A la mi-temps de cette année ciné, un bilan des longs métrages qui nous ont le plus emballés, en salles comme en streaming.
Ambulance de Michael Bay
Une ambulance folle lancée à toute allure dans Los Angeles avec à son bord deux braqueurs, une secouriste prise en otage et un flic agonisant… Michael Bay a fait de la Cité des Anges aux rues inhabituellement vides pour cause de COVID un terrain de jeu idéal pour développer une série B supersonique à la Speed où tout (dont sa durée de 2h17) n’est envisagé que sous l’angle du surrégime permanent. Un divertissement aussi explosif que délirant qui a connu un échec injuste en salles, des deux côtés de l’Atlantique
Apollo 10 ½ : les fusées de mon enfance, de Richard Linklater
Un peu passé sous le radar lors de sa mise en ligne sur Netflix en avril, le dernier Richard Linklater (son retour à la rotoscopie seize ans après A Scanner Darkly) est l’autre géniale capsule temporelle de l’année, avec le Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson. Une plongée dans les rêveries d’un gamin texan fantasmant sur la mission Apollo 11, repeintes aux couleurs des souvenirs de l’adulte qu’il est devenu. Once upon a time dans la banlieue de Houston.
Bruno Reidal, confession d’un meurtrier de Vincent Le Port
En 1905, un jeune séminariste venu du Cantal tranche la tête d’un gamin en pleine forêt. Incroyable mais vrai. A l’époque, les autorités avaient demandé au meurtrier de se confesser par écrit. Si Bruno R. était cintré, sa prose, elle, tutoyait une grâce quasi divine. C’est celle que l’on entend - et ressent - en voix-off dans ce film sidérant. A l’écran, le « monstre » froid avance la tête rentrée dans les épaules tout en jetant des coups d’œil au Très Haut. Non, le cinéma français n’est pas mort.
Contes du hasard… et autres fantaisies de Ryūsuke Hamaguchi
Un après le joyau Drive My car, Hamaguchi se hisse de nouveau tout en haut de nos bonheurs cinéphiles avec trois histoires courtes indépendantes mais reliées l’une à l’autre par un thème commun : le sentiment amoureux et les dédales qu’il emprunte, au fil des hasards et des coïncidences – parfois euphorisants, parfois douloureux – pour devenir le fil conducteur de nos vies. Le mot délicatesse semble avoir été inventé pour ce cinéaste à l’écriture aussi ciselée que sa mise en scène.
Decision to leave, de Park Chan-wook
Les continuateurs d’Hitchcock (De Palma, Verhoeven, Lynch) avaient poussé l’héritage de Vertigo vers toujours plus de violence graphique et de sexualité « explicite ». Park Chan-wook revient à un romantisme plus contenu (et d’autant plus envoûtant) avec ce polar d’une maestria formelle ahurissante, sur un flic et une suspecte qui se tournent autour, encore et encore, jusqu’à finir prisonniers d’un tourbillon obsessionnel. Un chef-d’œuvre, un de plus, pour le réalisateur de Mademoiselle, Prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes.
Elvis, de Baz Luhrmann
Baz Luhrmann à son meilleur : 2 heures et 39 minutes d’opéra rock survolté pour dépeindre Elvis Presley en super-héros queer, pansant les plaies de l’Amérique tout en faisant souffler un ouragan de frénésie sexuelle sur le pays. Grandiose, excessif, baroque et fou, comme un show du King à l’hôtel International de Las Vegas en 1969.
Enquête sur un scandale d’état de Thierry de Peretti
« Based on a true story », comme disent les ricains. Sauf que cette « vérité » est un écran de fumée à partir duquel Thierry de Peretti déconstruit un récit autour du trafic de drogues en France. D’un côté, un homme blessé qui aimerait se racheter une conscience (Roschdy Zem, top), de l’autre, un journaliste trop intrépide (Pio Marmaï, top itou). Au milieu du gué, une nébuleuse. Pendant ce temps-là, la mise en scène, ensorceleuse, ne cesse de renverser nos certitudes. Bref, un pur thriller paranoïaque. Pollack, Pakula, Peretti. CQFD
Flee de Jonas Poher Rasmussen
Amin a toujours menti à son entourage, évitant soigneusement de raconter comment il a fui l’Afghanistan à la fin des années 80 alors qu'il n'était qu'un môme, au moment de la prise de pouvoir des moudjahidine. Le danois Jonas Poher Rasmussen recueille le récit déchirant de son ami, désormais âgé de 36 ans, en couple avec un homme et devenu un universitaire reconnu. Un documentaire d’animation entre survie et émancipation, l'histoire d'un homme hanté par son passé et ses mensonges forcés, désormais seul sur les ruines de ses souvenirs. Grand film.
Freaks Out de Gabriele Mainetti
Après avoir fait son Kick-Ass avec On l’appelait Jeeg Robot, Gabriele Mainetti réinvente les X-Men. A sa manière -radicalement personnelle. Donc sous la forme d’une bande de monstres de foire dotés de superpouvoirs affrontant un savant fou capable de capter des visions du futur -le tout dans l’Italie de la Seconde Guerre Mondiale. Feu d’artifice de visions issues aussi bien de la BD italienne que du cinéma bis, Freaks Out est pourtant bien plus intelligent qu’une simple compil de références geek et regorge de trouvailles inédites, au service d’une véritable vision de cinéma. Avez-vous déjà vu un nazi qui joue Radiohead au piano ? Si vous avez vu Freaks Out, alors oui.
The Innocents d’Eskil Vogt
Le norvégien Eskil Vogt avait déjà goûté aux joies de la télékinésie avec Thelma (2017) de son pote Joachim Trier dont il est l’heureux scénariste. Vogt, devant la caméra ici, sonde les limites de la pureté enfantine avec ce récit « shyamalesque » qui voit des bambins dotés d’étranges pouvoirs devenir diaboliques. La mise en scène, d’une précision dingue, promet de nombreuses fissures et blessures. La lumière ambiante, laiteuse et estivale, se voile au fur et à mesure. « Que s’est-il passé ? », « On jouait, c’est tout ! »
Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson
"Je suis tombé amoureux d’eux, comme la caméra qui les suit dans le film", confiait Pedro Almodovar après avoir rencontré Alana Haim et Cooper Hoffman lors du week-end des Oscars. C’est un peu ça, Licorice Pizza. Une œuvre imparfaite, mais si touchante qu’elle finit par nous frapper en plein cœur, pour peu qu’on baisse la garde. Paul Thomas Anderson a puisé dans ses souvenirs personnels pour nous immerger dans les années 1970 de son enfance, et on s’y sent si bien qu’on ne veut plus en sortir. Un peu comme dans un matelas à eau.
Nightmare Alley de Guillermo Del Toro
La Forme de l’eau a été un triomphe de cinéma feel good., et un triomphe critique, public, avec un seau d’Oscars pour couronner le tout. Bonne nouvelle, Nightmare Alley est exactement l’inverse. Flop en salles, moue critique, zéro Oscars… Et pourtant, Nightmare Alley est peut-être le meilleur Del Toro depuis… Blade 2 ? Un reflet obscur de l’Amérique, dont le héros (Bradley Cooper, génial) est un impitoyable charlatan, né avec les monstres du cirque, prêt à toutes les bassesses pour arriver au sommet dans un pays en pleine Grande Dépression. Et c’est encore plus fascinant quand on le range aux côtés des deux autres merveilleux films de showman monstrueux et surdoués de cette année, Freaks Out et Elvis, également dans notre top. Gooble gobble, one of us…
Top Gun : Maverick de Joseph Kosinski
Qui aurait parié il y a encore quelques années que la suite de Top Gun, 36 years in the making, serait LE blockbuster le plus cool de l’année 2022 ? Mais au-delà des scènes d’aviation démentes captées par Joseph Kosinski et du pur vertige nostalgique, le film tient beaucoup à sa capacité à brouiller les pistes entre le destin de Maverick et celui de Tom Cruise, un "homme à g" forcé de revisiter son passé pour réaffirmer au présent son statut d’ultime movie star. Un milliard au box-office plus tard, plus personne n’en doute. Tout ça aurait même peut-être été encore plus beau s’il s’agissait des adieux de Cruise au cinéma d’action. Mais de nouvelles missions, forcément impossibles, l’attendent encore.
Un autre monde de Stéphane Brizé
Après La Loi du marché et En guerre, Stéphane Brizé poursuit son exploration aiguisée du monde du travail en s’intéressant cette fois- ci à la figure d’un cadre supérieur vivant de manière de plus en plus insoutenable un quotidien placé entre le marteau (une direction dont il ne comprend plus les décisions qu’il est censé appliquer) et l’enclume (les salariés qui sentent le carnage social qu’y s’annonce). Vincent Lindon y est impérial, Marie Drucker s’y révèle en patronne sans foi, ni loi autre que l’application stricte des règles édictées pour satisfaire les actionnaires gourmands. Et Brizé signe le meilleur film d’une trilogie appelée à ne pas en rester là, grand succès public oblige.
Vortex, de Gaspar Noé
Le sujet à la Amour, l’empathie du regard posé sur ces deux vieillards en train de vivre leurs derniers instants… En avril, quand il est sorti en salles, certains ont trouvé que le dernier Noé avait des airs de films à César. N’exagérons rien : ça reste avant tout un film à Gaspar. Soit une expérience limite, jusqu’au-boutiste, explorant et épuisant un tout petit périmètre (un appartement parisien du XXème arrondissement), rempli de livres, de souvenirs, de fantasmes inassouvis et de rêves infinis. Un trip entre quatre murs, et l’une des utilisations du split-screen les plus émouvantes jamais vues au cinéma.
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