Mon Petit renne et ces séries de Netflix qui posent problèmes
Netflix

Ces derniers temps, procès et contestations en tous genres s'enchaînent.

Cette année, la série Mon petit renne, fiction adaptée de l’expérience de stalking vécue par son créateur, Richard Gadd, a fait beaucoup parler d'elle : déjà pour la qualité de son storytelling, qui lui a d’ailleurs valu six nominations aux Emmy Awards ; mais aussi pour le scandale soulevé par Fiona Harvey, une Écossaise qui s’est reconnue dans le personnage de Martha, la stalkeuse. Résultat ? Elle demande 170 millions de dollars en dédommagements.

Débats éthiques, imbroglios légaux… Depuis quelques années, le géant du streaming et de la production audiovisuelle Netflix enchaîne les loupés. De doléances véhémentes sur les réseaux sociaux en procès aux contrecoups faramineux, c’est toujours à la plateforme de payer l’addition de ces dérapages.

Pourtant, une question se pose : s'agit-il de sacrifices réfléchis ou d'une spirale d’accidents déontologiques malavisés ? Tous ces dérapages sont-ils vraiment accidentels ? Ou répondent-ils en fait à la ligne éditoriale que s’est fixée Netflix ?

S'ils posent des problèmes certains du flou entre la fiction et la réalité, de la responsabilité morale d'une plateforme dotée d'un large public, ou encore des dangers de l’IA, ces contenus présentent tout de même quelques avantages, pour les spectateurs comme pour Netflix : diversité des points de vue, motivation de la créativité, valeurs informationnelle (à prendre avec des pincettes, bien sûr) et aubaine financière (sans aucun doute)…

Ces pratiques ne datent pas d’hier, mais cette année, tout semble s’être accéléré. Analyse de quelques cas récents.

Mon petit renne
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Mon petit renne

Voilà maintenant quatre mois que le scandale “Mon petit renne” se grossit, inarrêtable. Après le choc de la première diffusion, les fans ont sorti leurs loupes et leurs chapeaux de Sherlock Holmes et se sont “amusés” à chercher la vraie identité des agresseurs de Donny, alias Richard Gadd bien que celui-ci leur ait explicitement demandé d’arrêter. S’en est suivi un lynchage invraisemblable – comme seul le web sait les produire –, qui a mené Fiona Harvey à sortir de son anonymat (devenu relatif) et à porter plainte contre Netflix (et pas Gadd).

“Défendre avec vigueur le droit de Richard Gadd de pouvoir raconter sa propre histoire”. C’est l’argument (faible, et un brin idéaliste, il faut le reconnaître), avancé par la plateforme pour sa défense avant un procès qui aura bien lieu. Certes, Richard Gadd a le droit de raconter son histoire, et ça, il le fait même très bien. Le problème se trouve dans la manière dont Netflix a marketé la série : la tagline imprimée avec les posters de Mon petit renne indique très précisément “une histoire vraie captivante”. De son côté, Richard Gadd a toujours fait la distinction entre la réalité et la fiction, arguant bien que Mon petit renne ne correspondait pas réellement à la façon dont s'étaient passées les choses.

La responsabilité de Netflix est donc engagée. Pourquoi avoir axé la promo (d’ailleurs quasi inexistante) de ce qui est réellement un objet télévisuel unique en son genre sur l’effet “waouh” du fait-divers dit “vrai” ? Ses représentants semblent avoir pris conscience de cet amalgame promotionnel, et ont opéré un rétropédalage stratégique en revenant sur une de leurs déclarations, qui parlait de Martha (Fiona Harvey) comme d’une “harceleuse condamnée”, ce qui n’est, en réalité, pas le cas.

La décision de justice qui mettra fin à cette affaire sera décisive pour le futur des productions Netflix de ce genre.

Mon Petit renne et ces séries de Netflix qui posent problèmes
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Inventing Anna

Sortie en février 2022 dans l’orbite de la planète Shonda Rhimes (Grey’s Anatomy, Scandal, How to Get Away With Murder), Inventing Anna raconte les frasques d’Anna Delvey/Sorokine, escroqueuse de la haute d’origine russe. En mai 2018, le New-York Magazine raconte le parcours de la jeune femme, condamnée pour fraude l’année suivante, dans un article intitulé “How Anna Delvey Tricked New-York’s Party People" (Jessica Pressler).

Des aventures qui semblaient tout droit sorties d’un épisode de Gossip Girl, et qui ont visiblement inspiré les auteurs de chez Shondaland, qui a acheté les droits de la vie d’Anna Delvey et de l’article en question. Succès public et critique, la mini-série de fiction vaut à son actrice principale une nomination aux Golden Globes.

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu’à ce que Rachel DeLoache Williams vienne y mettre son grain de sel – et à raison. Williams, c’est une journaliste de chez Vanity Fair, qui s’est fait extorquer plus de 60 000 dollars par la fraudeuse germano-russe. Elle accuse Netflix de “promouvoir tout ce récit et [de] célébrer une criminelle sociopathe, narcissique et avérée”. En somme, pour elle, Anna Delvey devient l’héroïne de cette histoire, et non la “méchante”. Pourtant, Rachel Williams a elle-même raconté son histoire dans un essai, My Friend Anna : The True Story of a Fake Heiress : il aurait donc été très facile pour Netflix de croiser ses sources et de faire un récit fidèle de ce qui s’est passé. Mais non.

Selon l’avocat de Rachel Williams :

"Ils sifflent la foule et la lancent sur le malheureux qu'ils ont désigné comme le méchant. Et la foule en ligne est vicieuse, elle juge sans pitié."

Tout cela, en sachant que, si Netflix présente la série comme "inspirée de l'histoire vraie d'une fraude", la production n’a pris la peine de changer ni le nom, ni l'adresse de Rachel Williams. Deux raisons valables, qui ont poussé la journaliste bafouée à déposer une plainte en diffamation contre Netflix. La demande de rejet de la plainte a été déboutée, et le procès aura bien lieu.

Mais ce n’est pas tout. Car pour pouvoir mettre la main sur les droits de sa vie, Netflix et Shondaland ont versé plus de 500 000 dollars à Anna Sorokine, comme une récompense à ces crimes. Pas très logique, quand on y pense.

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Dirty Pop : L'imprésario est un escroc et Les Vérités de Jennifer

Deux true-crimes, un seul et même problème : l’intelligence artificielle.

En avril dernier, le documentaire de Jenny Popplewell retraçant l’affaire Jennifer Pan s'attirait les foudres des internautes en utilisant l’IA pour générer de fausses images de son adolescence. Censées provenir d’archives familiales et personnelles, ces photos inventées par un logiciel devait illustrer la personnalité joviale de celle qui a fini par commanditer l’agression et le meurtre de ses parents. Sauf qu’elles n’existent pas.

Un faux-pas qui avait également posé la question éthique de l’utilisation de l’IA dans un true crime, un genre censé planter ses racines dans celui du documentaire. Peut-on réellement s'arroger le qualificatif de “vrai” (“true crime” ; les “vérités” de Jennifer) en s’appuyant sur des sources inventées de toutes pièces ? D’autant plus que le générique du film ne faisait aucune mention de l’intelligence artificielle pourtant bien utilisée au vu de bizarreries trouvées ça et là.

Quelques mois plus tard, Netflix a retenu la leçon. Pour Dirty Pop, les réalisateurs ont… utilisé une intelligence artificielle, MAIS c’est indiqué dès le début du premier épisode. Il fallait bien ça pour justifier que le premier intéressé, mort et enterré depuis quelques années, introduise face caméra l’histoire que le spectateur est sur le point de découvrir.

Pourtant, cette précaution n’en a pas empêché beaucoup de récrier cette utilisation de l’IA assumée. Sur les réseaux sociaux, les questionnements moraux se succèdent : faire revenir Lou Pearlman d’entre les morts, pour quoi faire ? Est-ce qu’on est sûr que c’est ce qu’il aurait voulu ? N’y aurait-il pas eu un autre moyen, moins discutable, pour arriver à cette même fin ? Est-ce que ce n’est pas un moyen de se faire de l’argent sur le dos de ses crimes ? Sur un effet “waouh”, voyeuriste, sensationnaliste ?

Dans les deux cas, Netflix n’a fait aucun commentaire, et aucune action n’a été intentée en justice, mais reste le sentiment que le géant du streaming joue avec la limite de ce qui est légal tout en faisant complètement fi de sa responsabilité éthique. Surtout après des mois de négociations pour sortir d’une grève qui, justement, pointait du doigt cette utilisation démesurée de l’outil intelligence artificielle.

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Harry & Meghan

En décembre 2022, Netflix diffuse les six épisodes de Harry & Meghan, série documentaire intimiste entrouvrant les portes résolument fermées de la villa californienne du couple princier après des mois et des mois de scandales et un retrait de la vie publique. Prônant un voyeurisme conscient et à demi assumé, le duc et la duchesse de Sussex “livrent leur vérité sur leur retentissante histoire d’amour” selon le synopsis officiel de la série.

A l’époque de sa sortie, elle devient rapidement l’un des plus gros hits de la plateforme, passant aisément devant The Crown, comme un pied de nez à la famille royale.

Si on reconnaît au couple le droit de raconter l’histoire de leur point de vue, la production du documentaire n’a pas été des plus carrées selon certains. Il y a, par exemple, Shallon Lester, YouTubeuse dépeinte comme “anti Harry et Meghan”, qui affirme que les images issues de sa chaîne que l’on voit dans le documentaire ont été utilisées sans son autorisation.

Des images de certains palais appartenant à la couronne auraient également été utilisées sans permission préalable de la Reine. Elles s’inscrivent dans une série de photos et d’images mal utilisées par la production et n’ayant rien à voir avec les propos tenus (première de Harry Potter et les Reliques de la Mort – Partie 2, vidéo de Katie Price arrivant au tribunal pour une audience).

Il y a aussi cette photo, marketée comme une photo de paparazzi pour illustrer l’intrusion de la presse dans leur couple et leur vie de famille. Après la sortie du docu-série, il a été révélé que l’auteur du cliché avait été accrédité par l’organisation de l’événement auquel ils participaient.

Samantha Markle, demi-sœur de Meghan a profité de la sortie de la série pour relancer le procès en diffamation qu’elle avait intenté plus tôt à la duchesse de Sussex, se servant des nouvelles images fournies par la série comme preuves additionnelles. Sa plainte finira par être déboutée.

Rien de véritablement illégal, en somme, mais un résultat qui s’érige comme l’un des exemples parfaits de la mauvaise gestion des sources dans les contenus à valeur documentaire de la plateforme.

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Orgasm Inc.

Petite entorse à notre liste, Orgasm Inc. n'est pas une série. Quelques semaines avant la sortie de Harry & Meghan, Netflix diffuse pour la première fois Orgasmique : Le business One Taste. Réalisé par Sloane Kelvin et Sarah Gibson (L.A. 92 : Les Emeutes), le film, pensé comme un “documentaire d’investigation” revient sur la polémique générée par l’entreprise OneTaste et sa promotion de la “méditation orgasmique” et du “slow sex”.

Fondée en 2001 par Nicole Daedone, OneTaste est qualifiée de secte par le plus grand nombre, et, en 2018 l’organisation est accusée d’exploiter la détresse d’autrui pour générer de l'argent par certains de ses membres et employés. Accusations qui mèneront à l’ouverture d’une enquête du FBI, mais aussi à ce documentaire de Netflix.

Dans la foulée de la diffusion, OneTaste (ou plutôt The Institut of OM, qui a changé de nom) intente un procès à Netflix pour diffamation, une plainte rejetée par la justice, mais à présent en appel. Pour l’instant, rien n’indique une quelconque erreur de la part de la production.

C’est monnaie courante : de nombreux true crimes ou documentaires donnent lieu à des plaintes parce que les premiers intéressés souhaitent empêcher qu’on les représentent d'une certaine manière. Mais des pincettes sont à prendre : l’affaire n’est pas encore classée.

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Danse avec le diable : Une secte sur TikTok ?

En mai dernier, Netflix sortait Danse avec le diable : Une secte sur Tik Tok ?, docu-série en trois épisodes qui, à la manière de Mon petit renne, a lancé une vague de harcèlement en ligne contre l'une de ses protagonistes, Miranda Derrick.

Miranda Derrick, c’est une tiktokeuse signée chez 7M Films, agence managériale basée à Los Angeles et dirigée par  Robert Shinn. PDG n’est pas le seul métier de Shinn, qui est également à la tête d’une église, la Shekina Church. Dans Danse avec le diable, cette église est représentée comme une secte, et montre comment certains des influenceurs représentés par 7M Films tentent de s’extraire des griffes de ce culte.

Bien sûr, ces allégations n’ont pas plu à l’agence, qui, dans un communiqué anonyme adressé à Vanity Fair, agite le spectre d’un procès ou de “toutes les démarches légales” qui pourraient stopper la diffusion du programme.

“La série documentaire de Netflix est un travail de fiction calomnieux ; elle résulte d’une tentative ratée d’extorsion, et a été montée de toutes pièces dans le seul but de s’attirer la gloire et la fortune.”

Selon Miranda Derrick, dépeinte par ses parents comme une disciple de la secte dans le documentaire, les témoignages de sa famille ne relèveraient que d’une dispute privée, portée sur le petit écran par des proches malavisés. Elle a, par ailleurs, reçu des milliers de menaces de mort après la sortie de la série sur Netflix.

Pour l’instant, aucune plainte n’a été déposée, mais cela ne saurait tarder, ce qui porterait à deux le nombre de procès intentés à Netflix pour des séries sorties cette année… pour l’instant.

Pourquoi Mon petit renne cartonne sur Netflix

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