Il existe un règlement intérieur à Hollywood, un ensemble de rituels immuables auquel est censé se soumettre tout acteur(-trice) travaillant dans l’industrie. La plupart ne s’appliquent pas à Jennifer Lawrence. Rester digne et respectueux du protocole sur les tapis rouges ? Jennifer est adepte de la grimace cute et du gamellage en longueur dans des robes de grands couturiers. Eviter de parler de flatulence et de junk food en interview ? Elle a l’habitude de faire les deux, parfois en mangeant, souvent dans une même phrase. Le cas de ses photos privées leakées sur internet est un peu particulier. Prendre le risque de dévoiler publiquement son intimité reste un pêché capital à Hollywood, dont les carrières de Rob Lowe et Tom Sizemore, par exemple, ne se sont jamais tout à fait remises. Les circonstances sont bien sûr différentes pour Jennifer, mais l’actrice avoue sa panique au lendemain de la diffusion des clichés. “J’ai eu très peur, je ne savais pas quel effet ça pouvait avoir sur ma carrière”, a-t-elle déclaré au Vanity Fair US, posant en couverture du dernier numéro immergée dans un bassin d’eau, avec un collier de diamants pour seule parure. Nue mais cachée… Une interview-vérité au cours de laquelle elle réagissait pour la première fois au “scandale des photos”, contre-attaquant depuis sa position de victime exemplaire et devenant, bien malgré elle, une icône féministe instantanée : “J’ai commence à écrire une lettre de pardon, mais je n’ai rien à me faire pardonner", explique-t-elle. "Je ne peux même pas vous décrire ce que ça fait de voir des photos de mon corps nu épinglées partout dans le monde comme un bulletin de news. (…) C’est mon corps, ça devrait être mon choix. Mais ça ne l’est pas, et c’est absolument écoeurant”. Un “faux-pas” médiatique qui s’achève en déclaration d’indépendance coup de poing, en pur instant de vérité. Un autre dérapage à mettre à son crédit de fille cool et intègre. Les écarts imprévus, les mauvais films (La maison au bout de la rue, sorti en 2012), les photos à poil… J-Law résiste à tout. Mais comment fait-elle ? La star totaleJennifer Lawrence n’est pas une star comme les autres parce qu’elle est une star de son époque. Sans doute LA star, en termes de rayonnement planétaire et de recettes au box office. Surtout : elle donne du sens et un semblant de direction à une industrie aujourd’hui cruellement dépourvue de l’un et de l’autre… A Hollywood, tout a changé aux alentours de la fin des années 90, avec l’éclatement de la bulle des méga-salaires et la fin du star-système. Désormais aux mains de financiers frileux, les studios ne sont plus en business avec les stars ; ils préfèrent sous-payer des jeunes pousses anonymes qu’ils installent aux commandes de leurs franchises toutes-puissantes. La star, aujourd’hui, c’est la franchise. Mais que faire de ces nouvelles vedettes, et de leur soudaine célébrité, quand les séries qui les ont vu naître touchent à leur fin ? Les abandonner sur le bas-côté indie? Les intégrer verticalement à l’édifice ? Kristen Stewart, d’une certaine manière, a essuyé les plâtres de cet Hollywood sans vision et sans héritage. Elle a préparé le terrain pour Jennifer Lawrence. Et, sortie des bois de Winter’s Bone, Jennifer est arrivée parfaitement formée. Une ex actrice de sitcom au jeu grave et au naturel explosif, nominée à l’Oscar de la meilleure actrice à l’âge de 19 ans avec son premier film… Avant ça, elle avait auditionné pour Twilight. Plus tard, elle tentera sa chance pour le Millenium de Fincher. Mais son destin était d’incarner Katniss Everdeen, l’héroïne forte tête de Hunger Games, lointaine cousine de la campagnarde vaillante et protectrice de Winter’s Bone. Un personnage de grande soeur fière et indépendante commence alors à se dessiner, même s’il devient rapidement évident que Lawrence peut tout faire : remplir les salles avec Hunger Games, gagner des oscars avec David O’Russel et Bradley Cooper, fraterniser en direct avec Jack Nicholson pendant la cérémonie, occuper avec un même succès et un même aplomb toutes les strates de l’industrie… Une greffe parfaite. Un bijou d’intégration. Une créature de cinéma totale. Et l’excuse toute trouvée d’Hollywood pour démontrer que le système marche, puisqu’elle en est la preuve.Faire plier le systèmeCe serait la sous-estimer de penser qu’elle a été conçue en laboratoire, sous les diktats et les régimes minceur. Elle déteste les régimes : “Une fois, ils m’ont présenté une photo de moi à moitié nue et m’ont dit de m’en servir comme motivation pour mon régime", nous confiait-elle en mai dernier à Cannes. "Je leur ai poliment demandé d’aller se faire foutre”. Par ses attitudes relâchées et son franc parler rafraîchissant, Jennifer Lawrence est en train de modeler le système, au moins autant que le système l’a modelée. Hunger Games, qui raconte le soulèvement violent d’une population contre le régime totalitaire qui les opprime, n’est pas un blockbuster familial comme les autres. Comme sa star, il va à rebrousse-poil et vise un peu plus haut que le divertissement sage et inoffensif. Comme elle, il a ses racines dans le monde du cinéma indépendant (il y pêche l’intégralité de son casting). C’est ce monde-là que Jennifer espère retrouver une fois qu’elle aura rempli ses obligations envers la saga. “Ce sera un retour aux sources", dit-elle au micro de Première. "Mais la transition sera facile. Le truc, avec les films Hunger Games, c’est qu’ils ne sont pas faits comme des gros blockbusters calibrés. Ils sont réalisés modestement, comme des petits films. Je n’ai pas le sentiment de bosser industriellement… Mais je dois faire un break. Les gens ont droit à un break ! J’ai beaucoup tourné entre chaque Hunger Games… Il faut que j’arrête de sortir un truc tous les mois”. Certes. Mais comment imaginer désormais une cérémonie des oscars SANS (un film avec) Jennifer Lawrence ?Agent doubleNon seulement elle bouscule Hollywood mais elle prend clairement le contrôle des franchises qui la font tourner. C’en est arrivé au point où, contraints de l’utiliser à sa “juste” valeur (elle pèse 7 millions de dollars par film), les scénaristes de X-Men ont réécrit toute l’intrigue du prochain épisode (Apocalypse) autour du personnage de Mystique, la femme à écailles, et de sa love story avec Beast - scènes de sexe à l’appui. Seul hic : Beast est joué par Nicholas Hoult, l’ex de Jennifer, dont elle s’est séparée en août dernier… Si J-Law reste merveilleusement imprévisible dans sa manière de gérer son image, sa carrière, en revanche, est l’otage d’un cycle tout ce qu’il y a d’industriel, coincée en mode “repeat” comme un programme de machine à laver : un Hunger Games, un X-Men, un film à Oscars avec Bradley Cooper (Serena de Susanne Bier cette année), un Hunger Games, un X-Men etc… Elle avoue en avoir un peu marre : “C’est un travers du business de recycler les mêmes choses, sans cesse… Et le rôle de la femme forte, fière et indépendante peut devenir un archétype, j’en ai conscience. Ce qui m’énerve, c’est que ce sont toujours les mêmes qui en profitent. Il y a plein de gens talentueux qui n’ont pas la reconnaissance qu’ils méritent. Si je dois produire un jour, je ferai un film de débutants. Premier film, pour toute l’équipe ! Par contre, je n’entrave rien à l’argent… Il se peut que je sois nulle comme productrice”. Jennifer Lawrence est réellement Katniss Everdeen, l’agent double célébré en lettres d’or sous les feux du Capitol mais ouvertement rebelle, effrontée, menant le combat pour la résistance de l’intérieur. L’oiseau rare qui déclenchera l’insurrection ? A 24 ans, compte tenu de sa position et des épreuves déjà traversées, son pouvoir semble sans limites.Benjamin Rozovas (propos recueillis par Sylvestre Picard)Hunger Games : La Révolte - Partie 1 est en ce moment dans les salles. Lire aussi : Jennifer Lawrence : "Katniss va tout faire péter dans La Révolte"Pourquoi les photos de Jennifer Lawrence nue ne sont pas scandaleuses
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Jennifer Lawrence, la star plus forte que le système
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