Une fresque historique qui se voudrait épique, mais qui ne parvient qu'à faire de son propos réac le cache-misère de son cruel manque de moyens.
Vaincre ou mourir choisit son camp dès le départ. Le film s'ouvre sur une étonnante séquence : un montage d'écrivains et d'historiens, filmés dans le clair-obscur d'une belle bibliothèque, introduisant le sujet -les guerres de Vendée- à la façon d'un épisode de Secrets d'histoire. Parmi les intervenants, un certain Reynald Secher, qui conclut cette intro en chuchotant sur un fondu au noir le mot qui selon lui résume le mieux cet atroce conflit : "l'honneur... l'honneur...". Outre l'écho sans doute involontaire (mais assez marrant) avec les derniers mots de Kurtz dans Au cœur des ténèbres et évidemment Apocalypse Now ("l'horreur... l'horreur"), la séquence montre immédiatement de quel côté se situe Vaincre ou mourir. Secher étant l'un des partisans de la théorie du "génocide vendéen" mettant au même plan les guérilleros de 1793 et les Juifs exterminés par les nazis (tout un programme), le film veut ainsi être beaucoup plus qu'un simple divertissement historique à grand spectacle. Vaincre ou mourir veut être une leçon d'histoire. Mais c'est loupé, que ce soit au niveau du grand spectacle ou de la leçon.
L'idée est de raconter le destin héroïque de Charette, courageux capitaine vendéen face aux terribles révolutionnaires venus dépeupler le pays et recruter des soldats pour mener la guerre aux rois d'Europe. Refusant d'abord de combattre, Charette va devenir un flamboyant meneur d'hommes incarnant jusqu'à la mort, seul contre tous, une certaine idée de l'héroïsme -c'est l'idée forte du film, très classique puisqu'on a fait des tonnes de trucs avec, de Braveheart à The Patriot en passant par 300 ou même Vercingétorix avec Christophe Lambert : le héros national, seul contre tous (ou en tous cas "pas très nombreux contre la horde") mais envahi par une puissance supérieure, tente de résister par la lutte armée. Vaincre ou mourir ne parvient pas à dissimuler son manque de moyens : tout semble tourné dans le même coin de bocage vendéen, en recourant systématiquement à la voix off (celle d'Hugo Becker, qui incarne Charette et a pris la tonalité de Christian Bale dans Batman Begins pour l'occasion) pour raconter tout ce qu'on ne voit pas à l'écran faute de budget.
Dans les années 50, Dalton Trumbo voulait effacer les batailles de son script initial de Spartacus en ayant recours à l'ellipse, mais il avait trouvé un moyen sublime de les évoquer en montrant par exemple les flots de sang des victimes charriés par l'eau d'une rivière (bien que le film terminé comporte quand même des batailles). Aucune idée semblable dans Vaincre ou mourir : on nous fait grâce de la première bataille rangée par un simple fondu enchaîné sur les morts assorti d'un lapidaire commentaire en voix off ("Nous avons perdu..."), et l'idée de cinéma la plus forte du métrage consiste à montrer le héros, barbu et hagard, dans un outremonde ténébreux où il fait tournoyer son sabre dans le vide au rythme d'un montage hyper cut, avant de voir passer un cheval blanc au ralenti. Le reste comprend beaucoup de parlottes très sérieuses, et encore une fois beaucoup de voix off pour raconter le reste. Pas grand-chose, donc.
On se demande, dans le prochain numéro de Première, à quoi rime cette tentative de résurrection des héros français au cinéma, avec les sorties d'un nouveau Astérix, des Trois mousquetaires et de Vaincre ou mourir. Dans ce dernier cas, c'est assez simple puisqu'il s'agit de l'adaptation cinéma d'un spectacle du Puy du fou, imaginé -comme tous les autres- par Philippe de Villiers. Difficile de séparer le film de son contexte lorsqu'il est co-réalisé par un auteur de Secrets d'histoire (tiens donc), distribué par le spécialiste des "films d'inspiration chrétienne" Saje Distribution, qui s'est chargé de montrer en France le film violemment anti-avortement Unplanned, et que son producteur, Nicolas de Villiers, affirme clairement dans le dossier de presse la profession de foi de Vaincre ou mourir : "nous célébrons la grandeur française et mettons en valeur des héros qui nous rendent meilleurs et nous donnent envie de les imiter car l’homme est fait pour admirer. C’est là le cœur de notre démarche : célébrer la part lumineuse de notre histoire, la mettre au service d’un cinéma grand spectacle, familial, à portée internationale, qui a du souffle et qui rassemble." Mais comme nul cinéma ne surgit de son manque de moyens criant, Vaincre ou mourir ne peut compter que sur sa morale -son idéologie ?-, en essayant de passer, comme son héros, pour un film "seul contre tous" plein de panache face aux hordes barbares des envahisseurs.
Une drôle de leçon d'histoire, et une vision de cinéma déjà vue mille fois, dans un film où les ressorts dramaturgiques ressemblent drôlement à ceux de Chouans ! de Philippe de Broca (le recrutement sauvage républicain qui provoque la révolte : been there, done that). Difficile de trouver un sens de cinéma, une part lumineuse à ce film gris et terne (la photo sursaturée façon Il faut sauver le Soldat Ryan), qui ne parvient pas à dépasser son idéologie réac pour en faire du beau cinéma à grand spectacle, héroïque et mythologique.
Il est peut-être intéressant de comparer la vision que fait le film de la mystique de la résistance et de l'héroïsme à celle d'Andor, mais oui : alors que les héros de Vaincre ou mourir sont forcément grandioses, rattrapés par le destin et voués au sacrifice (mais pas au suicide, attention ! Le suicide est un péché et n'a pas sa place dans un film aussi catho), les héros de la stupéfiante série Star Wars restent tourmentés par la peur, l'indécision et la soumission. S'ils deviennent des héros, c'est par choix, face aux circonstances, ils sont des tentatives de héros et c'est bien plus fort -en tout cas bien plus actuel, lumineux et rassembleur que ce Vaincre ou mourir persuadé de sa force, qui ne convaincra décidément que les acquis à sa cause.
Ses fanatiques, en quelque sorte, et selon John le Carré les fanatiques cachent toujours un doute secret. Dans ce faux grand film trop sûr de lui, il n'y a pas de place pour aucun doute secret, celui qui au fond nous fait vibrer et pleurer face au destin de William Wallace dans Braveheart, pour donner un exemple au pif. Il est vrai Mel Gibson, s'il nourrissait au fond ses fresques historiques de son catholicisme hardcore, était surtout guidé par un sens de cinéma tout aussi hardcore. Ce n'est un secret (d'histoire) pour personne. Et tant pis pour la "grandeur française".
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