Virginie Efira est grandiose en avocate dépressive dans Victoria de Justine Triet. Elle nous parle du film en compagnie de la réalisatrice et de l’inénarrable Vincent Lacoste.
Vrai feel-good movie qui mélange le portrait de femme moderne, la romance et une forme d’absurde, Victoria était la jolie pépite de la Semaine de la Critique 2016. Ce film qui consacre le talent de Justine Triet, révélée à Cannes avec La Bataille de Solferino, et installe définitivement Virginie Efira comme l’une des actrices incontournables du cinéma francophone, sera rediffusé ce soir sur Arte. Lors de sa projection sur la Croisette, Première avait rencontré ses deux stars, et sa réalisatrice.
Justine, cette Victoria vous ressemble-t-elle ?
Justine : C’est à la fois moi, d’autres femmes, des héroïnes de cinéma que j’aime…
Virginie est morte de rire, là.
Virginie Efira : Pour moi, il y a des points communs. Chez Justine, on a toujours accès à toutes les strates de sa pensée, qui est un mélange de réflexion et d’extrême spontanéité. Victoria est un peu comme ça : elle s’en tient à une certaine rhétorique dont elle s’éloigne parfois complètement pour mieux y revenir.
A quel moment du processus, Virginie s’est-elle imposée à vous ?
Justine : A la fin de l’écriture, il a bien fallu que je me projette dans une actrice. J’ai envisagé de jouer Victoria moi-même, mais ça aurait été une catastrophe (rires).
Virginie : Je n’en suis pas si sûre.
Justine : Si, si, j’en aurais été incapable. J’ai donc rencontré Virginie pour laquelle j’ai eu un coup de foudre total, comme pour Vincent d’ailleurs.
Comment, Virginie, avez-vous reçu ce rôle très riche et très complexe ?
Virginie : Quand j’ai su que Justine voulait me rencontrer, je ne pensais pas que ce serait pour un rôle principal. J’étais curieuse de son cinéma, je savais, sans l’avoir vu (je me suis rattrapée depuis), à quelle catégorie appartenait La Bataille de Solferino. Je l’avais aussi vue en interview et sa personnalité m’avait séduite. En discutant avec elle, j’ai tout de suite eu l’intime conviction que je ferais le film sans avoir lu une ligne du scénario.
Justine : On est timides toutes les deux, ça nous a rapprochés.
Virginie : Le scénario m’a tout de suite plu. Sur la première page, il y avait un très beau dessin de cette avocate pénaliste par terre avec un dalmatien et un singe ! Justine m’a aussi envoyé une photo de Marilyn Monroe avec un chimpanzé… Ca donnait la couleur du film. Il y avait aussi un titre pour chaque séquence, comme une idée à retenir à chaque fois. C’était très poétique déjà dans la forme.
Le film joue sur votre image de créature sexy rigolote…
Vincent Lacoste : De Déesse !
Justine : C’est joli « créature ».
Merci. De créature sexy, donc, qui est craquelée de l’intérieur…
Justine : Oh, c’est mignon, "craquelée". Pardon !
Cette idée était-elle importante ?
Justine : Un peu, d’autant que le personnage est dans des problématiques sexuelles sérieuses. Virginie incarne parfaitement cette sexitude…
Sexitude ?
Justine : Oui, enfin, vous voyez ce que je veux dire ! (rires) Elle incarne quelque chose qui relève du fantasme masculin mais j’ai entrevu très tôt une possibilité de travailler sur quelque chose de plus sombre, de plus dense, de plus mélancolique que ce qu’elle montre habituellement.
Virginie : Que mes seins, tu veux dire. (rires).
Quelle image aviez-vous d’elle. Vous a-t-elle bluffés sur le plateau ?
Vincent : Elle est bluffante (il prononce le "u" normalement)… J’avais déjà rencontré Virginie et elle m’était apparue assez timide également.
Vous aussi, non ?
Vincent : Un peu oui. C’est pire quand je sens que la personne en face de moi l’est aussi.
Virginie : Pareil. Un jour, Justine nous a invités à dîner et on a commencé à se dire, « oh là, elle veut nous voir pour tester notre duo ». On était un peu en panique !
Vincent : On avait bien picolé. Ca aide.
Justine : En réalité, les jeux étaient faits. Je voulais juste voir comment ils fonctionnaient ensemble. On n’imagine pas le charme, l’alchimie qu’un duo peut dégager.
C’était dans le script cette idée d’un personnage masculin plus jeune, d’abord babysitter des enfants de Victoria puis son amant ?
Justine : Plus que l’âge, c’était l’idée de la candeur, d’une certaine grâce que je recherchais…
Vincent : Je prends, je prends. (rires)
Justine : Pour moi, cette femme qui vit un dérèglement personnel devait avoir face à elle un personnage qui amène un regard neuf, détaché.
Vincent : Je joue le personnage porteur d’espoir et de douceur, qui n’est pas dans une dynamique de chute mais d’élévation. En même temps, c’est facile, il part de très bas.
Je le trouve hésitant et déterminé, profond et léger, naïf et direct. Jean-Pierre Léaud aurait-il pu jouer ce rôle il y cinquante ans ?
Justine : Etonnante votre remarque… Je suis assez d’accord, à ceci près que Vincent a quelque chose de plus mutant. Il change constamment.
Comment avez-vous appréhendé ce personnage ?
Vincent : Il y a chez lui une évolution qui passe par des changements de tenue, de style. Au début, je marche avec des grosses pompes qui me donnent un pas un peu lourd. Ensuite, je suis plus sautillant. J’avais juste besoin de savoir à quelle étape de sa transformation on en était à chaque nouvelle journée de tournage parce qu’évidemment, on filmait dans le désordre.
Sam sauve un peu l’honneur des hommes. Il est moins veule que Vincent, joué par Melvil Poupaud, par exemple.
Justine : Ah bon, vous trouvez ? Vincent est aussi complexe, j’ai l’impression… Pour en revenir à Sam, j’ai un goût accru pour les hommes qui assument leur part de féminité, qui sont à la fois lucides et naïfs, pleins de vitalité. Aucun autre acteur que Vincent ne me paraissait envisageable dans ce rôle.
Virginie : Je pense que c’est aussi une question d’âge. Etre acteur est un métier terriblement féminin mais chez les gens de ma génération, il y a une pudeur par rapport à ça qui se traduit par une surenchère dans la virilité. Vincent a, lui, compris que la féminité n’était pas incompatible avec sa part masculine.
Vous avez une grande scène, Virginie, celle de la plaidoirie que Victoria fait en étant ivre. Comment se prépare-t-on à un tel numéro d’équilibriste ?
Virginie : Quand on été beaucoup bourrée, ce n’est pas difficile de s’en souvenir ! On pense au fait de se tenir droite, de ne surtout pas chercher à être drôle.
Vincent : C’est en étant très détendu qu’on obtient le meilleur résultat.
Justine : La grande qualité de Virginie, c’est de se conditionner très rapidement. Elle ne sacralise pas ces moments. Elle fonce.
Interview Christophe Narbonne
PHOTO : Sebastien Vincent
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