasion de pousser son jeu minéral à l’extrême. Hiératique au possible, le corps sculpté par son costume cintré (on dirait la némesis de Robert Conrad dans Les mystères de l’ouest, le noir remplaçant le bleu !), Ed Harris est tantôt inquiétant tantôt bouleversant. À l’arrivée, sa création est l’une des plus mémorables de la fiction télé des années 10.
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