Deux ans après Trois nuits par semaine, un premier long de fiction qui ouvrait déjà les portes de la scène drag parisienne, Florent Gouëlou revient avec Habibi, chansons pour mes ami.e.s, présenté en Compétition française au Champs Elysée Film Festival cette année.
Décidément, Florent Gouëlou (que certains connaissent mieux sous son nom de scène, Javel Habibi) fait beaucoup pour le cinéma ultra indépendant, auquel il fait cette fois cadeau d’un documentaire. Articulé autour des portraits de cinq queens, Javel, Sara Forever, Kiara Bolt, Ruby on the Nail et Tuna Mess, le film a aussi pour ambition de se tirer son chapeau à la Flèche d’or, plaque tournante de la culture underground et refuge de la marge, à la marge.
Si la bien-pensance sociale est effectivement à l'œuvre dans ce premier essai didactique, qui s’ouvre sur des maraudes et se ponctue, un peu aléatoirement, il faut le dire, de moments de soupes populaires ou autres formes de partage bienvenus, ce n’est pas l’élément que l’on retient. Ce qui intéresse, ce qui fascine, c’est le monde merveilleusement cru des coulisses dans lequel Florent Gouëlou nous infiltre, ses dessous (au sens littéral comme figuré), desquels il lève le voile, sans pudeur mais avec respect.
Avec un sens du formalisme et de l’artificialité inhérents à cet univers, Habibi s’aborde comme le montage parallèle de séquences de performances et de temps de conceptualisation, de fabrication de costumes, de répétitions ; le tout menant à la dernière soirée Habibi “drag et cinéma” de la saison de La Flèche d’or. Ici, la caméra regarde la scène en face, la décrypte, la décortique, la sonde, comme pour en souligner la richesse, l’épaisseur. Chaque numéro se présente comme un mémento grouillant de références cinématographiques, musicales ou pop, et ce petit bout de scène obscur voit ainsi se côtoyer France Gall, Lady Gaga, Michel Fugain, Pedro Almodovar, Thelma et Louise ou encore Isabelle Adjani, dans une forme de tissage culturel métisse, et surtout, utopique.
Une sincérité artistique idéaliste, candide même, mais contrebalancée par la profondeur de réflexions identitaires, qui apparaissent comme le fil rouge de la narration. En somme, ce sont les contradictions du drag que Florent Gouëlou observe au microscope, les aspérités qui font sa complexité. Pas une des queens n’a l’air d’aborder sa persona de la même façon. Et au fond, qu’est-ce que Sara Forever pour Matthieu, ou Ruby on the Nail pour Maxime ? Un personnage ? Un alter ego ? Une image de marque, déclinable à l’infini ? Ou la possibilité d’être “totalement autre que soi et pourtant fondamentalement soi-même” ?
La beauté du geste du réalisateur réside en ce qu’il ne cherche pas vraiment de réponse à ces interrogations, mais passe de queens en queens, de chanson en chanson, comme pour montrer que le drag refuse l'inertie. Habibi, chansons pour mes ami.e.s est un “anti Drag Race France” comme le dit Gouëlou, objet intimiste, politique, poignant, et surtout drôle, le burlesque jaillissant inévitablement des performances présentées. Il sied ainsi de conclure ce papier sur un florilège non-exhaustif, hors contexte, peut-être un peu cryptique mais pas moins sincère, de bons mots que l'ont doit à ces reines de la scène : “Le plastique, c’est ma campagne à moi” ; au “Trois ans, c’est presque un chiffre rond” ; en passant par : “Y’a deux ‘p’ à nappage ?” et : “Je fonctionne toujours en mille-feuille”.
De Florent Gouëlou. Avec Florent Gouëlou/Javel Habibi, Matthieu Barbin/Sara Forever, Maxime Der Nahabédian/Ruby on the Nail... Durée 1h20. Date de sortie inconnue.
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