Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
LE DEUXIEME ACTE ★★★☆☆
De Quentin Dupieux
L’essentiel
Le trio Léa Seydoux- Vincent Lindon- Louis Garrel, complété par Raphaël Quenard offre à Quentin Dupieux, plus disciple de Bertrand Blier que jamais, son meilleur film depuis Au poste !
David explique à son ami Willy qu’il aimerait pousser dans ses bras Florence, la jeune femme qui a jeté son dévolu sur lui mais ne l’attire pas. Puis on retrouve Florence en discussion avec son avant de lui présenter ce David dont elle est tombée follement amoureuse. Vous trouvez ça dramatiquement inepte et sacrément mièvre ? Figurez- vous que les interprètes de ce film aussi et que c’est dans la manière de l’exprimer en interrompant les prises et plus généralement d’échanger à partir de là sur leur métier et l’air du temps qui l’entoure (le risque de se retrouver cancel au moindre bad buzz, le mouvement #metoo, …) que Le Deuxième acte prend son envol. Certes, on retrouve ici l’incapacité chronique de Dupieux à mettre un point final à ses films. Certes, ce qui se dit sur les soi- disant vanité et égocentrisme chevillés au corps des acteurs enfile les clichés. Et pourtant, Le Deuxième acte apparaît comme son film le plus réussi depuis Au poste ! D’abord parce qu’il semble ici assumer plus que jamais le cynisme et la misanthropie de son cinéma. Et surtout parce que ses comédiens prennent le pouvoir. Le génie de l’autodérision d’un Vincent Lindon (dont on croirait entendre certaines colères qu’il a pu exprimer dans la « vraie » vie), la vis comica de Louis Garrel déjà à l’œuvre dans L’Innocent et la liberté de jeu insensée de Léa Seydoux y font merveille. A chacune de leurs scènes. En mode action comme réaction.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A BEAUCOUP AIME
LES QUATRE ÂMES DU COYOTE ★★★★☆
De Aron Gauder
Une résistance pacifique s’organise autour d’un pipeline qui traverse une réserve amérindienne : un vieil homme raconte à cette occasion le récit de la création du monde, des animaux et des êtres humains, et notamment la création de Coyote, un esprit polymorphe et trompeur. Les 4 âmes du Coyote s’empare de la mythologie pour raconter le monde : rien de bien neuf au programme, mais le film est complètement à rebours des films d’animation balisés et proprets qui arrivent régulièrement sur nos beaux écrans. Et ça paraît banal de dire ça mais le film est vraiment hyper beau, jouant sur les formes et les couleurs au gré de l’inspiration et des modulations du récit : le climax qui rejoue la création d’Adam et Eve donnant naissance à la civilisation industrielle est un moment de cinéma et d’écriture assez ahurissant. Oui, on est bien loin des produits formatés qui sous-estiment fortement leur public.
Sylvestre Picard
WHEN EVIL LURKS ★★★★☆
De Demian Rugna
Acclamé dans de nombreux festivals depuis l’année dernière, When Evil Lurks fait partie de ces pépites qui font leur notoriété avant même leur sortie officielle. Le long métrage de Demián Rugna (qui réalisait jusqu’alors des films d’horreur qui peinaient à faire du bruit au-delà de l’Amérique du Sud) apporte sa pierre à l’édifice du genre de la possession. Dans l’Argentine profonde et superstitieuse, isolés au milieu de terres agricoles, deux employés découvrent que des évènements étranges sont causés par la présence d’un corps gangréné par un esprit démoniaque. Pour fuir la malédiction, ils se lancent dans un road trip d’ une brutalité sanglante et une violence débridée, loin du cloisonnement attendu d’un énième héritage de l’Exorciste. Véritable vent de fraicheur, les spectateurs les mieux accrochés y apprécieront l’un des films les plus méchants de l’année.
Bastien Assié
PREMIÈRE A AIME
REINES ★★★☆☆
De Yasmine Benkiran
Une habituée des vols et arnaques en tout genre évadée de prison, sa fille qu’elle a réussi à sortir des griffes des services sociaux et la conductrice d’un camion qu’elle a prise en otage pour tracer la route au cœur de l’Atlas forment le trio singulier de ce road movie mené tambour battant, la police à leurs trousses. L’ombre de Thelma et Louise plane sur ce récit rock n’roll à souhait qui célèbre les désirs de liberté féminine dans un Maroc ployant sur le poids du patriarcat. Il y a du rythme et de l’inventivité dans les péripéties que Yasmine Benkiran a imaginé au fil du voyage rocambolesque de ses héroïnes diablement attachantes. Cette énergie associée au remarquable travail sur la lumière de Pierre Aïm (le chef op’ de La Haine et Polisse) permet de faire entendre une voix singulière dans le cinéma marocain avec cette manière éminemment ludique d’embrasser des questions sociétales essentielles. Un hymne à la désobéissance.
Thierry Cheze
LES TROIS FANTASTIQUES ★★★☆☆
De Michaël Dichter
Un trio inséparable, des vélos, un village où tout le monde se connaît… Les Trois fantastiques remplit au premier abord toutes les cases du teen movie à la française, social en ayant gardé son « âme d’enfant ». Quelques signes orienteront rapidement le récit vers une ligne plus dure : la dernière usine s’apprête à fermer, la bande n’a pas encore réuni assez d’argent pour que tous partent en vacances ensemble. Grâce à son casting bien trouvé, le film s’envole sur la plupart des scènes filmées à hauteur de gosse. Mais cette bouffée d’air frais se voit peu à peu rattrapée par les prémices socio-politiques distillées par fines touches. Frère d’un délinquant, l’un des gamin, Max suit « naturellement » cette voie et trempe la bande dans des problèmes qui les dépassent. Et ce petit village inoffensif se fait alors le théâtre d’un trafic de stupéfiants, d’un violent harcèlement scolaire, d’un règlement de compte… Des Ardennes aux cartels de Mexico il n’y a soudain plus qu’un pas : une singulière et emballante manière de faire voyager ses spectateurs !
Nicolas Moreno
RAPTURE ★★★☆☆
De Dominic Sangma
Depuis quand n’avait-on vu pareille nuit filmée au cinéma ? Dès son plan séquence introductif, stupéfiant de maîtrise, Rapture fait de l’obscurité son terrain de jeu, et la questionne sous toutes ses coutures. Le jeune Kasan vit dans un petit village au le nord-est de l’Inde, terrorisé par des étrangers qu’ils accusent de kidnapping d’enfants. La peur de l’obscurité de l’enfant se confond peu à peu avec les dérives obscurantistes de certains adultes, prêts à manipuler la peur du village pour leurs desseins personnels. Parfois trop contemplatif, au détriment d’une prise en charge plus féroce des rapports (de haine) entre les groupes, le film suit méticuleusement Kasan, dans ses déplacements comme dans ses cauchemars. Et restitue alors l’expérience de cette peur primitive dont on se croyait débarrassé. En réalité, elle ne nous quitte jamais véritablement : elle prend de nouvelles formes autrement inquiétantes.
Nicolas Moreno
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
ROQYA ★★☆☆☆
De Saïd Belktibia
Pour son premier long métrage, Saïd Belktibia a imaginé un thriller au sujet original puisqu’il aborde le recours croissant à la sorcellerie et aux sciences occultes qui sévit dans la France d’aujourd’hui. En se centrant sur l’histoire d’une femme indépendante qui se livre au trafic d’animaux exotiques mais qui se fait accuser de sorcellerie par les habitants de son quartier et se voit séparée de son fils, le cinéaste opte pour le film de traque et le récit à suspense. Mais à force de vouloir mêler une grande quantité de sujets (le business de l’ésotérisme, les dérives terrifiantes des réseaux sociaux, la détresse sociale contemporaine, le combat d’une mère pour son enfant), le film perd sa tension narrative en chemin et s’éparpille. Malgré l’investissement de la toujours excellente Golshifteh Farahani, ce thriller à l’ambition immersive nous laisse ainsi malheureusement à distance et n’ensorcelle guère.
Damien Leblanc
LA MORSURE ★★☆☆☆
De Romain de Saint- Blanquat
À la fois conte nocturne à l’atmosphère fantastique, reconstitution d’une petite ville de province française en 1967 et métaphore du feu transgressif qui brûle chez la jeunesse avant le passage à l’âge adulte, le premier film de Romain de Saint-Blanquat ne manque pas d’allure. On y suit deux amies adolescentes, pensionnaires d’un lycée catholique strict, qui décident de faire le mur pour Mardi gras et vont atterrir dans une fête costumée à l’ambiance lugubre et vampirique. La plus téméraire des deux jeunes filles est convaincue qu’il ne lui reste plus qu’une nuit à vivre et va alors mordre à pleines dents dans l’instant présent sans peur du danger. Si la mise en scène léchée fait parfois mouche, le récit se révèle étrangement atone et cousu de fil blanc jusqu’à créer un rythme trop nonchalant. Brièvement convoqués, les fantômes de Clouzot, Rollin ou Argento restent au final loin à l’horizon.
Damien Leblanc
LA OU DIEU N’EST PAS ★★☆☆☆
De Mehran Tamadon
«Ici, c’est le purgatoire. Ici, vous choisissez entre le paradis et l’enfer.» Sous l’oeil et la caméra et de Mehran Tamadon, le réalisateur de ce documentaire consacré à la torture perpétrée par la République islamique d’Iran, trois réfugiés politiques rejouent, dans une grande restitution de deux heures, les gestes de leurs geôliers. L’un fait mine de torturer le réalisateur dans un hangar parisien ; une autre reconstruit grâces à quelques planches de bois la cellule de sa prison pour femme, qu’elle a partagé avec tant de détenues qu’elles devaient assurer des rotations des lits pour pouvoir toutes dormir la nuit. Si ce doc nous renseigne sur la cruauté du régime iranien, il ne juge hélas pas utile de contextualiser les faits qu’il dénonce… Tant et si bien qu’à la fin, on n’en sait pas beaucoup plus sur le contexte politique de ce pays qui fait souvent l’actualité.
Emma Poesy
PREMIÈRE N’A PAS AIME
LES TORTUES ★☆☆☆☆
De David Lambert
Difficile de ne pas s’ennuyer ferme devant les (més)aventures d’Henri et Thom, couple homosexuel dont 35 ans de vie commune a fini par faire naître un ennui et une fadeur de plus en plus insupportables pour le premier, flic à la retraite, pendant que le second, conscient du lien qui se délite jusqu’à la rupture, va tout faire pour rallumer la flamme endormie. Situations téléphonées, personnages archétypaux… on a connu David Lambert plus inspiré avec Hors les murs et Je suis à toi.
Thierry Cheze
PREMIÈRE N’A PAS DU TOUT AIME
THE PALACE ☆☆☆☆☆
De Roman Polanski
Farce sinistre sur une poignée d’ultra-riches pétant les plombs à la veille du passage à l’an 2000, The Palace a peiné à trouver un distributeur en France, et a fini par y parvenir à prix bradé. La réputation de Roman Polanski, accusé de multiples agressions sexuelles, n’explique pas tout : son film est objectivement accablant, lourdingue, jamais drôle, du sous- Östlund, très ringard dans sa satire de la vulgarité nouveau riche des oligarques russes et des freaks mondains qui se bousculent dans les hôtels cinq étoiles des Alpes suisses. C’est un film si agressif, laid et misanthrope qu’on peut raisonnablement avancer que Polanski l’a conçu comme un doigt d’honneur. Un crachat, pensé pour exciter la colère de la foule cinéphile, l’acte sacrificiel d’un auteur qui, comme il sait qu’il ne quittera pas la scène sous les applaudissements, choisit d’encourager les huées.
Frédéric Foubert
Lire la critique en intégralitéEt aussi
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France, le fabuleux voyage, de Michael Pitiot
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