Parmi la (trop) longue liste des artistes morts prématurément, Elliott Smith fait sans conteste parti des plus regrettés. Véritable icône d'une génération désemparé, il parvenait avec ses mots, son storytelling judicieux, à extrapoler des sentiments universels, créer des univers de connivence avec une virtuosité sans égal. Que ce soit au travers de sa carrière paradoxale mais représentative d'une vie en dents de scie, ou par sa musique tantôt délicate, tantôt aguichante, chaque facette d'Elliott Smith recèle une parcelle de grandeur d'âme et d'intimité, entre compromission et raison d'être.Déviation obligatoireGrandissant dans un Texas rural et conservateur, dans une famille avec un beau-père violent, Steven Paul Smith, rebaptisé plus tard Elliott, se réfugie rapidement dans la musique comme moyen de rupture avec son présent. Fan des Beatles, il apprend la guitare et le piano à neuf ans, et compose ses premières chansons à l'âge de dix. A l'adolescence, il déménage à Portland avec son père biologique, écoute Bob Dylan, Kiss ou encore Elvis Costello, et découvre déjà la drogue et l'alcool. Malgré tout, il parvient à obtenir l'équivalent du bac. Il débute dans divers petits groupes locaux, et de cette époque date son auto-réappellation en Elliott, trouvant son prénom Steve trop générique. Quelques années plus tard, il rencontre Neil Gust, dont l'appréciation du post-punk les rapproche, et fondent Heatmister, accompagnés par Tony Lash et Brandt Peterson. Heatmister sortira trois albums Dead Air (1993), Cop And Speeder (1994) et Mic City Sons (1996) aux sonorités punk et grunge. Malgré un contrat signé chez Virgin, Elliott ne se plaît plus au sein du groupe, où il ne parvient pas à imposer sa vision de la musique et où ses compositions sont passées à la trappe, le reste du groupe souhaitant un son plus formaté. C'est ainsi que naît son premier album Roman Candle (1994), sur lequel figure des chansons refusées pour Heatmister, aux compositions plus acoustiques.Intégrité et notoriété Alors que Heatmister connaît ses dernières heures avant dissolution, Elliott Smith enchaîne sur la lancée de Roman Candle, et sort sur le label Kill Rock Stars, l'éponyme Elliott Smith (1995), et surtout le magnifique Either/Or (1996). Les compositions beaucoup plus épurées voient tout le potentiel lyrique et vocal de Smith s'accomplir, avec des mélodies d'orfèvres et des instrumentations variées. Les thèmes deviennent plus durs, et plus sombres, tournant autour de Dieu, de la solitude et du désespoir, insufflés par un Elliott Smith souffrant d'un alcoolisme sévère, suivi d'une dépendance aux anti-dépresseurs. Paradoxalement, Either/Or verra Elliott Smith s'élever à une certaine notoriété, avec des critiques enthousiastes et un public réceptif, dont le réalisateur Gus Van Sant, qui souhaite utiliser certaines des chansons de l'album pour son nouveau film. La bande-son de Will Hunting, se verra alors imputer de nombreuses compositions d'Either/Or, "No Name # 3", "Between The Bars", "Angeles" et "Say Yes", ainsi que d'une composition originale, "Miss Misery". Contre toute attente, le film est un succès international, menant même Elliott Smith et sa chanson "Miss Misery" aux Oscar, pour le prix de la Meilleure Composition Musicale pour un film, qu'il perdra contre Céline Dion et la bande-son de Titanic. L'ami Smith se verra alors propulsé sur le devant de la scène, sur des plateaux télés, puis quitte Kill Rock Stars pour la major Dreamworks. Cette soudaine notoriété perturbe fortement Smith, également accusé par certains fans d'être passé chez l'ennemi en quittant un label indépendant pour une major, et fait une tentative de suicide, est interné dans plusieurs hôpitaux psychiatriques et est toujours aussi dépendant aux drogues. Du haut à la fin Malgré cela, Elliott Smith sort chez Dreamworks, deux superbes albums, bien que différents, XO (1998) et Figure 8 (2000). Beaucoup plus épurées musicalement, le piano et les arrangements effusifs rendent ces deux albums totalement indispensables. XO, plus marqué, faussement plus calme, bénéficie de paroles lourdes de sens et denses d'intensité, tandis que Figure 8 fait la part belle à l'harmonie musicale entre les mélodies impeccables et la voix douce-amère de Smith. La tournée qui suit sera parfois chaotique, avec un Elliott Smith éprouvé, drogué à l'héroïne, parfois même incapable de jouer.Cependant, il souhaite enchaîner sur l'enregistrement d'un prochain album, qu'il commence à composer avec son ami Jon Brion. Mais l'état de Smith ne s'arrange absolument pas, carburant à la drogue, sujet à des crises de paranoïa aigues, il sabote son amitié avec Brion, menant à la mise en demeure de son nouveau projet, il se terre chez lui, enchaîne les périodes d'insomnies et d'hypersomnies -; qui seront en fait des périodes d'inconsciences. Et pourtant, en 2003, Smith se produit de nouveau en concert, et annonce la finalisation prochaine de son prochain album From A Basement On The Hill. Mais fin 2003, Elliott Smith sera retrouvé mort dans sa salle de bain, un couteau planté dans la poitrine. Malgré certains éléments menant à la supposition d'un suicide, l'enquête est toujours ouverte.A titre posthume, From The Basement On A Hill sortira finalement en 2004, et New Moon en 2007, une double compilation de titres enregistrés par Elliott Smith entre Roman Candle et XO. Figure iconique de la musique indie -; et de la musique tout court serait-on tenté de dire -; Elliott Smith aura symbolisé, par son oeuvre, par ses chansons, par sa vie, la grande insuffisance humaine à vivre une vie, à ne faire que ce que l'on peut, avec ce que l'on a. Avec souffrance et solitude. Avec âme et sincérité.par Kristoffe Biglete