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L’histoire des cochons de littérature : de Strauss Kahn à Porcinet

Les Trois Petits Cochons

Venus d?un conte traditionnel du XVIIIème siècle, les Trois Petits Cochons sont des célibataires assez louches qui s?émancipent de la tutelle maternelle pour se bâtir d?étranges maisons. Le loup est à leurs trousses et les voilà qui se retrouvent tous à cohabiter dans une maison de briques terminale. Chez <strong>Bettelheim</strong>, le conte symbolise l?apprentissage du principe de réalité. Les 3 cochons renvoient donc une image répressive quant au désir. C?est l?exception qui confirme la règle dans le genre des métaphores porcines.

Dominique Strauss Kahn dans La Belle et la Bête de Marcela Iacub ou chez Stéphane Zagdansky

N?en jetez plus s?il vous plaît. Le cochon de Iacub est une tentative de réhabilitation amoureuse déguisée, une belle preuve d?amour en même temps que d?avilissement individuel (de l?écrivain face à elle-même et à sa propre impuissance). Il n?en reste pas moins que le cochon de français en figure domjuanesque de foire a fait beaucoup de mal pour l?image du cochon. Si on était salaud, on le hacherait menu avant de le fourrer dans des lasagnes surgelées. Bing, et on tire sur l?ambulance.

Hank chez Bukowski

La photo ne s?y trompe pas. Hank est d?emblée un vieux cochon. Un cochon qui aime la bière et la chair fraîche. Un cochon à la peau flasque et tendue de rose, poilue et acnéique qui erre de bars en <em>barfly</em>, puis se change en cachetonneur universitaire tricard. Des filles à poil aux jeunes filles en fleurs, <strong>Bukowski</strong> reste le prince des cochons littéraires et le pape de ces figures d?écrivains queutards qui hantent la littérature de Djian à Mark SaFranko en passant par Miller ou Hemingway.

10. Les cochons dans le Maus d'Art Spiegelman

Chez <strong>Spiegelman</strong>, le cochon (généralement plutôt sympathique) est retourné en créature assez méchante, indifférente et facilement violente. Il y a une certaine ambiguïté dans le roman graphique sur la représentation des Polonais (les cochons dans le livre) qui, la plupart, n?ont aucune envie d?aider les souris et ajoutent souvent à la persécution infligée par les Nazis. Spiegelman insinue que les Polonais ont tué des juifs, en représentant les Kapos des camps en cochons brutaux et serviles. L?image n?est pas contrebalancée par d?autres personnages positifs. Du coup, c?est le genre porcin qui en prend pour son grade.

Napoléon, dictateur cochon chez Orwell – La Ferme des Animaux

Ce n?est pas le cochon le plus célèbre du monde anglo-saxon mais tout de même : dans la <em>Ferme des Animaux</em> d?<strong>Orwell</strong>, Napoléon prend le dessus sur son double révolutionnaire Snowball et met en place une dictature proche du stalinisme. Napoléon y gagne évidemment en crédibilité et en renommée, même s?il devient l?un des cochons les plus mal famés et cruels du bestiaire. Peu recommandable mais n°1 sur l?échelle du jambonneau.

Les tortionnaires dans les 120 journées de Sodome de Sade

Il y a un truc qui a échappé à <strong>Pasolini</strong> dans son adaptation des <em>120 journées de Sodome</em> de Sade : la matière grasse des tortionnaires. Le réalisateur et poète italien a consciemment asséché la matière flasque des bourreaux pour incarner la cruauté et le manque de c?ur des forces profascistes. Cela se tient mais il faut avouer que la figure du cochon en a pâti par rapport au texte original. L?évêque est gros et avec des traits porcins. Il encule avec un petit rigolo en forme de queue en tire-bouchon. Mais le cochon est-il cruel, assassin, barbare, froid et sadique ? Pas sûr?.

Rebondi Cochonnet chez Beatrix Potter (1913)

"Mais où est passée cette fichue autorisation ?", c?est la phrase du mini-roman consacré par <strong>Beatrix Potter </strong>à Rebondi Cochonnet, l?un des personnages les plus marquants de son bestiaire dessiné. Rebondi est l?un des caractères porcins les plus forts : timide au début, il s?affirme au fil des péripéties comme un aventurier hors pair et un courageux petit cochon. Dans les porcheries artisanales, son portrait figure dans tous les livres d?image comme celui d?un héros du genre. Lorsqu?il échappe au fermier, il égale en intensité dramatique le passage où <strong>Steve Mc Queen</strong> tente de fuir les allemands à moto dans la <em>Grande Evasion</em>. Rebondi forever.

Bunny Munro dans La mort de Bunny Munro de Nick Cave

Le roman de <strong>Nick Cave</strong>, dont on avait rendu compte à sa sortie, est l?occasion de lever une ambiguïté métaphorique entre les cochons et les lapins. Dans leurs rapports au sexe, qu?est-ce qui différencie bien ces deux là ? Dans <em>La mort de Bunny Munro</em>, Cave fait évidemment référence au lapin mais son personnage se comporte bien comme un porc, c?est sûr, en accumulant les conquêtes et en trimballant son fils derrière lui dans sa chute décadente. Le porc, c?est un lapin qui ajoute au frénétisme de ses accouplements une dimension salace, humiliante et salissante (pour lui et pour l?autre). Cave aurait tout aussi bien pu baptiser son bouquin la Mort de Porky Munro.

Porcinet, l’ami niais de Winnie The Pooh chez Alan Alexander Milne

Les rapports de Porcinet et de Winnie l?Ourson sont assez ambigus chez Disney comme dans la version originale d?<strong>Alan Alexander Milne</strong>. Avec son costume rayé et étroit, sa naïveté et sa jeunesse, Porcinet serait (pour certains) l?icône gay du monde porcin. Pour d?autres, il serait surtout un peu con. Ni bon, ni mauvais, le personnage caractérise l?indécision, la timidité mais aussi l?audace qui sommeille en chacun. 

Vernon dans Let Me Count The Times, Eau Lourde et autres nouvelles chez Martin Amis

<strong>Martin Amis</strong> s?est assagi. Au début des années 80, il nous livrait dans cette nouvelle magnifique reprise dans Eau Lourde (en édition française), l?image d?un petit porc en devenir. Le comptable Vernon découvre en quelques pages la masturbation et en devient prisonnier. Il gagne ainsi ces galons de porc, un porc misérable et quotidien, un porc modeste et <em>low profile </em>qui est une sorte d?antithèse du porc spectaculaire et ventripotent à la Strauss Kahn. Vernon entre dans un dialogue savoureux avec lui-même, illustrant ainsi la densité individuelle du jambon et sa capacité à s?auto-alimenter plutôt qu?à agresser l?autre.

Avec la sortie encartée de Belle et Bête, le roman pata negra de Marcela Iacub, l’amicale des cochons de littérature est contente de vous annoncer qu’elle accueille officiellement en son sein Dominique Strauss Kahn. Déjà révélé par et dans le magnifique Chaos Brûlant de Stéphane Zagdansky (notre livre français préféré de 2012), l’ancien président du FMI y reprend son rôle de satrape obsédé de la saucisse et s’offre un deuxième grand rôle de composition priapique.A cette occasion, il nous est permis, avec la bénédiction de la dite ACL (Amicales des cochons de littérature donc) de revenir en quelques instantanés sur les plus beaux spécimens de cochons de littérature. Parmi eux, on trouvera des cochons avec des traits humains, des cochons de première main, des cochonnets rigolards et aussi des humains qui à l’image de l’ami DSK se comportent en cochons sexuels. L’ACL nous précise que la représentation du cochon en littérature est un peu brouillée par la prévalence de l’association de ses membres avec la psychopathologie sexuelle. Non, insiste-t-elle, les cochons ne sont pas de gros dégueulasses obsédés par la baise. Ils sont moins sexuellement actifs que ne le sont les chimpanzés et les registres n’ont jamais enregistré AUCUNE plainte de truie, d’enfant ou d’autre animal ayant eu à subir des assauts non désirés de cochons, même si à l’occasion (et jusqu’au XIXème siècle), on a pendu des cochons mangeurs d’enfants ou assassins. Cannibales oui mais pas violeurs. Quant à leur propension à se rouler dans la boue, l’ACL rectifie le tir : c’est un signe de propreté contrairement aux apparences et en aucune façon une déviance morale. Qu’on se le dise.Pour tous renseignements complémentaires, vous voudrez bien vous reporter à l’emblématique, unique et non traduit en français : "The Symbolic Pig. An Anthology of Pigs in literature and art" de Sillar et Meyler, paru en 1961. Une mise à jour de cet opuscule s’impose.Par Benjamin Berton