"Je voulais que les spectateurs ressentent le choc esthétique que j'ai vécu en voyant Shining étant enfant"
Fin 2019, soit près de quarante ans après Shining, Mike Flanagan sortait Doctor Sleep, une suite où Danny Torrance (Ewan McGregor) est devenu adulte et doit aider une jeune fille dotée pouvoirs extrasensoriels (Kyliegh Curran) à lutter contre des vampires psychiques menés par Rose O’Hara (Rebecca Ferguson). Cette tribu étrange qui parcourt les États-Unis se nourrit du « shining » pour conquérir l’immortalité… Nous avions rencontré le scénariste et metteur en scène, qui venait de cartonner avec The Haunting of Hill House. Justement, son film tiré du livre éponyme de Stephen King vient d'arriver sur la plateforme. S'il avait fait un flop en salles, il trouve cette fois son public en démarrant direct dans le top des programmes les plus vus du moment. L'occasion de relire les détails de sa création, racontés par Flanagan en personne, qui travaille aujourd'hui sur une autre adaptation d'une oeuvre de King : La Tour sombre.
En utilisant l’esthétique du Shining de Kubrick pour les scènes qui se déroulent dans l’hôtel Overlook, vous transformez votre film en un objet hybride : ce n’est pas tout à fait une adaptation du roman Doctor Sleep de Stephen King, ni vraiment une suite du livre ou du film Shining. Vous êtes à la jonction de toutes ces oeuvres.
Mike Flanagan : Tout à fait. Et ce numéro de funambule entre les mondes de King et de Kubrick a été la source d'une pression incroyable depuis deux ans. J’aime leurs deux visions de Shining pour des raisons très différentes, mais je ne voulais prendre aucune décision irrespectueuse envers l’un ou l’autre. Parfois, ça voulait dire emprunter d'étranges chemins pour contourner de gros problèmes de scénario (il est aussi scénariste du film, ndlr). J’ai abordé le problème comme le fan que je suis, ce qui me permettait de savoir quelles limites ne pas franchir. Ce qui m’a sauvé, c’est que le roman Doctor Sleep raconte avant tout la guérison de Danny et sa relation avec Abra (une jeune fille qui a également le shining, ndlr). J’ai senti qui si on se concentrait là-dessus, si on évitait de regarder dans le rétro toutes les cinq minutes, alors le reste allait marcher. Sinon, on aurait perdu nos personnages et le film nous aurait échappé au passage. C'est d’ailleurs pour ça qu'on a casté Ewan McGregor : on a vu des tas d’acteurs pour le rôle, mais c’est le seul avec qui je n’ai discuté de Shining quelques minutes, avant d’embrayer pendant une heure sur Danny. Il avait tout compris.
Vous avez eu peur de vous faire contaminer par le monument Kubrick, de ne pas pouvoir imposer votre vision ?
Forcément. C’est un équilibre difficile à trouver. Ma chance, c’est que l'esthétique de Kubrick m'accompagne depuis le début de ma carrière. Donc j’ai commencé par ce que je connaissais le mieux : la technique. Je me suis frotté à ses compositions de plans très graphiques, ses mouvements de caméra infiniment précis… Quand on a mis la steadicam derrière Danny sur son tricycle et qu'on a commencé à le suivre... Quel frisson ! C’était enivrant de reproduire ce qu’il a fait il y a quarante ans, mais il fallait que ce soit un point de départ qui mène naturellement à autre chose, à ma propre histoire. Je me suis appuyé sur certains de ses choix en les abordant avec un angle différent. J'ai appris le langage des scènes et j’ai commencé à en changer le vocabulaire. Mais toujours avec révérence, de façon immensément respectueuse. Je voulais que les spectateurs ressentent le choc esthétique que j'ai vécu en le voyant enfant, et dont je me rappelle très distinctement.
Vous avez intégralement recréé l’Overlook en studio, au détail près. Quand ce lieu devient pour la première fois un espace réel, il se passe quoi dans votre tête ?
On disjoncte un peu. La première fois qu’on a mis les pieds sur le plateau, c’était comme entrer dans une église. Pas un bruit, personne n'osait toucher quoi que ce soit. On était aussi émerveillé que perturbé. C’est un endroit qui existe dans notre esprit depuis tant d’années que de pouvoir s’y promener physiquement file le tournis. Mais passé ce moment qui a duré quelques minutes, on est redevenu des enfants, on a commencé à se marrer sans pouvoir s’arrêter. Les techniciens avaient créé un tricycle pour adultes et un jour, après avoir tourné toute la journée, on a coupé les caméras. À tour de rôle, le casting et l'équipe ont fait le tour du plateau (Rires.) Ça a duré si longtemps qu'ils ont fini par éteindre les lumières et on a dû utiliser des lampes torches. On est resté jusque tard dans la nuit, comme des mômes. Je me suis dit que si on pouvait retranscrire à l'écran juste un soupçon de ce qu'on a ressenti à ce moment-là, ça valait le coup de faire ce film.
Bande-annonce de Doctor Sleep avec Ewan McGregor, Rebecca Ferguson et Kyliegh Curran :
Doctor Sleep : un vibrant hommage à Shining [Critique]
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