Le show adapté d'Eiichirō Oda n'est pas une grande série, mais c'est un excellent divertissement, une comédie amusante qui respecte l'oeuvre originale, tout en l'ajustant à son nouveau format. Le saut était périlleux et la réception est indéniablement maîtrisée.
Le niveau d'anxiété était à son maximum, vendredi, chez les fans de Monkey D. Luffy. Au moment de lancer la saison 1 de One Piece sur Netflix, les matelots de l'Équipage du Chapeau de Paille suaient à grosses gouttes en osant à peine lever les yeux sur cette version "live action" du manga culte d'Eiichirō Oda - juste le plus gros manga de l'histoire. Il faut dire que ces derniers temps, les adaptations d'animé ont rarement déclenché l'enthousiasme. Avec en tête l'énorme ratage du film Death Note (2017) ou le flop terrible du Cowboy Bebop (2021), coûteux accident industriel, la plateforme de streaming semblait s'obstiner - pour des raisons peu artistiques - dans un genre qui ne lui seyait guère.
Avec ce préambule en tête, cette version de One Piece a aujourd'hui tout d'un petit miracle !
Au-delà des espérances, la série en prises de vues réelles a su capturer l'essence loufoque de l'œuvre originale, en la réajustant pour le plus grand nombre. Le feeling est charmant, indéniablement fun à souhait. Dans une ambiance cartoonesque parfaitement assumée, la série ne cherche pas à un être un grand drama. Elle veut avant tout être un grand divertissement. Un étrange mixe d'action et de comédie, de fantastique et de bouffonnerie, quelque part entre Pirates des Caraïbes et Scott Pilgrim. Visuellement, le résultat est assez époustouflant, les décors impressionnants, les combats spectaculaires et la série a su rendre justice au décorum tellement unique du monde de One Piece. Il faut dire qu'Eda n'a pas laissé les producteurs faire n'importe quoi. Il a mis son nez partout, a suivi le développement jusqu'à exiger parfois des reshoots. Et on imagine qu'il a aussi aidé à choisir le Luffy de Netflix. Iñaki Godoy n'est pas pour rien dans l'heureux dénouement de cette version live. L'acteur mexicain a su s'imprégner de la douce folie contagieuse du jeune pirate perché de One Piece. Suffisamment pour ne pas perdre les fans en route. Suffisamment pour obtenir la validation des lecteurs du manga ou des aficionados de l'animé original ?
Probablement pas. Parce que la série délaisse inévitablement quelques aspects de la bande dessinée et ne cherche pas à reproduire méthodiquement chaque case des BD. Les showrunners Matt Owens et Steven Maeda ont suivi la base des 100 premiers chapitres, mais ont osé quelques changements - avec l'accord d'Eda - dans le déroulé, dans les circonstances. "Adapter un manga, c'est une tâche presque impossible", explique Maeda dans Variety, justifiant ses prises de liberté. "Pour moi, la série doit être un pont entre les gens qui connaissent l'œuvre et ceux qui ne la connaissent pas. C'est la seule raison valable de faire une telle série : il faut proposer quelque chose que les fans purs et durs vont apprécier et reconnaître, tout en réussissant à appâter de nouveaux spectateurs qui vont se demander : c'est quoi ce bateau pirate rose de fou ?"
Un subtil équilibre que peu de versions "live action" ont réussi ces derniers temps - demandez au film Les Chevaliers du Zodiaque. Pourtant, l'adaptation en chair et en os est loin d'être une aberration en soi. Elle fait même partie de l'ADN du manga et de l'animé. La première remonte à 1961, avec Sennin Buraku, un strip hebdomadaire - lancé en 1958 - racontant une histoire d’amour dans la Chine médiévale. De fait, One Piece n'est pas la première à avoir su passer au "live action" avec les honneurs. Loin s'en faut. Le cinéma japonais n'a pas attendu Netflix pour ouvrir une telle passerelle que certains auteurs reconnus - comme Takashi Miike ou Hideo Nakata - ont déjà emprunté avec succès. Mais ces films n'ont été que rarement exportés en Occident où, lorsqu’on pense «adaptation en live action d’un manga», on pense d'abord à Dragonball Evolution (2009). Un nanar réducteur qui a tendance à faire oublier des réussites comme Alita : Battle Angel de Robert Rodriguez, réinvention brillante de Gunnm, ou le sous-côté Ghost in the Shell porté par Scarlett Johansson.
Oui, il est possible de faire une bonne adaptation de manga en "live action", même à Hollywood. One Piece est en un nouvel exemple aujourd'hui et le succès massif qui attend Luffy dans les prochaines semaines sur Netflix pourrait même ouvrir la porte à de futurs projets. On sait que Warner rêve d’une version américaine de L’Attaque des Titans, en live action. Le cinéma nippon ne l'a pas attendu et a déjà livré la sienne, dès 2015...
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