Valéry Giscard d’Estaing vient de s'éteindre. Il avait été filmé à sa demande par Raymond Depardon pendant la campagne présidentielle de 1974. Un documentaire mythique.
En 1974, Raymond Depardon est la star du photo-reportage. Il a par ailleurs tourné quelques courts métrages, notamment sur Jan Palac, l’étudiant tchèque qui s’est immolé par le feu en 1969. C’est un homme engagé et respecté, qui a rencontré Valéry Giscard d’Estaing de façon informelle en 1973. Visiblement, les deux hommes se vouent une estime réciproque. Depardon ne s’attend cependant pas à ce qui va suivre. Après la mort de Georges Pompidou, le 2 avril 1974, il est convoqué par Giscard qui s’apprête à dévoiler sa candidature à la présidentielle. Comme il l’a dévoilé à Libération en 2002, Depardon découvre un homme de 48 ans ambitieux et soucieux de la place qu’il va laisser dans l’Histoire. Le moderne Giscard, qui a compris le pouvoir des images, lui évoque un film à faire sur lui, un simple portrait du potentiel futur plus jeune président de la république. Depardon, biberonné au cinéma direct américain de D.A. Pennebaker et Albert Maysles, lui propose plutôt de le filmer pendant sa campagne pour la présidentielle de 1974. Son rêve ? Rivaliser avec Primary, le documentaire de Robert Drew (avec le concours actif de Richard Leacock, D.A. Pennebaker et Albert Maysles) sur l’affrontement Kennedy-Humphrey en 1960.
De la liberté à la censure
Depardon fixe un budget ridicule qui couvrira les frais techniques et le salaire de l’ingénieur du son. Les 100 000 francs (15 000€) sont réglés par les fonds personnels de campagne de Giscard. C’est son premier long métrage mais le jeune homme de 32 ans sait ce qu’il veut : ce journal de bord définira le style Depardon, au plus près des gens et des institutions qu’il filme de manière “invisible”. « J'ai découvert qu'il fallait se saisir des petites choses, des dialogues inattendus, des mots volés », confiait-il à Libération. Depardon a la confiance de Giscard qui ne lui interdit rien. Au point que l’apprenti cinéaste sera seul avec lui, dans son bureau, lorsqu’il apprendra sa victoire, le 19 mai 1974. Depardon monte le film et le montre à Giscard, fin juillet. Au bout de trois autres visionnages, silence radio. Une façon d’enterrer le film que le président nouvellement élu estime trop intime. C’est son droit, il a payé. Depardon essaie une nouvelle fois de le sortir, en 1979, mais les risques financiers et politiques sont trop lourds. Il abandonne et le film interdit devient malgré lui un symbole de lutte contre la désinformation et la censure. Il faudra attendre 2002 pour que Giscard accepte sa diffusion sur France télévisions et une sortie restreinte en salles.
1974, Une partie de campagne, disponible en VOD sur les boutiques d’Arte, de l’Ina, d’Universciné, d’iTunes ou de Cinémutins. Diffusion sur France 5, dimanche 6 décembre, à 20h50.
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