Descendu par la critique, le réalisateur de Forces spéciales se défend d'avoir fait un film de propagande pour l'armée. Explications."Un manichéisme rebutant", "un nanar assez inouï", "un clip pour les forces armées", "un navet"... Le premier long-métrage de Stéphane Rybojad, avec Benoît Magimel, Diane Kruger et Djimon Hounsou, est sorti mercredi dernier et s’est fait massacrer par la critique. Son réalisateur, Stéphane Rybojad, a dû mobiliser les troupes sur Facebook (près de 10 000 fans sur sa page très… spéciale) et les convaincre que son film ne méritait pas tout cela. Alors, Forces spéciales, brûlot militariste cocardier, film sincère d'un amoureux du documentaire, pub pour l'Armée de terre, bouc émissaire des critiques germanopratins ? Rybojad s'explique.Propos recueillis par Sylvestre Picard.Stéphane, reprenons du début. Ce sont tes docus sur l’armée qui t’ont amené à réaliser Forces spéciales ? Ca commence bien ! Quand tu dis ça, c'est une sacrée simplification de mon CV. Sur 120 reportages, j'en ai fait trois sur les forces spéciales. J'ai fait quinze court-métrages, autant de clips et de pubs... Depuis le début, je veux faire de la fiction. Et j’ai fait des reportages sur la cybercriminalité, les narcotrafiquants… Pas que sur l'armée. Et il se trouve que mes documentaires sur les militaires ont eu trois "T" dans Télérama. Comme si les journalistes télé étaient finalement plus ouverts… Mais c'est quand même désagréable de se faire attaquer par des journalistes qui n'ont jamais dépassé le 7ème arrondissement.Tu penses vraiment que tu te fais attaquer injustement ?On a travaillé à mort la véracité à l'image, et on s’est fait bastonner sur cette même véracité ! Alors, désolé, mais je ne suis pas d'accord ; surtout quand les attaques viennent de pinpins qui n'ont jamais dépassé le périph'.Ce qui t’est reproché, c’est le manque de réalisme et…Wow ! Renseignez-vous un peu ! On n'a pas tourné un plan en studio. J'ai envoyé des gens à Kaboul chercher des fringues, j'ai tourné sur la frontière afghane, au Tadjikistan, pour coller au plus près de la réalité ; j'ai pas envie d'entendre des couillons me dire que je fais n'importe quoi. Qu'on m'attaque sur l'histoire qui est débile, que j'ai filmé avec les pieds, que j'ai fait mon montage au sécateur, c'est leur droit de critiques de cinéma. Mais des journalistes me disaient : "pourquoi vous n'avez pas tourné au Maroc ? C'est pareil !". C'est blessant, et ça montre qu'ils ne connaissent pas le truc : au Maroc, ce sont des Arabes. Au Tadjikistan et en Afghanistan, ce ne sont pas des Arabes. Pour vous, ils se ressemblent peut-être, mais il y autant de différences entre un Afghan et un Marocain qu'entre un Suédois et un Espagnol. Ces amalgames me gonflent, surtout de la part de gens bien-pensants. Je n'ai pas fait n'importe quoi : ceux qui connaissent un peu le terrain, les grands reporters comme les militaires, quand ils voient le film, ils disent "Merde ! Comment tu as fait ?". On a vraiment tourné à Kaboul : personne n'a amené une caméra de 35mm là-bas depuis les années 70. Evidemment qu'il y a des montées épiques des passages de film d'aventures, je n'ai pas prétendu faire un huis-clos dans un bureau.Mais c’est le paradoxe du film. D'un côté, tu prétends faire du réalisme et de l'autre tu multiplies des passages bourrés de clichés…Ah oui ? Tu penses à quoi, par exemple ?La scène où trois des héros se retournent face à quinze barbus, ils les descendent tous. Sans se faire toucher ? Et en terrain découvert ?Tu as parlé avec des militaires ? Tu sais comment ils bossent ? Moi, oui. Les techniques utilisées dans le film ont été mises au point avec des commandos d'élite. Le must du must, la crème de la crème. Cette tactique s'appelle l'effet "boule de feu", ils le font comme ça en vrai. On les a vus faire. Oui, ils sont debout, ils avancent, ils se mettent en ligne - comme à l'époque napoléonienne - pour faire baisser la tête des mecs d'en face et ils ne cèdent pas. Ca peut paraître super cliché comme tu dis, ou super hollywoodien : pour moi, c'est le contraire. C’est justement anti-hollywoodien. Les chiffres officiels des Forces spéciales, c'est un mec pour dix talibans. J'y suis pour rien, c'est les chiffres. Ils tirent 800 cartouches par jour pour s'entraîner : c'est normal qu'ils les touchent. C'est la réalité des opérations en Afghanistan. Et j'estime que je fais mourir suffisamment de personnages.Mais les blagues pourries des héros, c’est pas très réaliste, ça…On me dit que c'est ridicule de faire marrer les héros au milieu d'un échange de tirs. C'est normal : dans le cinéma français, les héros ont l'habitude d'avoir les sourcils baissés. Dès que tu joues un flic ou un gangster, tu dois avoir l'air très inquiet. Dans la réalité, ces mecs-là, ils font leur job. Ils dorment dans les hélicos, comme s'ils prenaient le métro. Alors blaguer au combat, ça leur permet de décompresser. Si j'avais fait les mêmes héros en armure, je crois pas qu'on m'aurait accusé de tout ça. Je crois qu'en France, on a un vrai problème avec le treillis.Un problème avec le treillis ? Tu veux dire que ton film est politique ?J'irai même au-delà. Pour moi, c'est un débat national : pourquoi certaines personnes détestent autant les institutions ? On vote pour un président, qui décide ou pas d'envoyer des soldats là-bas : on est donc aussi responsables quand ils rentrent les deux pieds devant dans un sac plastique. Que tu sois militariste ou pas, de gauche de droite, de haut de bas, on s'en fout, c'est un autre débat. A partir du moment où tu es Français, tu es citoyen et tu votes. Tu as pris la décision indirectement d'envoyer des couillons là-bas, marcher dans des cailloux.Mais ce qu’on voit dans Forces Spéciales, c’est d’abord un blockbuster rutilant…Désolé ! Le sujet de mon film, c'est l'humanité qui surgit quand des hommes et des femmes se retrouvent isolés dans une situation de merde. On aurait préféré sans doute que je mette en scène des méchants militaires qui tuent des villageois et torturent des enfants dans un village afghan ? Et bien non, il n'y en a pas. On n'est plus dans les années 60 ou dans la guerre d'Algérie.Tu as situé ton film dans le conflit afghan, un conflit contemporain. Ce n'est pas innocent.Je suis un amoureux de Kessel, j'ai tripé sur l'Afghanistan quand j'avais seize ans, je rêvais d'aventures et ce pays est encore plein d'aventures. A la fin des années 90, l'Afghanistan est un pays tenu par les Talibans, pas de jeux pour les enfants, pas d'école pour les petites filles, pas de travail pour les femmes, pas de cinéma, pas de musique, les livres ont été brûlés... C'était l'ère de l'inquisition, puissance 10. Tout le monde demandait à la communauté internationale d'agir. Aujourd'hui, à Kaboul, je l'ai vu de mes yeux, les petites filles sont retournées à l'école. Alors, pour ou contre l'engagement là-bas ? Je suis père de famille, j'ai quatre gosses : je suis pour que les petites filles retournent à l'école. Voilà.Tu étais entouré par des militaires sur le plateau et……Il y avait plusieurs conseillers militaires sur le film, du Commandement des opérations spéciales, dont un dans le casting : Marius. 22 ans d'opérations ! On a fait un reportage sur lui, en 2004, A l'école des bérets verts. On peut le voir sur YouTube. Globalement, ça a fait plus d'audience que Bienvenue chez les Ch'tis, on doit être à 20 millions de spectateurs... Ca montre bien l'esprit que j'admire chez ces militaires : l'esprit du frère d'armes. Dans notre monde individualiste, ça fait du bien.Attends, ce que je voulais dire, c’est que pour certains, Forces Spéciales ressemble à un joli clip pour l’armée… Un film de "propagande". Ca a été mon erreur principale. Penser que le cinéma avait cette liberté de ton, qu'en France on avait le droit de raconter ce qu'on veut. Le polar est dans la culture française : est-ce qu'à chaque sortie de film policier, que ce soit un Olivier Marchal, on va dire que c'est de la propagande pour le Ministère de l'intérieur ? Je ne crois pas, même si la police va gagner en recrutement potentiel, quand tu présentes bien les flics. Au cinéma, tu peux parler de médecins, de cordonniers... pourquoi pas des militaires ? On a peur de faire des films sur les militaires. Quand tu me dis que j'ai fait un clip de propagande pour l'armée, ce n'est pas moi que ça blesse, mais les Français qui partent à l'autre bout du monde - certains y laissent même leur vie. Il faut attendre que six ou sept meurent d'un coup pour avoir des obsèques nationales. La plupart meurent dans l'indifférence. Merde ! Ca mérite un sujet de cinéma, non ?Comment peux-tu avoir une liberté de ton, alors que ton film a été aidé (notamment en terme de moyens) par l'armée ?Je te rassure : ça n'a pas coûté un euro au contribuable. En fait, je me suis greffé au planning des militaires. Le gros des moyens se trouve dans la séquence du début, avec ses cinq hélicos des Forces spéciales à l'image. Ce n'est pas parce que tu as un feu vert du Ministère que c'est open bar, que tu arrives et que tu commandes ce que tu veux. Non. C'est toi qui dois venir à eux avec ton équipe. Tu dois vraiment t'intégrer à leur programme : avec toi ou sans toi, ils vont voler, faire leur entraînement à l'assaut... Après, au Tadjikistan, il n'y a pas d'armée française. On a dû chercher les moyens militaires à Djibouti. Mon film est un film de guerre actuel avec de vrais militaires dans l'équipe, dans toute l'histoire du cinéma français, il n'y en a jamais eu.Tu ne vas pas nous empêcher de nous interroger sur l'engagement de l'armée…Tu veux dire que le film doit être à charge ? Pourquoi toujours parler des trains qui arrivent en retard ? Mais merde ! C'est un problème français : toujours trouver des sujets à charge. On n'a pas reproché à Polisse de ne pas mettre en scène des flics pédophiles ! Pourquoi un militaire au cinéma doit être un mec sanguinaire, un mec qui n'a rien à foutre là ? Dans la réalité, les militaires sont des professionnels, des mecs qui s'engagent. Et toi, quand tu te retrouves couillon comme un touriste pris dans une situation de merde à l'autre bout du monde, en Afrique ou en Afghanistan, tu es bien content qu'une équipe des Forces spéciales vienne te chercher. Ayez au moins un peu de respect pour ces gens-là. Le jour où vous aurez besoin d'eux, vous allez prier pour qu'ils viennent vous chercher.Impossible de ne pas penser à L'Ordre et la morale de Kassovitz, qui sort deux semaines après ton film. Lui, justement propose une vision plus critique de l'armée…Je vois pas pourquoi on nous a opposé. Il n'en n'a vraiment pas besoin, vu qu'il a fait cinq films. J’ai été déçu que Kassovitz en profité pour me tacler en interview, en disant que je faisais joujou avec des porte-avions atomiques. Bon, j'ai dépassé ça, mais j'ai tout de même deux choses à lui dire : primo, les images de porte-avions ont été tournées en 2004, quand le Charles de Gaulle faisait Toulon-Brest pour le 60ème anniversaire du Débarquement, donc je n'ai pas fait joujou avec eux. Enfin, on dit "porte-avions nucléaire", et pas "atomique".Tu es vraiment en colère ? Tu en veux vraiment aux critiques ?Vous ne pouvez pas avoir autant de mépris pour le public. En majorité, les gens vont voir Iron Man. C'est la réalité, il faut l'accepter. Il faut arrêter de cracher sur les films populaires. Je suis un Parisien, soi-disant intellectuel de gauche, juif de surcroît, et j'arrive dans l'univers de l'armée, où il n'y a soi-disant que des gros cons et des fachos. J'y ai passé du temps et j'ai découvert des valeurs humaines. On peut massacrer le film autant qu'on veut, je m'en fous, mais ne massacrez pas les valeurs humaines.Bande-annonce de Forces spéciales, sorti mercredi :
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- EXCLU - Stéphane Rybojad, réalisateur de Forces spéciales : "En France, on a vrai problème avec le treillis"
EXCLU - Stéphane Rybojad, réalisateur de Forces spéciales : "En France, on a vrai problème avec le treillis"
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