- Fluctuat
Oliver Twist, version Polanski, est un peu le film que l'on pouvait attendre: grandeur quasi-mythique du récit, narration soignée et reconstitution historique impeccable. Mais le cinéaste aurait gagné à verser davantage dans l'imaginaire charié par le roman de Dickens. Dommage.
Oliver Twist, un classique de Dickens, un classique des adaptations, télé surtout. La version la plus mémorable date de 1948, elle était signée David Lean. Aujourd'hui c'est Roman Polanski, soit. Mais que faire d'Oliver Twist en 2005 ? Surtout, pourquoi l'adapter ? Facétie de cinéaste qui se plaît à s'identifier derrière les traits du jeune orphelin ? Cette éternelle victime d'un monde cruel, qui d'un twist à l'autre du récit traverse une initiation aux bassesses de l'âme humaine. Peut-être. Mais que l'enfance brimée par l'armée nazie serve probablement de contrepoint autobiographique au cinéaste à travers le récit du Dickens, n'est pas l'essentiel.Le personnage d'Oliver Twist reflète l'innocence et la naïveté teintées d'une bonté chrétienne naturelle. Il est beau, fragile, digne, d'une sincérité lumineuse. Polanski le filme avec la même innocence, les mêmes sentiments, avec une grandeur d'âme et un amour aveugle. Rares sont les oeuvres aujourd'hui à saisir leur sujet et héros avec une telle absence de cynisme. Oliver Twist est un récit terrible, d'une tristesse immense, il raconte un parcours d'une noirceur effrayante et dépeint un monde instable, dur et violent. De cela Roman Polanski a tenté de garder l'origine, les confrontations, les nuances, tout en posant sa vision. En filmant son personnage comme une victime successive des autres et du monde, il crée de nouveau ce sentiment d'enfermement si présent dans son cinéma. A l'étouffement des ruelles étroites et des intérieurs exigus, s'ajoute ainsi l'absence de liberté, faisant d'Oliver Twist l'objet successif et dépendant de l'intérêt de ceux qu'il croise sur son chemin. Pourtant Polanski, malgré les souffrances de son personnage, garde la foi. Ainsi, même chez les pires crapules il pointe un soupçon d'humanité et leur accorde un possible pardon via Oliver Twist. On pleure, on ne pleure pas, comme on voudra Roman Polanski y croit.Tout cela est donc plein de bonnes intentions. La question était : pourquoi cette adaptation ? En effet, Oliver Twist est un film littéralement impossible. Impossible pour aujourd'hui car tout film historique, toute adaptation avec un contexte historique tel qu'il est montré ici, peut sous un certain angle être considéré comme nul. Après Visconti et Coppola (trilogie du Parrain), l'histoire au cinéma est devenue (généralement) un fétiche rétro où c'est le cinéma lui-même que l'on filme d'abord. Une image idéalisée du passé, un passé mis sous cloche. C'est pour cela que cette version d'Oliver Twist par Roman Polanski a finalement très peu d'importance. A la rigueur on peut la voir comme une publicité, pour Polanski, pour l'oeuvre elle-même et pour son fétichisme nostalgique censé recomposer le contexte.Malgré la lecture personnelle de l'oeuvre originale, cet Oliver Twist est d'abord froid, lisse, académique diront certains. Il passe son temps à célébrer le réalisme de ses visages, cheveux, objets, costumes, décors, argot, bref il fait de l'archivage. Parfois le film s'écarte, tente quelques cadres, retouche un peu la lumière et les couleurs pour tendre à quelque chose de pictural, en vérité de l'illustration à la manière de celle qui ouvre et clôt le film. Verser davantage dans l'imaginaire aurait été un pari plus osé, mais ce n'est pas le but de Roman Polanski. Avec son Oliver Twist, le cinéaste espère restituer l'imaginaire visuel du roman avec la puissance du cinéma d'aujourd'hui. Il réalise une adaptation dans laquelle il tend à donner sa vision tout en espérant que la force de Dickens passera naturellement dans ses images éclairées comme il faut. Mais la tentative est vaine, la peur et les névroses ont beau être présentes, la peinture est surtout fonctionnelle. Il aurait peut-être fallu plus d'imagination et faire, comme Abel Ferrarra avec R X'Mas, une adaptation moderne de Dickens pour qu'aujourd'hui elle puisse nous parler vraiment.Oliver Twist
Un film de Roman Polanski
France, République Tchèque, Royaume-Uni, 2004
Durée : 2h05
Avec Barney Clark, Ben Kingsley, Jamie Foreman, Leanne Rowe...
Sortie salles France : 19 octobre 2005[Illustrations : Oliver Twist. Photos © Pathé Distribution]
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