L'Amour ouf de Gilles Lellouche
StudioCanal

Gilles Lellouche signe un film dont la générosité lui joue parfois des tours mais finit par emporter la donne.

Il en rêvait depuis près de 15 ans, depuis ce jour où Benoît Poelvoorde (qu’on retrouve ici dans un second rôle) lui a mis dans les mains ce roman de Neville Thompson (Jackie loves Johnser OK ? en VO) en lui assurant qu’il devait en faire un film. Mais pour parvenir à porter à l’écran cette fresque romantique qui court sur plus de 20 ans, Gilles Lellouche a tout de suite su qu’il aurait besoin de moyens à la hauteur du coup de foudre qu’il a ressenti à sa lecture pour ne pas l’abîmer ou le trahir. Pour lui offrir aussi la bande son dont il rêve, riche en tubes et standards aux droits maousses. Le carton du Grand bain lui a donné le feu vert. Lellouche aurait pu choisir de gérer ce succès en bon père de famille. Il a donc opté pour l’inverse : remettre son titre en jeu, remonter sur le ring pour un défi où il a sans doute sur le papier plus à perdre qu’à gagner, avec l’aide à l’écriture d’Audrey Diwan et d’Ahmed Hamidi.

L’histoire (qui, dans le roman, se déroulait à Dublin) se situe dans le nord de la France et va courir des années 80 aux années 2000. Et son intrigue peut se résumer en une phrase : Jackie et Clotaire qu’a priori tout oppose – une lycéenne studieuse et un petit voyou intrépide – tombent fou amoureux avant que la vie ne les sépare mais sans jamais, malgré tous les obstacles mis sur leur route, parvenir totalement à ses fins. Comme deux aimants irrémédiablement attirés l’un vers l’autre sans que rien ni personne ne puisse les décoller, pas même une peine de prison de 12 ans à la place d’un autre après une attaque d’un convoi de fonds qui a tourné au drame.

L'Amour ouf de Gilles Lellouche
StudioCanal

 

Et le film démarre tambour battant. Un moteur de voiture qui vrombit, des flingues sur le tableau de bord, une vitre qui explose, du sang qui jaillit… Le ton est donné et le flashback peut commencer pour raconter les 20 ans qui nous ont conduit à cette scène inaugurale. Lellouche avance pied au plancher et pendant 2h45, n’appuiera jamais sur la pédale de frein. Sans doute certains (beaucoup ?) – à commencer chez Première - trouveront ça too much, épuisant, démonstratif… Mais cette mise en scène riche en zooms  appuyés, en envolées et mouvements incessants de caméra traduit un enthousiasme débordant à mettre en scène cette histoire- là, ces personnages- là, ces acteurs- là, des premiers aux seconds rôles (Alain Chabat en père voeuf de Jackie, Elodie Bouchez et Jean- Pascal Zadi en mère aimante et pote d’enfance de Clotaire, en tête). Et ce jamais gratuitement. Car elle épouse au fond le rêve, le désir de ses deux héros : sortir du déterminisme social qui les condamne à une vie étriquée. Faire exploser les cadres, les murs, faire battre son cœur si fort qu’il pourrait imploser à chaque instant. C’est naïf ? Sans doute. C’est maladroit ? Peut- être. Mais il y a dans ce geste un panache kamikaze qui emporte souvent tout sur son passage avant de finir par s’apaiser, au milieu des cris, des larmes, des rires, des coups de poing et des baisers enflammés. Le temps d’un face à face à la table d’un restau chinois et d’une phrase de Clotaire qui résume tout : « on n’aura rien de mieux que toi et moi ».

Mais pour que ce voyage tonitruant fonctionne, pour que les moments plus intimes, plus doux ne paraissent jamais hors sujet, il fallait des acteurs au diapason. Intenses mais capables de nuances sans craindre de pousser à fond les potards. Malik Frikah (renversant dans son premier grand rôle) et Mallory Wanecque (qui fait mieux que confirmer tout le bien qu’on pense d’elle depuis Les Pires), d’un côté, François Civil (impressionnant de puissance) et Adèle Exarchopoulos (aussi déchirante dans ses éclats de rire que dans ses crises de larmes) sont faits de ce bois- là. Ils font corps et cœur avec un cinéaste qui fait ici rimer coup de foudre et coups de poing. Son entrée dans la compétition cannoise le voit forcément changer de catégorie. Au vu du résultat, dont les imperfections nourrissent la générosité et vice versa, il ne l’a pas usurpé

L’Amour ouf. De Gilles Lellouche. Avec François Civil, Adèle Exarchopoulos, Malik Frikah, Mallory Wanecque… Durée : 2h46. Sortie le 16 octobre 2024

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