Le héros The Sound of metal porte sur ses épaules, par sa composition géniale d’ambiguïté, Encounter, disponible sur Amazon Prime. Rencontre avec un comédien aussi instinctif que cérébral
Film d’invasion extra- terrestre, survival, récit initiatique de deux gamins ne sachant pas comment réagir face à Malik, ce père ex- marine et border line que vous incarnez. Encounter prend un malin plaisir à perdre ses spectateurs. Il vous avait perdu aussi à la première lecture ?
Riz Ahmed : Déjà j’étais bien préparé ! J’avais vu et adoré Jersey Affair, le précédent film de Michael (Pearce) donc je sais qu’il n’est pas manchot en rebondissements et fausses pistes car j’avais passé tout le récit à chercher à me demander où il allait nous emmener. Dans ses scénarios, Michael a ce talent qu’au moment où vous pensez avoir tout compris de ce qui va arriver, il se passe exactement l’opposé. Donc je m’y étais préparé. Et je dois dire que ce jeu- là a été aussi ludique à l’écrit qu’à l’écran. Car tout autant que le but, c’est le voyage qu’il propose qui est passionnant.
Ne cherchez pas à noyer le poisson : vous avez réussi à deviner la fin ?
J’avoue : absolument pas ! Je ne suis pas encore diplômé en Michael Pearce. Je dois encore bosser ! (rires)
Comment se fait ce chemin vers un rôle de fait aussi complexe, multiple et ambigu ?
Michael m’a d’abord fourni tout son travail préalable autour de ce personnage qui ne figurait pas dans le film. Tout son passé. A partir de là, je suis allé rencontrer d’anciens marines pour tenter de comprendre en détails la dualité de ce personnage. C’est drôle car ce film démarre dans une ambiance de science- fiction, je l’ai vécu moi comme quelque chose de profondément réaliste. Il raconte notre monde qui vit dans une peur permanente. D’un virus comme de l’autre, de l’étranger
Mais quel Malik avez- vous choisi de privilégier dans votre jeu : le père protecteur et lanceur d’alerte d’une invasion extraterrestre ou l’ex marine à la santé mentale défaillante ?
Une fois que j’ai bossé en amont, j’essaie d’avoir le moins d’idées préconçues sur ce que je vais faire. Avoir travaillé me permet d’être paré à toute éventualité car rien ne vous assure que la vision d’un personnage que vous vous êtes faite dans votre petite tête corresponde à celle du réalisateur. Rien ne vous dit non plus que vous allez suivre le scénario à la lettre. Encore moins comme là quand vous bossez avec des enfants. Je vous mets au défi de savoir ce qu’ils vont faire la seconde suivante mais moi, mon job, c’est d’avoir la spontanéité de pouvoir répondre à tout. Ca rejoint ma manière de voir mon métier. Je vois le jeu comme du jazz, nourri d’improvisations régulières. Tu sais jouer du piano mais tu n’as aucune idée des touches précises sur lesquelles tu vas appuyer dans l’instant qui suit.
Vous êtes donc l’anti- WC Fields qui expliquait qu’il fallait fuir comme la peste les enfants et les animaux comme partenaires ?
En quelque sorte. Il y a une seule raison de fuir les enfants comme partenaires : ils sont meilleurs que vous ! C’est comme retourner à l’école : ils vous donnent des master- class gratuites précisément parce qu’ils se jettent sans idée préconçue. Je suis jaloux de cette authenticité là car je sais que je ne la retrouverai jamais
Avez- vous répété ?
Michael y a tenu pour voir si le courant passait entre les enfants et moi, si on allait croire d’emblée à la relation père- fils. Plus de que répétitions de jeu, on a pris du temps pour apprendre à se connaître, à s’apprivoiser, à se faire confiance
Qu’est ce que vous préférez dans la manière de travailler avec lui ?
Cet esprit collaboratif qui l’anime. C’est un metteur en scène qui peut se montrer très ouvert parce qu’il sait où il va et veut nous amener
Vous étiez aussi libre dans votre interprétation à vos débuts ?
Oh non ! J’étais plus scolaire. Quand tu commences tu veux bien faire. Tu préfères que rien ne dépasse. Tu veux à la fois qu’on te voit mais ne pas te faire remarquer. La quadrature du cercle. C’est l’enchaînement des rôles qui permet de se faire plus confiance, d’oser tenter des trucs parce que tu comprends que c’est qu’un metteur en scène attend de toi Et de t’amuser de plus en plus
Il y a un film qui a changé la donne ?
Non, vraiment l’accumulation des rôles. C’est aussi la cruauté de ce métier. Moins vous Non, tous ! Ce métier est cruel. Moins tu joues, moins tu vas oser te lâcher, moins tu vas être bon et moins tu vas travailler. Je tiens un petit journal à chacun de mes films depuis The Road to Guantanamo il y a 15 ans. Et quand je m’y replonge, je m’aperçois que j’ai quasiment les mêmes questionnements avant d’aborder un rôle ! C’est rassurant. J’aime l’idée qu’on ne cesse d’apprendre puis qu’on oublie. Ca permet de garder une fraîcheur. Mais si j’ai évolué, c’est sur un point : avant, je pensais que jouer, c’était construire un personnage. Aujourd’hui, j’ai compris que c’est avant tout faire le vide en soi et de la place pour laisser les choses rentrer
Parmi ces films, il y a en deux mis en scène par des Français : Or noir de Jean- Jacques Annaud et Les Frères Sisters de Jacques Audiard. Quels souvenirs gardez- vous d’eux ?
Sur Or noir, j’ai le souvenir d’un tournage comme un voyage, de Tunisie au Qatar, dans des paysages plus somptueux les uns que les autres. Voilà un metteur en scène avec une énergie de dingue. Il a cette part d’enfance en lui. Et puis j’ai rencontré Tahar (Rahim) avec qui je suis devenu très ami et que je n’ai pas perdu de vue
Vous avez Audiard en commun…
Jacques a un processus de création différent, plus rigoureux. C’est un métronome. J’avais l’impression d’observer un maître du cinéma au travail. Et puis j’étais heureux d’avoir l’occasion de pratiquer mon français.
Vous parlez français ?
Oui un peu mais je n’ai jamais l’occasion de pratiquer
Comment choisissez- vous vos films depuis que vous en avez l’opportunité ?
Depuis le premier jour, même quand je n’avais quasiment aucune proposition, j’ai décidé de faire des choix. En particulier ne pas m’enfermer dans des rôles trop stéréotypés du fait de mes origines ou de ma couleur de peau. Ca vous pousse à l’exigence car on lit énormément de choses très caricaturales. Même dans la dèche, je n’ai voulu faire aucun compromis. Car je crois au pouvoir du cinéma. Je crois que des histoires peuvent faire bouger les choses. Et que la question de la représentation est donc centrale. Être acteur c’est aussi avoir cette responsabilité- là. Après, évidemment, ça ne fait pas tout. Il faut ici qu’un rôle me fasse sortir de ma zone de confort. Mais j’ai toujours cette double réflexion : personnelle et politique.
Vous avez déjà écrit à un metteur pour lui dire votre envie de travailler avec lui ?
Oui, on peut dire que j’ai fait le siège de Michael pour Encounter ! (rires) Je l’ai appelé, je lui ai écrit, j’ai demandé à des amis de faire passer le message. Ca m’était aussi arrivé avec Mira Nair sur L’Intégriste malgré lui où j’avais appris qu’elle avait détesté mes essais pour pouvoir la revoir même 5 minutes. Et vous voyez, ça marche !
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