Toutes les critiques de La fureur de vivre

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Lorsque j'entends prononcer le nom de Nicholas Ray, ce qui me vient directement à l'esprit, c'est ce plan magique du commissariat situé au début de La Fureur de vivre, celui où l'on découvre pour la première fois les trois personnages principaux, de ce qui deviendra l'histoire de toute une génération, de toutes les générations.
    Ce qui est paradoxal, c'est que j'en parle comme si j'avais eu la chance de le découvrir lors de sa première projection, en 1955. Quatre décennies plus tard, le film a pris quelques rides, certains sont partis pour toujours, mais l'oeuvre reste. Elle est là, bien ancrée. Et sa force poétique et sociale est toujours aussi dévastatrice. Certains aiment ce film car il y a James Dean. Moi, c'est avant tout pour Nicholas Ray.La frayeur est thème récurrent des films de Nicholas Ray. Déjà dans Les Amants de la nuit (1947), Ray entamait sa plaidoirie pour l'innocence persécutée. Jamais, vous n'oublierez ce plan où Farley Granger fait promettre à Cathy O'Donnell d'élever dans le droit chemin l'enfant qu'elle porte. En une seule séquence, Ray brise les tabous de l'amour académique. Il met à nu la vraie définition de ce sentiment où le lyrisme se mêle à cette délicatesse enfouie de l'homme blessé.
    En (re)voyant La Fureur de vivre, on ne peut qu'être abasourdi par cette mise en scène. Vivante, sans concessions, vous prenant à la gorge sans jamais vous faire de cadeaux. Car le film est tout sauf une attaque. C'est un regard, un douloureux regard. Ray ne sombre pas dans la complaisance, n'attaque pas le petit bourgeois. Il s'intéresse avant tout au quotidien. Les plans de Ray sont conçus afin de vous interpeller directement. Ils vous disent : voyez comme ces adolescents s'ennuient. Mais, bon dieu ! Observez les, ne les jugez pas. Il faut savoir parfois ouvrir l'oeil et le bon ! C'est pourquoi, si vous me dites que vous avez repérez un plan inutile dans ce film, je vous traiterai de menteur. Le cinéma de Ray ne comporte que des plans concrets, non décoratifs et surtout sans mièvreries. Tout est conçu pour se rapprocher du réel.
    Nicholas Ray traîne une authenticité avec lui, inhérente à sa personnalité. Chacun de ses plans confirme qu'il se démène comme un beau diable pour pouvoir faire vivre son petit Jim Sark (le personnage de James Dean). C'est une remarquable virée que nous offre ce Rimbaud du cinéma. Un de ces petits tours dont ses héros n'en sortiront pas indemnes.Après avoir vu Rebel without a cause, vous serez pris d'une envie irrésistible d'en savoir plus sur ce géant que fut Nicholas Ray. Quelques suggestions, Les Amants de la nuit, Le Violent (terrible témoignage sur l'alcoolisme et incroyable composition d'Humphrey Bogart), Derrière le miroir (virulente attaque contre certains médicaments - "film de la logique et de la lucidité" selon Truffaut), Amère victoire (la vérité aveugle de la guerre selon Ray), La Forêt interdite (mystérieux poème écologique) et surtout Johnny Guitar, considéré par certains comme le plus grand western de tous les temps.
    L'art de Nicholas Ray est de prouver à la fois que la vraie vie est ailleurs et qu'elle est pourtant là, dans son étrange et radieuse beauté.La fureur de vivre
    De Nicholas Ray
    Avec James Dean, Natalie Wood, Sal Mineo, Jim Backus, Ann Doran.
    Etats Unis, 1955, 1h51.