Dans son premier long emballant, la cinéaste mongole Lkhagvadulam Pure- Ochir met en scène un chaman de 17 ans dont le coup de foudre pour une jeune fille de son âge fait basculer les certitudes. Rencontre.
Comment naît l’idée d'Un jeune chaman ?
Il y a dix ans, alors que je suis dans ma vingtaine, ma mère m’a emmenée voir un jeune chaman et j’ai vécu exactement ce qu’on voit dans le film. J’ai découvert, une fois le rituel terminé, que le chaman en question, que je pensais expérimenté, était en fait un jeune de mon âge, tatoué de la tête aux pieds. Celui- là même à côté duquel j’avais passé dix bonnes minutes sans parler après avoir partagé une proximité incroyable avec lui et avant de découvrir qui il était. Ce contraste m’a donné envie de raconter cette histoire
L’envie de réaliser était déjà présente chez vous depuis longtemps ?
Oui car je peux dire que le cinéma a façonné celle que je suis devenu. Grâce aux films américains, chinois, japonais ou bollywoodiens auxquels j’ai pu avoir accès dans les salles de Mongolie dans les années 90. Car notre pays était de plus loin le plus ouvert, le plus moderne de cette partie- là du monde, le moins dominé par règles religieuses. Je peux donc dire que le cinéma a été pour moi une manière d’appréhender le monde, de me libérer aussi de certains aspects de la culture asiatique, à commencer par le fait qu’il ne faut jamais montrer ses émotions. Cela s’est amplifié en passant six ans dans l’Ohio où mon père était parti travailler et où je passais mon temps à dévorer des films en DVD En voyant des films, j’ai compris qu’on avait le droit d’exprimer ce qu’on ressentait.
Quels sont ceux qui vous ont particulièrement marqué ?
Le premier choc fut incontestablement Un tramway nommé désir et tout particulièrement le personnage de Blanche auquel je n’ai cessé de m’identifier pendant des années. Ce film fait partie du haut de la pile de ceux qui m’ont donné envie de faire études de cinéma, de réalisation en Turquie puis de scénariste à l’école KinoEyes European Filmmaking Masters en 2018. C’est pendant ces années de formation d’ailleurs que j’ai commencé à développer vraiment le projet d’Un jeune chaman. Et à la fin de mes études, j’avais déjà une première version terminée. L’un de mes profs m’avait assuré qu’il me faudrait 5 ans pour savoir si le projet allait aboutir ou non. Et c’est exactement le temps qui a séparé le jour de cet échange et la première du film !
Qu’est ce qui a constitué la colonne vertébrale de votre travail d’écriture ?
Sans hésitation, l’histoire d’amour. Attention, ce n’est pas ce que j’ai vécu avec le jeune chaman que j’évoquais plus tôt ! (rires) Mais quand j’ai commencé à écrire, j’étais vraiment moi- même très amoureuse et j’ai eu naturellement envie que l’éveil du monde extérieur de mon jeune héros, sa manière au fond de découvrir celui qu’il est vraiment émotionnellement passe par un emballement du cœur pour une jeune femme de son âge.
La cinéphile que vous êtes aviez des références en tête pour ce film ?
Pas vraiment. En tout cas pas de manière consciente. Mais il se trouve qu’à la fin de la première semaine, j’ai eu un grand moment d’angoisse, une vraie crise. Je trouvais que j’allais dans le mur. Et là, j’ai revu le premier épisode du Décalogue de Kieslowski, que j’admire et ça a tout débloqué en moi. Pour moi, Le Décalogue dans son ensemble est comme un phare dans la nuit. J’y trouve mes réponses à mes interrogations
Comment avez-vous trouvé le fascinant interprète du rôle- titre, Tergel Bold- Erdene ?
Il y a eu un long processus d’audition. Trois candidats ont fini par se dégager mais aucun d’eux ne me satisfaisait car chacun ne possédait qu’une partie de ce que je recherchais. Alors, en désespoir de cause, j’ai appelé un de mes amies qui était en train de réaliser une série et comme un SOS, je lui ai demandé si elle connaissait quelqu’un entre 17 et 19 ans, sans forcément d’expérience qui pouvait correspondre à mon désir. Et elle m’a envoyé la photo de Tergel qui faisait partie de l’équipe images de son film. J’ai tout de suite accroché, je lui ai demandé de venir passer une audition le lendemain. Et en une demi- heure, j’ai su que c’était lui !
Pour quelle raison ?
Car il est le seul de tous les ados que j’avais vus qui m’a donné accès à ses émotions. Quelque chose de très rare en Mongolie où on demande aux hommes de ne rien montrer, de tout garder pour eux. A partir de là, même s’il n’avait jamais joué, mon seul vrai travail de directrice d’acteurs fut de gagner sa confiance pour qu’il ne se referme jamais. Je ne lui ai jamais donné le scénario à lire. Je lui ai seulement raconté lors des auditions ce que son personnage allait traverser et je lui confiais ensuite les scènes à apprendre la veille pour le lendemain. Ce qui était possible puisque son rôle passe par ses silences et son regard, pas par de longs monologues. Et je me suis aussi appuyée sur sa partenaire Nomin- Erdene Ariunbyamba qui, elle, est une actrice professionnelle pour le réorienter pendant les scènes. J’avoue lui avoir même mis de pression en lui disant que si au final il jouait mal, c’est parce qu’elle aurait mal bossé ! (rires) Mais elle a été au top et lui aussi
Vous avez déjà un deuxième long métrage en tête ?
Oui, j’ai commencé à l’écrire. Mais avant cela, je vais tourner un court. Pour continuer à pratiquer et ne pas perdre la main
Un jeune chaman. De Lkhagvadulam Pure- Ochir. Avec Tergel Bold- Erdene, Nomin- Erdene Ariunbyamba… Durée : 1h43. Sorti le 24 avril 2024
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