- Fluctuat
La première image est crue, sans fioritures : confession vidéo d'une ado mal dans sa peau. Son père est un looser fini qui bandouille devant les minettes de quinze ans qu'elle ramène à la maison. Elle le trouve tellement pitoyable qu'elle veut le tuer. Générique.
Lester Burnham (le père) présente sa vie. Sa ville, sa rue, sa maison, ses voisins, son lit, son moment favori de sa morne journée succédant à tant d'autres mornes journées. Bercé par son traintrain quotidien de cadre moyen, il a deux voitures, une jolie maison et une femme aussi. Elle cultive méticuleusement des roses rouges et rêve de réussite et de perfection. Son modèle dans la vie, c'est Buddy Kane, le roi de l'immobilier.Pris sous le microscope de la caméra, Lester s'expose. Sa vie est aussi inintéressante que la nôtre. D'ailleurs il nous ressemble. Pourtant il sait qu'il va mourir, et c'est ce qui est intrigant. Comment sa vie si plate et apparemment sans danger va-t-elle le conduire à une mort si certaine ? Qu'est-ce qu'elle a de plus passionnant que la nôtre sa vie pour mériter la une des pages faits divers et être illustrée par une musique qui fait hiatus ?Sam Mendes, le réalisateur, Thomas Newman, le compositeur, et Alan Ball, le scénariste, introduisent dans ce début de film cette question un peu stupide et cynique, dans l'esprit des spectateurs qui dès lors sont pris dans un suspense étrange : comment Lester va-t-il mourir, qui va le tuer ? Jane déteste-t-elle vraiment son père, celui-ci n'est-il qu'un looser fini ou est-il aussi un pédophile qui martyrise sa fille ? Dès lors nous attendons avec impatience la suite de cet étrange récit qui nous livrera peu à peu ses mystères.Par le bout de la lorgnette d'une caméra vidéo braquée sur la famille Burnham, nous plongeons au coeur de la libido de ce quadra pitoyable, de ses ridicules, de ses compromissions et de ses renoncements... Derrière les portes et les croisées des fenêtres des maisons bourgeoises, se révèlent des mondes solitaires. Se servant d'une esthétique proche du film noir, le réalisateur traduit les turpitudes de ses personnages. Jouant de la profondeur de champ, il les surcadre, les inscrit dans nombres de lignes horizontales et verticales délimitant des prisons psychiques desquelles ils doivent se défaire.Parce que sa vie est si plate, Lester Burnham tombe effectivement en pâmoison devant la première jeune fille qui lui est accessible : la meilleure copine de sa fille. Bientôt en âge de devenir une femme, Angela est un canon de beauté. Délurée, le sexe et la perte de sa virginité sont ses deux obsessions majeures. Ainsi cette Lolita avec des barrettes dans les cheveux, proclame à qui veut l'entendre qu'elle couche avec des hommes plus vieux qu'elle, et qu'elle veut se faire le père de sa meilleure amie. Elle se débat péniblement avec sa chrysalide de jeune ado, avec l'envie de déployer ses propres ailes de femme papillon.Sa plastique parfaite réveille les sens de M. Burnham qui se rend compte alors du poids du cocon dans lequel il s'est enfermé. Comme tous les personnages du film, lui aussi a une enveloppe protectrice dont il doit se débarrasser pour mener une vie plus assumée et plus heureuse. Son corps garni de ses kilos en trop trahit sa mort sexuelle. Et, sur le point de subir le dégraissage d'une entreprise pour laquelle il s'est dévoué pendant quinze ans, il devancera l'appel tout en demandant une prime augmentée par une menace de chantage. Le vrai Lester Burnham vire sa cuti et se met à la gym (d'ailleurs Burn Ham signifie en anglais jambon grillé faut-il y voir un rapport ?). Pourtant s'il rêve du corps de cette toute jeune fille, Lester n'est pas un pédophile. Certes tout pourrait faire penser le contraire et beaucoup de gens ont vu dans la phase finale du film une réhabilitation d'un personnage trouble. Très politiquement incorrect, son attitude révèle un amour certes mal dirigé, mais sincère. Face à la réalité de son exécution, ce père de famille se rend compte qu'il a cristallisé ses sentiments sur cette jeune fille catalyseur de son mal être. La performance d'acteur de Kevin Spacey rend merveilleusement cette ambiguïté. De même, bénéficiant d'un casting parfait, American Beauty, est l'histoire de personnes prises entre une intériorité plus ou moins tue et une apparence proclamée.Alors que les adolescents s'éveillent à la beauté du monde qui les entoure, qu'ils grandissent péniblement, Lester cherche à retrouver sa naïveté juvénile, la simplicité d'un bonheur perdu derrière les mensonges du confort bourgeois. Au fond petits et grand se ressemblent : les plus jeunes contemplent un sac plastique poussé par le vent sur des feuilles mortes tourbillonnantes qui découvrent le bitume, y voyant une des plus belles choses du monde, tandis que M. Burnham fantasme sur le corps de son égérie, qu'il imagine se dévoiler sous des pétales de roses rouges qui s'envolent. La vraie beauté est cachée.Alors qu'il se révèle à lui-même, sa femme, Carolyn, s'enferme dans ses idéaux matérialistes de Wonderwoman : maternelle, professionnelle, et entretenue, elle recherche le bonheur dans la perfection d'une réussite par définition inaccessible. Son traintrain, elle l'a voulu, elle l'a eu et elle y tient. Elle veut l'améliorer car pour elle, tout est dans l'apparence, là est le secret du succès. Elle peine pour être une incarnation de l'American Way of Life et fixe ses idéaux dans une conquête du matériel. Vénérant son canapé en soie plutôt que son mari qui est dessus, elle renonce à comprendre Lester pour coucher avec sa star de l'immobilier. Rassurée par la musique de crooners qu'elle se passe en boucle, elle se convainc qu'elle marche vers la prospérité. " No body should walk on my parade " chantent les crooners qui l'illusionnent d'un " I will make it and even if I don't, at least I didn't fake " (je vais y arriver et même si je n'y arrive pas au moins je n'aurais pas fait semblant). Annette Bening est bouleversante dans ce rôle. Ne s'épargnant jamais, elle traduit les sentiments d'une femme qui frôle la folie en tentant de maîtriser son hystérie.Son mari acquiert une indépendance d'esprit enviable, qu'elle qualifie d'adolescence attardée, tandis qu'elle subit la contrainte de modèles qui au fond ne la rendent pas heureuse. Le père prend son virage de quarante ans avec radicalisme, tandis qu'elle se bat contre une sourde impression de solitude et d'échecs qui la menacent sans cesse.A ces difficultés personnelles se rajoutent celles d'être parents d'une jeune fille à l'âge ingrat. Sans cesse condamnés, ils s'en prennent plein la figure et se doivent de trouver cela normal. Le spectateur privilégié voit les deux parties qui par définition ne communiqueront pas. Telle une petite souris nous sommes en face de ce que nous avons été, des ados idiots, et de ce que nous allons devenir, des parents débiles. " Comment mon père peut-il ne pas me démolir psychiquement ? " confie Jane à son petit ami. Malgré l'exagération dans de tels propos, on sent qu'elle est sincère et c'est ce qui est troublant. On devine son désespoir d'éternelle incomprise et on sait qu'on ne peut rien faire pour lui ôter de telles idées de la tête. Renonçant à avoir un père exemplaire, elle doit grandir. Il lui faut accepter que même si le monde n'est pas parfait, il est si beau qu'il n'y a pas de raisons d'en avoir peur...American Beauty
Réal. : Sam Mendes
Avec : Kevin Spacey, Annette Bening, Tora Birch, Wes Bentley, Mena Suvari
USA - 1999 - 2h02mn
Date de sortie : 02 Février 2000
- Portrait de Kevin Spacey
American Beauty