Le film de Steven Spielberg fête son 12e anniversaire, en replay sur France.TV.
Les Aventures de Tintin : Le secret de la licorne est un film d'aventure hybride tiraillé entre Jackson, Spielberg et Hergé. Passionnant ! Alors qu'il vient de fêter son douzième anniversaire, et que France.TV le propose pour l'occasion gratuitement en replay, nous republions les critiques de Première : oui, au pluriel, car à sa sortie, cette adaptation fut une claque pour la rédaction.
Critique de Gérard Delorme : Lorsque Steven Spielberg a annoncé qu’il s’associait avec Peter Jackson pour adapter Tintin en images de synthèse, on s’est tous dit qu’enfin, ce projet aussi vieux que la BD elle-même allait devenir réalité. Alors, quel est le verdict, à l’issue de la première projection parisienne ?
Dès la première séquence, on est tenté de dire oui : avec Jamie Bell, dont les mouvements ont été enregistrés en performance capture, Tintin vit et bouge sans trahir son modèle de papier. Milou est très bien aussi, les Dupondt un peu moins, et l’exposition entre très vite dans le vif du sujet. Un marché aux puces est l’occasion de rendre un hommage à la BD en citant les principaux personnages des albums dont s’inspire le film (Le secret de la licorne, Le trésor de Rackham le rouge et Le crabe aux pinces d’or), jusqu’à Hergé qui apparaît comme un dessinateur de rues.
La multiplication des miroirs invite avec insistance à regarder dans le passé et faire le lien avec les héritages respectifs des trois auteurs. Parce que Tintin a beau être signé Spielberg, c’est véritablement un film hybride, une somme, la fusion de trois univers très proches qui ne demandaient qu’à être unis.Hergé accueille Peter Jackson (celui de King Kong, qui se retrouve dans toute la première partie avec la marine "moderne"), tandis que Spielberg se délecte à recycler tous les motifs de son cinéma d’aventures exotiques, Indiana Jones en tête. Mais il en profite aussi pour réussir ici ce qu’il avait raté avec Hook. Il se permet même de retrouver quelques éclairs déconnants de sa période 1941. Et on a du mal à ne pas voir dans deux les personnages principaux des représentations des deux cinéastes : volontairement ou non, Haddock ressemble à Peter Jackson, et Sakharine (son ennemi) à Steven Spielberg.
L’hybridation se retrouve dans tous les domaines
Elle est nécessaire pour toucher la grande variété des publics visés, qui se distinguent selon qu’ils connaissent ou non la BD, parlent ou non l’Anglais. En V0, le film est clairement destiné à un public anglophone, et les Français risquent d’être surpris (il sera intéressant de vérifier comment Tintin sonne en VF). Les familiers de la BD avancent en terrain connu : l’adaptation est assez fidèle à la source. Les Anglais d’Angleterre (où Tintin est assez populaire) risquent paradoxalement de se sentir le plus at home, en grande partie parce que les personnages sont interprétés par Jamie Bell, Andy Serkis, Daniel Craig, Simon Pegg et Nick Frost. Les Américains découvriront un héros inédit (Tintin est nouveau en Amérique), mais l’univers proche de King Kong et d’Indiana Jones leur est très familier.
Visuellement, le film débute dans une ville européenne (possiblement belge), avant d’évoluer dans un environnement spatio-temporel typique de ce genre de films d’aventures (un combat naval en pleine mer, poursuites dans la casbah et le désert marocains, sans oublier quelques péripéties aériennes).Sans trop dévoiler ce qui se passe, Steven Spielberg profite à mort des possibilités de l’image de synthèse pour représenter des choses impossibles en prises de vues réelles. Parfois ça marche terriblement bien (l’arme secrète), parfois, un peu moins.
Lorsque Tintin (dans une scène-réplique de la descente en wagons du Temple maudit) grimpe aux murs avec sa moto et se suspend aux fils électriques pour poursuivre un faucon, on a du mal à suivre. La chute du gorille géant et des dinosaures dans King Kong fonctionnait, parce qu’il y avait un sens de la gravité qui ancrait la scène, assurant aux personnages une dimension, un poids, et finalement une réalité. Dans Tintin (comme ailleurs), cette réalité est remise en question dès que les personnages s’affranchissent des lois de la pesanteur. Le vieil axiome de la "suspension of disbelief" en prend un coup. Question d’équilibre. Mais on ne va pas reprocher à Spielberg d’avoir voulu pousser le bouchon. Le résultat est quand même euphorisant, un concentré d’aventure venue de Belgique, d’Amérique, et de Nouvelle Zélande. Ici, on attend la suite.
Andy Serkis : "Je veux rejouer le Capitaine Haddock !"Critique de François Grelet : Ça doit être une question de vitesse. Pourquoi rédiger un texte sur Les aventures de Tintin : le secret de la licorne, quelques heures à peine après la fin de la projo de presse, qui avait lieu ce matin dans un grand cinéma des Champs Elysées ? “Parce que c’est internet, coco, la course aux clics, les twittos sont déja sur le coup, allez, plus vite quoi, balance-la ta critique. 140 signes espace compris, hein”. Pourquoi est-ce aussi compliqué de rédiger un texte sur Le Secret de la licorne quelques heures à peine après la fin de la projo de presse, qui avait lieu ce matin dans un grand cinéma des Champs Elysées ? Là aussi parce que c’est allé un peu trop vite. Ils écrivaient quoi les twittos des 90’s quand ils se sont pris The Blade ou Time And Tide en pleine tronche ?
Balancée comme ça la comparaison peut paraître curieuse, n'empêche le déchaînement créatif ininterrompu et hystérique auquel on assiste durant les 107 minutes du Secret de la licorne, rappelle instantanément que si l’on a longtemps appelé Tsui Hark, “Le Spielberg Chinois”, l’analogie fonctionne désormais dans l’autre sens. Et depuis qu’il a entamé sa mue de cinéaste ouvertement radical (en gros à partir du fabuleux A.I.) Steven Spielberg n’avait jamais osé pousser le bouchon de l’expérimentation furieuse aussi loin.L’avantage des cinéastes biberonnés au classicisme, c’est que l’expérimental n’est jamais considéré chez eux comme une fin en soi, ou comme un vague écran de fumée chic, (oui, on pense ici très fort au dernier film de Nicolas Winding Refn), mais plutôt une manière élégante de paver la voie du cinéma de demain. S’engouffrant dans la brèche ouverte par James Cameron, Robert Zemeckis, les frères Wachowski, voire David Fincher, Spielberg s’empare de sa caméra virtuelle pour repenser de fond en comble les bases du storytelling à l’ancienne.
Les plus beaux moments de son Tintin se situent par là, dans cette manière d’oser des transitions impossibles pour imprimer au récit un dynamisme pétaradant, de réinventer la rythmique binaire du montage alterné pour lui infuser plus de nuances (attention les yeux sur la séquence de flash-back), de penser chaque scène sous le seul angle du morceau bravoure et de mettre à mal l’idée reçue selon laquelle un film se doit de ménager son spectateur avec des moments de flottement, plus communément appelés « respirations ». La bonne blague. Alors ça va vite, très vite, trop vite pour qu’on ait vraiment le temps de tout goûter. Mais suffisamment pour qu’on ait l’envie que le tempo ne baisse jamais.
Restons calme. Du post-cinéma, du sur-cinéma, oui, partout, tous le temps. Mais aussi, lâchons les gros mots, un vrai film d’auteur. Tout est là, à peu près en ordre : la furia destructrice de 1941, les poussées de fièvre fulgurantes du Temple Maudit, les vignettes expressionnistes du Monde Perdu, un générique à la Arrête-moi si tu peux, un clin d’œil tordant aux Dents de la mer… On tombera aussi, inévitablement, sur une refonte - admirable - de Hook, dès lors que l’aventure mettra le cap sur le versant swashbuckler (ou film de pirates). On prend ça pour une piste : comme s’il fallait se venger d’un échec toujours pas digéré, comme si l’on nous glissait en douce que le cinéma d’hier était trop restrictif pour imprimer la toute-puissance de l’imaginaire spielbergien. L’intuition à chaud : on n’est pas forcément sûr de tenir ici le chef d’œuvre de son auteur, mais on se retrouve clairement face à l’expression la plus limpide, la plus évidente, de son cinéma. Parce que la plus libre, jusqu’à présent.
Steven Spielberg et Peter Jackson : "Sur Tintin, la technologie a été l'outil de libération du cinéaste"Reste le travail d’adaptation. Là encore, on ne voudrait surtout pas faire en trop, mais sachez qu’il laisse franchement bouche bée, faisant s’entrechoquer trois albums clés de la mythologie avec une fluidité et une liberté de ton sidérantes. Seul hic, les Dupondt, étrangement sous-exploités, jamais très amusants, font un peu pâle figure à l’arrivée, tandis que le charisme phénoménal du Haddock d'Andy Serkis rafle absolument tous les suffrages (il laisse même poindre une étrange mélancolie post-gueule-de-bois le temps d’une scène ou deux). Là encore il faudra revoir le film, s’il se laisse un jour apprivoiser, pour jauger de la pertinence de ses choix dramatiques; saute tout de même yeux une aisance burlesque totale et son équilibre entre virtuosité de la mise en scène et incarnation totale des personnages.L’ironie là-dedans, c’est que ce triomphe de cinéma ultra-technologique, profondément pionnier, déboulera dans les salles au moment même où l’intelligentsia virtuelle (twittos et blogos) se repaît quasi quotidiennement de sa haine déraisonnée vis-à-vis de la 3D et/ou de la performance capture (voire le traitement honteux réservé aux derniers Zemeckis). En ce sens la réponse de Spielberg est cinglante. Même si il est probable qu’au fond il n’en ait jamais eu rien à foutre. Trop occupé à remodeler notre avenir, à repenser les outils du cinéma, à updater sa grammaire. Cet homme va vite, très vite, trop vite pour le commun des mortels. Qui pourra le suivre désormais ?
Bande-annonce des Aventures de Tintin : Le secret de la licorne :
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